Aujourd’hui, on a rendez-vous avec Anne-Fleur Multon, autrice de la série Allô Sorcières. Ensuite, c’est avec Émilie Chazerand que l’on part pour des petites vacances. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Anne-Fleur Multon
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
Quand, à l’âge de dix-sept ans, j’ai commencé à considérer sérieusement la question rituelle du « tu-veux-faire-quoi-plus-tard-Anne-Fleur », il n’y avait pas encore vraiment, en France, d’études pour devenir écrivaine, puisque ce n’est pas encore considéré comme un véritable métier dans notre pays – sinon, je m’y serais bien évidemment RUÉE (il existe d’ailleurs maintenant un tout nouveau master de creative writing qui s’est ouvert au Havre !).
Ma formation d’écrivaine s’est donc faite sans études, par la pratique, dès mon plus jeune âge (soit en me racontant des histoires dans ma tête, soit en les faisant taper à super-papa). Mais comme il fallait bien faire quelque chose de sérieux qui rassure les adultes, j’ai un peu avancé dans les études au hasard de mes autres vocations : après un cursus scientifique jusqu’au lycée parce que je voulais peut-être devenir astrophysicienne ou médecin dans la marine marchande (surtout pour le côté bateau), j’ai poursuivi par une prépa littéraire à Henri IV parce que je me voyais bien vivre dans une bibliothèque, donc pourquoi pas devenir conservatrice, n’est-ce pas, puis j’ai continué sur des études littéraires, parce que finalement les livres les livres les livres, et je n’ai jamais passé l’agreg parce que j’avais eu ma dose de concours pour la vie – à la place, j’ai écrit mon premier roman publié !
Parlez-nous de votre série Allô Sorcières, dont les deux premiers tomes sont parus aux éditions Poulpe Fictions. D’où est venue cette histoire ?
Cette histoire, elle est née d’un désir commun avec mon éditrice de mettre en scène des ados comme on les connaît, c’est à dire pas nunuches-crucruches à la sauce pestouille-poney, mais des ados qui en veulent, qui ont des rêves, de l’ambition, qui savent où elles vont et sur qui elles peuvent compter. Je voulais une vraie histoire d’amitié bienveillante et constructive, parce qu’il me semble que le trope de la dispute, très présent dans la littérature pour les filles, est révélateur d’un mécanisme patriarcal vieux comme le monde qui empêche les femmes d’accéder aux sphères de pouvoir (diviser pour mieux régner, une stratégie éprouvée pour conserver le pouvoir !). L’importance de la sororité, de l’entraide et de la solidarité, c’étaient des valeurs féministes qui étaient pour moi essentielles à transmettre à mes lecteur·trices. Aussi, ayant grandi en Afrique et dans le Pacifique, je savais depuis toute petite qu’on parlait et qu’on lisait le français bien au-delà des frontières de la métropole. Pourquoi aucune histoire ne s’y passe-t-elle jamais ? Je voulais parler de francophonie, et montrer à quel point ces territoires boudés de la fiction peuvent apporter une richesse narrative et sont nécessaires en termes de représentation.
Si on pense à mon histoire comme un collier, je dirais que les questions de représentations et les questions féministes sont comme le fil sur lequel les perles de l’intrigue sont venues ensuite se rajouter tout naturellement. Personnellement, j’adore les histoires, les histoires qui bougent, qui déménagent, les histoires qui vous prennent à l’estomac : j’ai donc écrit une histoire que j’aurais aimé lire, avec des personnages que j’aurais aimé rencontrer ado ou pré-ado. Allô Sorcières, ce sont avant tout des romans, pas des essais !
Vos romans mettent en scène des personnages de tous horizons, avec beaucoup de diversité. Est-ce un thème qui vous est cher ?
Comme je le disais plus haut, la question de la représentation est centrale dans mes romans. Je pense que tout le monde a envie de lire des textes avec des personnages surprenants et complexes, comme dans la vraie vie. Je vois donc ça comme un enrichissement de mon texte, et pas comme une contrainte. Par défaut, on imagine toujours un personnage qui nous ressemble, ou qui ressemble aux personnages qu’on a croisés dans nos lectures (et je ne vous apprends rien, les héros et héroïnes, leur famille, les ami·e·s, tout ça est souvent très blanc, très hétéro, très métropolitain, voire parisien, et plutôt middle class – même si énormément d’auteur·trices font bien heureusement avancer les choses). Quand je pense à un personnage, je me pose toujours cette question : pourquoi ? Pour la famille d’Aliénor, par exemple, j’avais évidemment imaginé, au début, que c’était son papa qui était astrophysicien. Pourquoi pas sa maman ? J’ai donc interchangé les rôles, ce qui m’a en plus apporté les personnages vraiment chouettes des parents d’Aliénor, qui sont très complémentaires, très encourageants et positifs. On me dit parfois que ce que j’écris n’est « pas possible », que c’est une vision bien trop « bisounours » de la société. Déjà, c’est faux : je ne cache pas les problèmes de sexisme, de racisme, les jugements classistes et validistes, le poids de la grossophobie, les angoisses d’ado… Simplement, dans un livre, les dragons peuvent voler : moi, je crée un monde avec des règles différentes, avec certaines familles idéales qui servent de modèle positif à mes lecteur·trices, et qui permettent d’aborder toutes ces questions de manière bienveillante et positive, sans pour autant en cacher l’injuste et dangereuse réalité.
Comment s’est passée la collaboration avec Diglee, qui a illustré vos romans ?
Merveilleusement bien. Je connaissais Maureen avant l’écriture du roman, j’avais donc toute confiance dans ses intentions (c’est, en plus d’être une dessinatrice hors pair, une féministe convaincue et convaincante, allez la suivre sur son Instagram, @diglee_glittering_bitch, elle y partage ses réflexions toujours pertinentes et ses lectures). Elle a donné un sens à mon roman : pour moi, l’illustrateur·trice fait autant partie de la création d’une œuvre que son auteur·trice. Elle a donné à mes héroïnes un visage (tellement craquant !), de la volonté, elle les représente dans des situations de pouvoir, totalement badass, drôles et formidablement ado dans chaque dessin. Elle fait aussi souvent des propositions que j’intègre dans mon écriture : elle a représenté Azza avec des poils sous les bras, et son dessin du majordome du grand-père d’Aliénor dans le tome 1 m’a fait mourir de rire et a complètement inspiré le personnage du majordome, plus présent, dans le tome 2.
Je ne serai jamais assez reconnaissante pour son travail – trop de fierté et d’amour !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je lisais tout ce qu’on me donnait à dévorer, littérature de jeunesse ou littérature adulte. Il y a eu du Marie-Aude Murail, du Philip Pullman, Harry Potter évidemment (je suis Serdouffle, mi Serdaigle mi Poufsouffle), Claude Ponti que j’ai continué à relire ado (Ma vallée est un must-have d’imaginaire pour moi), Zola et Nabokov (au lycée, j’adorais les grandes fresques mélodramatiques), Les Orphelins Baudelaire, les Tintin et les Yoko Tsuno, Le Club des cinq chez ma grand-mère, les J’aime lire et les D-Lire, relus infiniment… J’ai passé une bonne partie de ma vie à lire, j’imagine que c’est aussi un peu comme ça qu’on devient écrivain·e.
Quelques coups de cœur à nous faire partager ?
J’ai récemment dévoré Libre et affamés, de David Arnold : c’est à mi-chemin entre du John Green et du Jonathan Safran Foer, c’est donc très américain, haletant, à fleur de peau et héroïquement adolescent. Je l’ai lu en une nuit et je le recommande chaudement (en prime, chouettes persos féminins). Sinon, le magistral Là où tombent les anges de Charlotte Bousquet (évidemment indétrônable dans mon cœur, un roman foisonnant, déchirant, lesbien, inventif dans la forme et le fond, historiquement irréprochable, relu déjà sept fois, acheté en multiples exemplaires pour les faire tourner – lisez tout de Charlotte Bousquet). J’ai aussi adoré, en adulte, Ma reine de Jean-Baptiste Andréa, qui approche l’adolescence d’une façon lumineuse et douloureuse (car un ado, n’est-ce pas un enfant coincé dans un corps trop grand ?). Presque un conte, cruel, fantastique, brillant, pur. Un petit chef-d’œuvre très cinématographique.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos prochains projets ? Une suite à Allô Sorcières ?
La suite d’Allô Sorcières est en écriture, et elle est prévue pour août, normalement ! Drôlement hâte de vous montrer où mes petites sorcières vont vous emmener, cette fois.
J’écris aussi un thriller YA à quatre mains avec la formidable écrivaine Samantha Bailly, et d’autres projets un peu plus secrets sont aussi en route ! Stay tuned !
Bibliographie :
- Sous le Soleil exactement, Poulpe Fictions, 2018.
- Viser la Lune, Poulpe Fictions, 2017, que nous avons chroniqué ici.
En vacances avec… Émilie Chazerand
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Émilie Chazerand que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse :
- Extra doux, Jon Klassen et Mac Barnett
- Herman et Dominique, Alexandra Pichard
- Quand je serai grand, je serai le père Noël, Grégoire Solotareff
- Le plus grand livre du monde, Richard Scarry (parce qu’on s’éclate avec, ma fille et moi)
- Tous les imagiers rétro de Ingela Peterson Arrhenius (parce que mon bébé-fils crie de plaisir en les voyant)
- Tout Kundera, avec un faible, bizarrement, pour L’identité.
- La Mecque-Phuket, Saphia Azzedine.
- L’Antigone d’Anouilh (même si ce n’est pas un roman.)
- Persépolis, Marjane Satrapi (roman graphique, roman quand même)
- Der Vorleser (ou Le liseur) de Bernhard Schlink.
- Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet
- Le vieux fusil, de Robert Enrico
- Élisa, de Jean Becker
- Snowcake, de Marc Evans
- Rainman, de Barry Levinson
5 CD :
- No need to argue, The Cranberries
- Lungs, Florence and the machine
- Bridge over troubled water, Simon and Garfunkel
- Toutes les compilations possibles et imaginables de la Motown
- Out of time, R.E.M.
5 artistes :
- Le Bernin
- Toutes les frangines Brontë
- Sempé
- John Lennon
- Florence Welch
5 lieux :
- Le resto Jacob soul food à Harlem, New York. On y sert une cuisine des états du Sud et des revisites en live des standards de la Motown.
- Les pubs de Galway, les pubs de Kilkenny, les pubs de Killarney. Je vous ai parlé des pubs ?
- Prague à Pâques, Pâques à Prague. Pour les odeurs, le froid, l’Histoire palpable, le folklore religieux et les souvenirs que j’y ai.
- Rome, la ville où je DOIS aller au moins une fois par an pour être heureuse. Avec la galerie Borghèse, le glacier San Crispino, la librairie française, le jardin botanique du Trastevere, les fontaines, la lumière et l’art, partout, tout le temps, même chez Dino et Tony, ce petit resto familial où le concept de la carte n’existe pas mais où ça chante, rit et mange sérieusement.
- Strasbourg, ma petite patrie, qui me manque atrocement alors que j’habite à 30 minutes. Mais, où que l’on soit, on est toujours trop loin de Strasbourg, de toute façon.
5 artistes
Bibliographie :
- La fourmi rouge, roman, Sarbacane (2017).
- L’ours qui ne rentrait plus dans son slip, livre-CD illustré par Félix Rousseau, Benjamins Médias (2017).
- Le génie de la lampe de poche, roman illustré par Joëlle Dreidemy, Sarbacane (2017).
- Série Suzon, albums illustrés par Amandine Piu, Gulf Stream éditeur (2017), que nous avons chroniqués ici et là.
- Y en a qui disent…, album illustré par Maurèen Poignonec, L’élan vert (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le bébé s’appelle Repars, album illustré par Isabelle Maroger, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les papas de Violette, album illustré par Gaëlle Soupard, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- L’horrible madame mémé, album illustré par Amandine Piu, L’élan vert (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Jean-Jean à l’envers, album illustré par Aurélie Guillerey, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La petite Sirène à l’huile, album illustré par Aurélie Guillerey, Sarbacane (2015), que nous avons chroniqué ici.
Aime les crêpes et les animaux rigolos.