Pour ce dernier article de l’année, tout comme les années précédentes, on a eu envie de se prêter à un exercice pas si facile… Chacun·e de nous a dû choisir un et un seul livre parmi ceux qu’il ou elle a chroniqués au cours de l’année. Nous republions ici la chronique du livre que chacun·e d’entre nous a voulu mettre en avant pour cette sorte de best of.
Dans le Bois sans mousse, le vent se lève et fait trembler chaque arbre de la forêt. Apeurés, les animaux courent se réfugier chez eux. Enfin à l’abri, ils peuvent souffler. Tous ? Non. L’arbre d’Écureuil se brise avant qu’il n’ait pu l’atteindre, et le voilà contraint de trouver une autre solution. Pendant ce temps, la tempête fait rage, l’eau monte et inonde le Bois, obligeant ses habitant·es à abandonner leurs maisons pour se réfugier en hauteur, sur la Colline au parapluie. Souris, la première, s’inquiète de ne pas voir Écureuil les rejoindre. Au petit matin, hissés sur des radeaux de fortune, les animaux parcourent la forêt à la recherche de leur ami, d’autant plus frénétiquement qu’ils aperçoivent son arbre brisé. Après des heures de recherche, alors que le niveau de l’eau baisse, un appel au secours se fait entendre…
Dès la couverture, Olivier Desvaux nous cueille avec cette illustration qui souligne à merveille ce lien entre les personnages unis par l’amitié, toujours prêts à s’entraider. À l’intérieur, on découvre d’autres magnifiques dessins qui donnent toute leur force à l’histoire et à l’urgence de la situation. Une histoire qui parle de solidarité, mais aussi, en filigrane, du réchauffement climatique et des catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses et ravageuses. Quand, après avoir perdu sa maison, Écureuil trouve — en pleine forêt — un vieux lave-linge, c’est tous ensemble qu’ils vont lui donner une nouvelle utilité. Écureuil dans la tempête nous offre une aventure haletante où l’amitié et l’entraide feront souffler un vent d’espoir, face à un sujet malheureusement bien d’actualité.
Delphine
La famille avait trouvé l’endroit de ses rêves, l’emplacement idéal pour vivre. Avant de construire leur maison, il fallait juste démolir le vieux taudis qui s’y trouvait et quatre pins qui l’entouraient. La mère avait l’habitude de couper les arbres, mais ceux-ci étaient difficiles à abattre, comme s’ils résistaient. On aurait dit que des cris sortaient de l’écorce pendant qu’on la tronçonnait… Avec les pins, on fit des planches, avec les planches, la maison. Mais bientôt, des événements étranges se produisirent…
J’ai été bluffé par cet album, bluffé et soufflé. Sa lecture m’a autant séduit que dérangé. Ma première réflexion a été « Wow… on dirait un film d’horreur pour enfants ». J’ai eu envie de le tester sur ma famille, à voix haute. J’ai eu le droit à un silence absolu pendant ma lecture et il a beaucoup plu. Je ne vous dirai pas pourquoi ces réactions, ça serait vous gâcher la lecture, mais je peux vous dire que l’ambiance est très dérangeante et la fin nous scotche. Comme toujours, le travail d’illustration de Lisen Adbåge et sa façon de représenter les corps me séduisent, ses planches sont magnifiques. Je déconseillerai de le lire à de trop jeunes enfants… Mais je vous conseille fortement de le lire, vous, déjà. Il est impossible que ce livre vous laisse indifférent·e.
Gabriel
Il y a Bassem, son regard saisissant, littéralement hypnotisant, en première de couverture. Un regard meurtri par la perte de sa famille sous les bombes. Un visage qui avancera malgré les poussières des décombres, de rencontre en rencontre. Bassem se rendait à l’école lorsqu’une bombe éclata. Et soudain, il n’eut plus personne, plus rien. Mais face à la sidération et au spectacle de désolation et de silence que lui offrait le champ de ruines, il y eut soudain cet instant suspendu, cette apothéose inattendue, cette musique sépulcrale. Au sommet des gravats, un jeune homme jouait du piano. Et l’espoir rejaillit.
L’autrice réalise ici un tour de force. Dans un contexte de guerre, elle parvient à nous rappeler que la beauté du monde dans la moindre des choses, ici une mélodie, ou encore la bonté et la solidarité qui s’organisent autour et entre les plus démuni·es parviennent, malgré le traumatisme, à préserver la pureté et l’innocence de l’enfance. Elle nous rappelle, par là même, que dans un contexte infiniment tragique, il y a toujours une once d’espoir et que les minuscules vaudront toujours quelque chose face aux géants qui se font la guerre. L’autrice propose également, en filigrane, un hommage aux saltimbanques, artistes de rue, qui avec trois fois rien parviennent à (re) donner le sourire à qui prendra le temps de les regarder. Il en est de même pour les livres qu’il faudra sauver des décombres afin que la culture demeure à jamais, car leurs « pages conservent notre mémoire ». Le jeune Bassem symbolise alors l’humanité au bout des yeux et à portée des oreilles. Le tout dans une langue maîtrisée à laquelle s’ajoutent la poésie et l’art de la comparaison. Quant à l’aspect vaporeux des illustrations, il retranscrit avec délicatesse et justesse — voire respect si j’ose dire — la tristesse et la dignité de Bassem, tout en rappelant l’aspect des grains de sable symbolisant à la fois le désert et les déflagrations des décombres. Le tout en devient bouleversant. Le récit profond acquiert ainsi une portée universelle. Aussi, je confirme à l’autrice que dans la part d’absurdité et d’obscurité du monde, elle est parvenue, grâce à Bassem, à semer quelques grains de lumière et d’espoir, malgré tout.
Laëtitia
Sadge est un maître-carte aussi dangereux que célèbre. En effet, il possède l’as de la Mort et le Joker, deux arcanes si puissants qu’ils pourraient mettre fin à la guerre qui couve entre les continents avant même qu’elle ne commence. Mais désirant plus que tout être libre et refusant de céder ses armes à celleux qui pourraient en faire mauvais usage, Sadge n’a de cesse de fuir et de changer d’identité. Son dernier refuge n’est autre que la prestigieuse université de magie. Il y fait la rencontre de Diba, une jeune femme dont le pouvoir réside dans les émotions et est de ce fait quasi incontrôlable. Ces deux âmes solitaires vont se lier d’amitié et tenter, ensemble, de découvrir l’origine des AMR, des armes robotiques extrêmement puissantes qui pourraient jouer un rôle décisif dans le conflit intercontinental.
Dana B. Chalys a un talent incontestable pour créer des univers aussi complexes que denses. Mystic Flown en est l’exemple parfait. Avec une plume à la fois travaillée et poétique, elle construit ses décors, ses personnages et son intrigue d’une manière extrêmement efficace. Dès les premières pages, les lecteur⸳ices ne peuvent qu’être happé⸳es par ce récit aussi fascinant que captivant. Bien que l’intrigue prenne son temps et que le rythme soit, de manière générale, assez lent, impossible de s’ennuyer tant chaque page regorge de détails. Le récit se focalise également beaucoup sur les personnages, que l’on apprend d’abord à connaître avant de les voir évoluer au fur et à mesure que les pages se tournent. Sadge et Diba ont tous⸳tes deux des personnalités complexes et torturées, mais en sont d’autant plus attachants. Leur amitié est vraiment belle et touchante et c’est sans doute cela que j’ai préféré dans le récit. De plus, bien qu’iels soient les personnages principaux, Dana B. Chalys nous propose de découvrir tout au long du roman les points de vue de celleux qui gravitent autour d’elleux, ce qui permet d’en apprendre beaucoup plus sur l’univers et de le comprendre plus facilement. Pour autant, on ne se perd pas et le fil de l’histoire reste facile à suivre. Rajoutons à cela que le monde imaginé par l’autrice a beau être assez dense, il est assez simple de s’y immerger tant il est bien décrit. Il vous sera même, je le crois, difficile de vous en détacher tant il vous transportera. Enfin, il me semble important de parler de l’intrigue. Si elle est assez lente dans son développement, elle n’en est pas moins captivante par ses nombreux enjeux. Nous ne nous concentrons pas seulement sur l’histoire de Sadge et de Diba, ni sur ces étranges AMR ou sur la magie. Il y a également de nombreuses problématiques sociales et politiques qui sont absolument passionnantes à découvrir. Mystic Flown est définitivement un roman que vous ne pourrez pas oublier !
Manon
Octobre au cœur d’un village sans histoire. Ce jour-là, trois jeunes filles (dont Anaïs, la plus belle fille du collège d’après les garçons de troisième) discutent sur un banc. Mia, la narratrice, passe devant elles avec sa mère et sa sœur. C’est alors qu’Anaïs l’interpelle. « Elle est drôlement jolie ta boucle d’oreille, tu me la donnes ? ». Parce qu’Anaïs est populaire, Mia accepte. Cet événement banal ne va pas tarder à provoquer un séisme au sein de la communauté villageoise. Très vite, pour être« cool » il faut porter la boucle rose, avant que cela ne devienne une obligation et le refus de la porter, un motif d’exclusion…
Il faut le dire d’emblée, La boucle d’oreille rose est une bande dessinée remarquable, une dystopie magistrale qui fait penser à Matin Brun. Tout comme dans le texte de Pavlovff ce qui intéresse Séraphine Menu et Sylvie Serprix, c’est la montée en puissance d’une forme de totalitarisme, vu, vécu et créé par les individus. Ici, c’est un objet en apparence inoffensif, une boucle d’oreille rose, qui devient très vite le cœur de toutes les sollicitations et permet de définir l’appartenance comme la non-appartenance à une communauté. L’ouvrage suit une année de la vie du village — saison après saison — et la place que prend progressivement la boucle d’oreille dans la vie de chacun·e. D’abord, ce sont les jeunes filles qui la portent pour faire comme Anaïs, la fille « populaire », et puis les mères s’y mettent également. Très vite, on en vient à douter de ceux et celles qui refusent de la porter, on les stigmatise, on les rejette. L’acte banal de refuser de s’accrocher la perle rose à l’oreille est perçu comme subversif ou, pire, une trahison. L’originalité de l’ouvrage comme sa puissance tiennent à la trivialité de l’histoire. Le récit nous est raconté par Mia. Et l’on comprend, à travers ses yeux, comment, insidieusement, une pratique peut se transformer en dérive sectaire. Ce que nous dit Séraphine Menu, c’est que le processus qui conduit à un régime fascisant est souvent le fruit des individus eux-mêmes soucieux de faire partie d’un groupe majoritaire, qui adhèrent au projet politique par des gestes simples qu’ils pensent sans incidence. Ce texte efficace et bouleversant, qui interroge la notion de liberté, est porté par les illustrations vives et colorées de Sylvie Serprix. C’est d’ailleurs cela qui trouble : l’univers dans lequel se déroule cette histoire est calme, paisible, il semble y faire « bon vivre ». Et pourtant, l’horreur peut y surgir plus vite qu’on ne croit.
Sarah
Écureuil dans la tempête d’Olivier Desvaux Didier Jeunesse 14 €, 242 x 258 mm, 32 pages, imprimé en France par un imprimeur éco-responsable, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Les pins de Lisen Adbåge (traduit du suédois par Catherine Renaud) Cambourakis 15 €, 220×287 mm, 32 pages, imprimé en Lettonie, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Les minuscules Texte de Claude Clément, illustré par Tildé Barbey Édition du Pourquoi pas ? 13 €, 200×200, 48 pages, imprimé en République tchèque, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Mystic Flown de Dana B. Chalys Gulfstream 21,50 €, 144×222 mm, 439 pages, imprimé en Pologne, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
La boucle d’oreille rose Texte de Séraphine Menu, illustré par Sylvie Serprix Éditions Motus 16,50 €, 161×230 mm, 102 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !