Pour ce dernier article de l’année, tout comme les années précédentes, on a eu envie de se prêter à un exercice pas si facile… Chacun·e de nous a dû choisir un et un seul livre parmi ceux qu’il ou elle a chroniqués au cours de l’année. Nous republions ici la chronique du livre que chacun·e d’entre nous a voulu mettre en avant pour cette sorte de best of.
Nous voilà parti.es avec deux sœurs pour une randonnée de plusieurs jours au cœur des Alpes. C’est la première fois qu’elles partent seules à l’aventure découvrir les sommets qui les entourent au quotidien. Pour faire comme leur Tante Jeannette, randonneuse invétérée, elles lui empruntent sa vieille carte IGN de 1978 et préparent leurs sacs à dos. Direction Chamroux, le point de départ d’une longue marche qui les mènera de refuges en cabanes, de sentiers en rivières, de pauses pique-nique en rencontres inattendues. Elles surmonteront la tempête, le vent, la pluie, le froid, le brouillard. Les deux sœurs, en véritables apprenties exploratrices, vont s’armer de courage et de persévérance pour tenter d’aller au bout de cette aventure qui les soudera à jamais. Elles vivront une expédition inoubliable, entre émerveillement et appréhension, au milieu de cette flore préservée et de ces animaux sauvages, marmottes ou bouquetins. Le vert des pâturages laissera place au blanc des glaciers ou au gris du brouillard. Une palette de couleurs et d’émotions pour un voyage rempli de surprises. Parviendront-elles à atteindre l’autre côté de la montagne ? Ce panorama ressemblera-t-il aux dessins de Tante Jeannette qu’elles ont tant étudiés ?
Les illustrations de Géraldine Alibeu sont associées à son texte, ou seules, sur des doubles pages, en feu d’artifice de couleurs vives, chatoyantes et joyeuses. Les différents points de vue de ces paysages grandioses sont peints selon la luminosité. Ils changent selon les nuances du soleil, les ombres, la végétation. On imagine l’autrice assise face à la montagne, carnet sur les genoux, à croquer ces versants sauvages à toutes heures du jour, par tous les temps. C’est un incroyable album grand format, tel un carnet de voyage panoramique, qui nous invite à l’évasion, à la curiosité et à la contemplation. Il nous apprend que l’aventure d’une vie n’est pas le but mais le chemin pour l’atteindre. Nos deux sœurs, à défaut d’avoir découvert ce qui se cache sur l’autre versant de la montagne, auront vécu une sacrée aventure… ensemble !
Voilà. Tu es un homme… Ce sont sur ces mots que s’ouvre le roman ; des mots qui vont faire basculer à jamais le destin du personnage principal. Au début du roman, nous ne savons que peu de choses sur ce personnage. Il a 15 ans, vit dans un pays en guerre, il est donc temps pour lui de devenir un homme, de fuir vers son destin dans la clandestinité… Il devra oublier qui il est et d’où il vient. Dorénavant, il sera Miran, prénom dont l’a rebaptisé sa mère. Page après page, nous suivons son parcours de migrant : du départ de son pays d’origine à l’arrivée en Europe, en passant par l’interminable voyage. Durant le trajet, il sera confronté à l’indicible : la peur, la violence, la faim, la mort ; et ici et là, au milieu du pire, pointeront la solidarité, l’amitié, l’entraide. L’espoir !
Whaou ! Quel roman ! Surprenant, bouleversant, sublime… Tiraillé·e par l’envie de découvrir au plus vite où ce long voyage mènera Miran, on tourne les pages avec frénésie. On lit avec l’impression d’avoir embarqué avec lui, vivant selon son rythme et ses émotions. Et l’écriture de Cécile Alix n’est pas là pour adoucir la réalité. C’est violent, c’est dur, à la limite de l’indicible, parfois ; pour le héros comme pour le lecteur·trices. Mais les mots sont justes, ne surjouant pas les émotions, ne cachant rien des événements : c’est bien cela la réalité du parcours des jeunes migrant·es. Enfin, il y a l’espoir et cette fin à couper le souffle. Une fois le livre refermé, je vous conseille de vous interroger sur le titre, brillamment trouvé. Ce roman est sans aucun doute un de mes plus grands coups de cœur 2022 ; je ne peux donc que vous recommander sa lecture au plus vite.
Le destin de James Cleveland Owens est digne d’un conte. Comment aurait-il pu imaginer, pendant sa rude enfance en Alabama, où entre les quatorze kilomètres courus tous les jours pour aller et revenir de l’école et ses poumons fragiles, qu’il était déjà en train de forger son incroyable destin d’athlète ? Quand il ne court pas, il travaille dans les champs de coton avec ses parents. Le racisme fait tristement partie de son quotidien. Il ne compte plus les « sales nègres » qui ont frappé ses oreilles. Sa famille, étranglée par la misère, décide un jour de migrer de l’Alabama vers un État du Nord des États-Unis : l’Ohio. Ici, James Cleveland devient Jesse. La ville n’est pas pour autant une terre de Cocagne et le racisme a la dent dure. Discrètement, au milieu de la grisaille un homme a repéré ce gamin qui court comme il respire. Charles Riley est professeur d’éducation physique. Il sera son premier entraîneur !
Les éditions de l’Élan Vert via la collection Ponts des Arts nous proposent un roman au format carnet de voyage, qui réussit à équilibrer texte, illustrations et photos d’archives pour mieux nous faire plonger dans l’Amérique du début du vingtième siècle. Le respect et l’enthousiasme de Cécile Alix pour l’enfant, l’homme, le père, le quadruple champion olympique transparaissent du début jusqu’à la fin de l’ouvrage. Elle souligne l’absurdité des haines en mettant dans la balance la haine raciale qui sévit aux États-Unis contre le nazisme qui fait déjà rage en Allemagne. Aux Jeux de Berlin en 1936, être noir n’est pas un problème. Stupéfait d’être considéré, Jesse se liera d’amitié avec un autre champion : Luz Long. Une photo immortalise leur complicité, révélant que le vrai sport ne se nourrit pas de préjugés raciaux. Bruno Pilorget illustre cette tranche de vie avec des encres vives. La puissance répond à la précision. Sous le pinceau, Jesse Owens s’élance, prend appui et s’envole. Pour tout vous dire, ce livre a eu un gros effet sur moi, convoquant des émotions variées allant de la révolte à la compassion en passant par la colère pour arriver enfin à la reconnaissance. Jesse Owens a contribué à l’Histoire. Il fait partie de celles et ceux qui ont œuvré pour faire avancer les droits des Afro-Américain·es. Son aura dépasse largement les frontières de son pays. Si le récit s’achève sur les éclatantes prouesses des jeux olympiques de Berlin, à la fin de l’ouvrage un dossier didactique nous donne les grandes lignes de la vie de Jesse après 1936, ainsi que les dates et faits marquants liés à la ségrégation. À l’heure où les droits fondamentaux des hommes et des femmes sont régulièrement remis en question, tolérance et fraternité sont plus que jamais à défendre activement. Homme inspirant comme il y en a peu, dépassant toutes les limites, il est vraiment temps de faire découvrir Jesse Owens aux jeunes générations !
Emma souffre d’alopécie, une maladie qui lui fait perdre ses cheveux. Après avoir été harcelée dans son ancien lycée, elle commence une nouvelle vie à plusieurs centaines de kilomètres de là, prête à tout pour ne pas revivre les expériences traumatisantes du passé. Quitte à renoncer à sa passion pour la natation et à se cacher sous une perruque. Bientôt, elle se lie d’amitié avec Anis, une camarade de classe qui cache elle aussi quelques secrets. Mais est-ce vraiment une solution de vivre dans le mensonge ?
Qui n’a jamais pris le prétexte d’un début d’année pour un nouveau départ ? Pour Emma, c’est même une nouvelle vie qui s’offre à elle, accompagnée de son frère protecteur et de sa Précieuse, sa perruque, qui l’aide à aller de l’avant tout en vivant dans la crainte qu’un accident la lui arrache du crâne. Si la jeune fille est irrésistible avec son autodérision, ses failles et son côté féministe, c’est aussi grâce aux rencontres qu’elle fait cette année que sa vision d’elle-même et de sa maladie évolue. Ce roman est un concentré de thèmes lourds, forts, mais terriblement importants, puisqu’en nous confiant son histoire Emma nous interpelle sur l’alopécie – maladie encore bien peu connue – le poids du regard des autres et le long chemin de l’acceptation, la féminité, mais aussi le harcèlement – scolaire ou en ligne –, les relations toxiques. Pour autant, l’autrice use d’un ton léger rempli d’humour, auréolant son roman d’un filtre solaire. Profondément féministe dans ses réflexions, À un cheveu est un roman drôle et touchant sur la maladie et surtout l’acceptation.
Elle est celle qu’on trouve trop petite ou trop géante. Elle est celle qu’on a fait dormir sur des matelas entassés sous lesquels on avait placé un petit pois, celle qui a dormi si longtemps derrière un mur de ronces, celle qu’on a enfermée dans une tour « pour son bien ». Elle est la fille des contes.
Aux filles des contes est sans aucun doute un des plus beaux livres de 2022. Ici, tout est réussi. Le texte, assez proche de la poésie, de Thomas Scotto est un bonheur à lire à voix haute (à se demander s’il n’a pas été écrit pour ça). Les illustrations de Frédérique Bertrand accompagnent tout en délicatesse le texte. L’objet lui-même, le petit livre avec ses rabats, son beau papier et son long fil de reliure rouge, un est magnifique ouvrage. Et puis, forcément, le propos… Cet hommage aux filles de contes, mais, à travers elles, aux filles tout court. Celles qui se taisent, celles qu’on bâillonne, celles que l’on maltraite. L’auteur dédie son ouvrage à Anne Sylvestre et fait précéder son texte d’un extrait d’Une sorcière comme les autres, on ne peut que se dire que ce texte-là n’aurait pas été renié par cette grande artiste. Voilà un livre que je vous recommande vraiment.
Deux sœurs sont séparées suite à un mystérieux accident. Cee est piégée sur une île déserte, avec pour seule compagnie une petite androïde et une mémoire défaillante. Seuls le souvenir lointain de sa sœur et l’espoir de la retrouver un jour la maintiennent en vie et lui permettent de continuer de se battre pour quitter sa prison entourée par les eaux. Kasey, de son côté, vit dans une cité aérienne, conçue par ses parents pour protéger l’humanité des catastrophes climatiques qui se succèdent sur Terre. Elle aussi est hantée par la disparition de sa sœur en mer. Déterminée à la retrouver, elle n’hésite pas une seconde à plonger dans les entrailles de la ville, quitte à se confronter à des secrets qu’il aurait fallu ne jamais déterrer…
Ceux qu’il nous faut retrouver est un récit incroyable qui m’a transportée du début à la fin. Non seulement l’intrigue est à couper le souffle, mais les personnages sont magnifiquement travaillés et les sujets abordés le sont avec une grande intelligence. Environnement, nouvelles technologies et relations humaines sont les trois thèmes principaux de ce roman, s’entrelaçant pour donner un récit à la fois captivant, plein de sens et de messages importants. Au-delà du récit prenant et captivant, Joan He propose ici une piste de réflexion extrêmement intéressante : comment la littérature milite-t-elle pour les grandes causes de l’humanité ? Tout au long du récit, nous avons l’occasion d’observer les ravages causés par les humain⸳es sur la Terre. Il exploite également le thème des nouvelles technologies et de la recherche scientifique, développant une réflexion sur leurs bienfaits et leurs dangers. Et, bien évidemment, et comme dans toute bonne dystopie, les relations humaines et la liberté d’agir selon ses convictions sont au cœur de l’histoire. Ceux qu’il nous faut retrouver propose une peinture vaste et complexe d’un futur à l’environnement dévasté que l’on peut aisément s’imaginer, proposant à la fois des visions préventives et des solutions ingénieuses, dans le but de sensibiliser les lecteurs et lectrices à des causes importantes. De plus, il est indispensable de noter que l’intrigue est extrêmement bien menée, ne nous laissant aucun répit et nous surprenant encore et encore. Joan He sait comment captiver ses lecteurs et lectrices et exploite ce talent à la perfection. Elle a aussi un certain don pour dépeindre des personnalités, pour donner vie à ses personnages et nous les rendre soit absolument détestables, soit appréciables, selon de qui il s’agit. Cee et Kasey font désormais partie des protagonistes qui resteront longtemps gravées dans ma mémoire tant elles m’ont marquée. Ceux qu’il nous faut retrouver est donc un roman que je ne peux que conseiller, car il est à la fois passionnant et porteur de messages engagés et importants.
Voici un crayon de couleur. Depuis l’arbre qui l’a vu naître jusqu’à l’usine qui le transforme, on suit le parcours de ce petit objet qui, grâce à la main qui le tient, est capable de faire renaître une forêt colorée.
Le crayon est un superbe album. Avec finesse et délicatesse, Hye-Eun Kim nous propose une fable écologique poétique, sans texte. C’est un cri d’amour « à l’art et à la nature », comme l’écrit l’autrice-illustratrice en prologue de son ouvrage. Et ce cri d’amour muet est visible dès la couverture. Là, s’étale sous nos yeux une forêt riche et vivante, composée d’essences diverses et d’animaux différents. Cette forêt, on aimerait la connaître plus en détail, s’y perdre. Et heureusement, Hye-Eun Kim nous propose de nous y perdre un peu, grâce à la mine de ses crayons, et c’est magnifique. Chaque illustration au crayon de couleur offre aux lecteurs et lectrices un monde multicolore et riche en détail. Tout pourrait paraître idyllique jusqu’au moment où, sentant le danger venir, les oiseaux s’envolent, quittant ce paradis terrestre. Et pour cause ! Ce jardin d’Eden n’est bientôt plus, car il a pour vocation d’être exploité. Suivant le trajet des troncs colorés, on arrive au cœur d’une usine fabriquant… des crayons de couleur. Et ce crayon, que l’on suit depuis le début, fil conducteur du récit, se retrouve dans une boutique et est finalement choisi par une petite fille qui décide de replanter la forêt coupée sur une feuille de papier… Récit sans texte, Le Crayon n’en demeure pas moins un album qui pose des questions essentielles : quelle est notre empreinte écologique ? Quel est notre impact sur la forêt, si précieuse et si essentielle à notre vie ? Comment la protéger ? Et surtout, l’art et la nature sont-ils compatibles, quand l’un a besoin de l’autre pour exister ? Oui, nous répond l’autrice. Absolument, l’art est même nécessaire à la nature. Car c’est l’art qui la sublime et qui peut, grâce aux talents des artistes, la faire devenir, comme ici, héroïne de livre.
A(NI)MAL de Cécile Alix Slalom 14,95 €, 145×225 mm, 304 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
L’autre côté de la montagne de Géraldine Alibeu Cambourakis 18 €, 242×338 mm, 48 pages, imprimé en Lettonie, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Il court ! Jesse Owens, un dieu du stade chez les nazis Texte de Cécile Alix, illustré par Bruno Pilorget L’élan vert, dans la collection Pont des Arts, les carnets 16 €, 156 × 199 mm, 96 pages, imprimé en Europe, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
À un cheveu de Maëlle Desard Slalom 14,95 €, 146×226 mm, 317 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Aux filles du conte Texte de Thomas Scotto, illustré par Frédérique Bertrand Les Éditions du Pourquoi pas ?, dans la collection Manifeste poétique 10 €, 105×200 mm, 24 pages, lieu d’impression non indiqué, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Ceux qu’il nous faut retrouver de Joan He (traduit de l’anglais par Céline Morzelle et Camille Cosson) Lumen 17 €, 142×226 mm, 503 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Le crayon de Hye-Eun Kim CotCotCot Editions 17 €, 207×284 mm, 44 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !