Il y a quelques jours, je vous parlais de Pout et Pout, un super album bourré d’humour. J’ai eu envie d’en savoir plus sur sa co-autrice, Julie Gore, elle a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, je vous propose de revenir sur l’indispensable et très réussi Je suis qui ? Je suis quoi ? avec la conceptrice et éditrice du projet, Sophie Nanteuil, son auteur, Jean-Michel Billioud, et ses illustratrice et illustrateur, Zelda Zonk et Terkel Risbjerg. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Julie Gore
Parlez-nous de votre parcours
J’ai commencé dès le lycée à m’orienter dans les arts graphiques avec un CAP et un bac pro au lycée Corvisart à Paris, j’ai enchaîné avec la FCIL illustration dans la même école pour ensuite m’orienter en bande dessinée à l’école d’Angoulême (l’EESI), à côté de mes études j’ai commencé la colorisation en bande dessinée ce qui m’a amené à mettre un pied dans le milieu professionnel. J’ai sorti mon premier livre pour enfant Bonjour Madame avec Delphine Rieu l’année suivant mon diplôme.
Vous avez sorti en début d’année Pout et Pout, un album hilarant, pouvez-vous nous parler de ce projet ?
Pout et Pout sont nés quand j’ai essayé d’imaginer des personnages avec lesquels je puisse m’amuser avec leurs expressions sans m’embêter sur le reste, du coup j’ai fait des grosses têtes des gros yeux, des grosses bouches, des petites mains en ligne pour leur donner des directions et puis c’était tout. Quand Éric [NDLR : Éric Wantiez] est tombé sur ces personnages il a très vite eu envie d’en écrire une histoire je lui ai dit allez banco !
Cette histoire c’est une quête spatiale absurde, c’est drôle, c’est coloré, c’est mignon, c’est vraiment un prolongement de l’univers que j’avais imaginé au tout début de la création des personnages, à deux on a réussi à créer cet univers dont on est très fiers et qui nous fait beaucoup rire.
Éric parle même d’écrire une suite !
J’avais adoré Bonjour madame, super album sur le genre, et je vois que vous avez participé à un ouvrage collectif sur le féminisme, ce sont des sujets qui vous tiennent à cœur ?
Oui bien sûr, j’étais une petite fille qui était toujours à vouloir la justice ! Toujours à être absolument en colère contre les inégalités que je pouvais voir rien qu’à l’école, alors aujourd’hui en tant qu’adulte tout ça n’a pas vraiment changé, je jette juste moins de cartables par terre. Je ne peux pas dire que je suis militante féministe parce que je ne participe pas à des actions fortes, des manifestations, je n’axe pas toute ma création autour du sujet, mais je pense que dans ma vie de maman et de femme je suis féministe au quotidien.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
J’utilise du numérique sur Bonjour Madame et sur Pout et Pout, même si je fais toute ma préparation à la main, au crayon.
Avant ça je faisais beaucoup d’aquarelle et là j’y reviens sur les prochains projets, un livre pour enfant sur lequel je mélange des aplats d’aquarelle avec du numérique et sur le projet suivant encore ce sera entièrement fait à la main, à l’aquarelle, cela m’enchante ! Le dessin tradi me manquait.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Beaucoup de choses ! Comme beaucoup de dessinateurs, je suis très observatrice donc ça peut être la nature, les gens, les films, les artistes, ma fille, des événements du quotidien, des petites choses…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Petite j’ai toujours été fascinée par les livres d’images, le premier souvenir de livre que j’ai c’est Arc-en-ciel, le plus beau poisson des océans c’est un livre que j’ai adoré toucher, regarder, sentir, c’est un album dont je me souviens très bien, qui était à la maternelle, je pense que ma passion pour les images lisses colorées et à paillettes à commencé là.
Les magazines Les belles histoires m’ont fait le même effet.
Ensuite j’ai lu pas mal de BD, chez mes parents il y avait Rubrique-à-brac, Il y avait beaucoup de texte mais j’adorais regarder les dessins, j’ai découvert la beauté de la ligne grâce à Gotlib.
J’ai dévoré Titeuf aussi, que je dessinais beaucoup en primaire, d’ailleurs je me rappelle de camarades qui me demandaient de leur dessiner un Titeuf dans leurs cahiers de textes, c’est peut être là que j’ai commencé à en faire mon métier un jour !
Encore aujourd’hui je suis très très intimidée devant Zep.
Au lycée, j’ai découvert les librairies « Album », j’y ai trouvé du Baladi, du Trondheim, du Crumb, du Matt Konture… j’étais attirée par une BD sortie des codes classiques que j’avais pu rencontrer jusque-là chez mes parents ou à l’école.
(Tout en étant toujours aussi attirée par les albums jeunesse.)
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Je travaille actuellement sur un livre pour enfant écrit par Charles Le Prévost qui s’appellera « La savane emménage » qui devrait sortir au printemps aux éditions Makisapa, c’est un album pour enfants dans lequel on parle d’animaux sauvages qui arrivent un beau matin dans une ville.
Ensuite je prépare un livre avec Sibylline, Poussière la petite sorcière.
Je travaille également sur un livre collectif qui parlera du tournage du dernier film de Wes Anderson The French Dispatch qui a donc été tourné à Angoulême où je vis.
Sur ce livre collectif, je m’occupe de la direction artistique et illustre quelques pages. Voilà pour l’instant je suis bien occupée !
Bibliographie :
- Pout et Pout, avec Éric Wantiez, Lapin Éditions (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Qui craint le grand méchant homme ?, illustration d’un texte de Sophie Hérout et Frédérique Caillon-Cristofani, Eidola (2018).
- Bonjour Madame, illustration d’un texte de Julie Rieux et Nicolas Leroy, Eidola (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Poussière, la petite sorcière, autoédition (2018), commandable ici.
Retrouvez Julie Gore sur son site : https://www.juliegore.com.
Parlez-moi de… Je suis qui ? Je suis quoi ?
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Je suis qui ? Je suis quoi ? que nous revenons avec sa conceptrice et éditrice Sophie Nanteuil, son auteur Jean-Michel Billioud et son duo d’illustratrice et illustrateur Zelda Zonk et Terkel Risbjerg.
Sophie Nanteuil, conceptrice et éditrice :
Sur une manifestation littéraire, en juillet 2018, j’ai rencontré une enseignante de CM2. Un élève de sa classe était harcelé par d’autres car il avait déclaré son amour à un autre garçon. L’enseignante n’avait trouvé aucun livre pour aider l’enfant ou pour l’aider elle dans cet accompagnement. Je suis éditrice mais spécialisée en fiction. Des documentaires, je n’en avais jamais fait. Je suis d’abord allée voir en librairie pour me rendre compte qu’effectivement aucun livre sur les questions LGBTQ+, en dehors de romans, n’existait. Alors très vite, j’ai su quel livre je voulais faire. Je savais à qui il allait s’adresser : aux collégiens, à ces jeunes qui ont du mal à savoir qui ils sont, perdus entre la puberté qui commence, le regard des autres pas toujours tendre et les parents un peu dépassés, maladroits. Les lycéens pourraient s’emparer du livre mais il était important qu’il s’adresse en premier lieu à des ados qui en sont au début de leur questionnement pour certains, à ceux et celles qui ont des amis en souffrance ou encore à ceux qui pour s’amuser s’appellent « pédé » dans la cour de récré. Seulement, ce livre, je ne pouvais pas le faire seule. J’avais besoin d’un auteur de documentaires.
Le meilleur qui soit. Mais pas seulement. Je souhaitais une personne capable de s’impliquer, de sortir de sa zone de confort, d’avoir les épaules solides. Je n’ai même pas réfléchi. Lors d’un dîner quelques jours après mon tour en librairie, je me suis lancée, je lui ai expliqué le projet. Et Jean-Michel n’a pas hésité une seconde. Il ne m’a même pas laissé finir qu’il avait dit oui. On n’avait pas d’éditeur. Mais il savait que ce projet était nécessaire et il m’a fait confiance. Il a écrit les textes du livre et les scénarios des BD. Avec justesse, délicatesse. Il s’est documenté comme jamais. Il s’est mis en colère avec moi devant les injustices dont souffrent les personnes LGBTQ+, il a été souvent triste avec moi devant la souffrance de beaucoup de jeunes. Jean-Michel dit qu’il aime expliquer les choses compliquées. Dans notre livre, il a réussi sa mission.
Jean-Michel Billioud, auteur :
C’était le soir de la finale de la Coupe du monde de football 2018. Sophie a commencé à me parler de son projet et je ne l’ai pas laissé finir. J’ai dit oui, oui sans savoir que cela allait bouleverser les prochains mois de mon existence et bien au-delà. Sa confiance m’a touché, sa force de persuasion, légendaire, aurait pu jouer un rôle moteur mais ce n’était pas cela. J’étais déjà en colère avant. Les manifestations contre le mariage « pour tous » m’avaient horrifié. De très près. Beaucoup de personnes de mon entourage, je ne parle pas d’amis, ont manifesté, ont hurlé avec les loups, ont crié à des centaines de milliers de personnes, à des ados, fragiles par essence, qu’ils n’étaient pas « normaux », qu’ils n’avaient pas les mêmes droits que les autres. Je les entendais et je ne me suis pas battu contre eux. Pas assez. Et ce n’était pas digne. Alors j’avais cette colère en moi, rentrée. Avec l’idée de ce livre si indispensable, si évident, Sophie m’a redonné une voix et je lui en serai à jamais reconnaissant. Ensuite, j’ai fait ce que j’aime le plus au monde, avec l’appui bienveillant de Sophie qui m’envoyait tout ce qu’elle trouvait de pertinent. Me documenter comme jamais à la BNF, rencontrer la cellule harcèlement du ministère de l’Éducation nationale, écouter des centaines de récits, lire attentivement, au-delà de l’émotion, les témoignages de tous nos compagnons de route pour en déceler les points marquants, discuter avec des ados, essayer de faire comprendre ce qui est difficile avec des Q/R, tordre le cou aux idées reçues, donner des conseils utiles pour se défendre, montrer les évolutions positives dans le monde, écrire des scenarii de BD simples et éclairants pour donner des modèles lumineux… faire ce travail de documentariste qui est le mien depuis 25 ans et 150 livres. Mais il y a une sacrée différence avec un ouvrage encyclopédique, très utile et honorable par ailleurs. Cette fois-ci, mes mots peuvent aider, voire sauver un·e jeune en difficulté ou en perdition. Ils peuvent permettre à des parents, des enseignants, des proches, de répondre à des interrogations vitales. Et ce n’est pas rien dans une vie d’auteur.
Zelda Zonk, illustratrice :
Sophie m’a proposé d’illustrer Je suis qui ? Je suis quoi ? parce que nous travaillons souvent ensemble (on se connaît depuis longtemps).
Comme je n’aime pas trop faire de la BD, elle a proposé cette partie à Terkel. Je n’ai dessiné que les petites illustrations destinées à dédramatiser les propos.
J’ai eu la mise en page par petits bouts. Elle était montée par le studio graphique interne de Casterman à partir des textes relus et corrigés.
Je suis intervenue sur les doubles-pages qui contenaient plusieurs paragraphes, souvent des questions de lecteurs. C’était des parties qu’il fallait rendre moins austères. Sur une double-page de 4 ou 5 paragraphes, j’avais la liberté d’illustrer celui qui m’inspirait le plus. Tout en veillant à représenter des filles, des garçons, des blancs, des noirs… au fil du feuilletage.
Je n’ai rencontré personne de visu. Ce livre collectif s’est monté en se transmettant les éléments les uns aux autres, à différents stades d’avancement. Mon unique interlocuteur (en dehors de Sophie) était le graphiste de Casterman. Il m’a transmis une gamme colorée correspondant aux grandes parties du livre, gamme que j’ai suivie pour la mise en couleurs de mes dessins. C’est à lui que j’ai envoyé mes idées (mes « crayonnés » dans le jargon) pour obtenir une validation. Mes crayonnés ont quasiment tous été acceptés sans réserve, j’aime bien quand ça se passe comme ça ! 😉
Terkel Risbjerg, illustrateur :
Quand on m’a proposé le projet, j’étais immédiatement partant pour le faire.
Le sujet est trop important pour passer à côté.
Ma participation n’a pas été très politique, j’ai reçu des textes que j’ai mis en page pour raconter des destins de gens qui ont vécu réellement.
Le premier personnage dont je me suis occupé était Oscar Wilde, un auteur dont j’ai lu toute l’œuvre quand j’avais 20 ans et que je continue à apprécier pour son humour, son ironie, son élégance et sa finesse tout en étant horrifié de l’injustice de son destin.
Bien sûr je connaissais toutes les autres célébrités (à part Caitlin Jenner), mais j’ai fait une découverte qui m’a surpris.
Comme tout le monde je connaissais les grands tubes de Queen, mais sans les apprécier particulièrement.
En faisant ces pages de BD, je me suis mis à écouter leurs premiers disques des années ’70 et j’ai été ébloui par l’originalité de la première période de ce groupe.
La personnalité singulière de Freddie Mercury est très intéressante à mettre en image. Il aurait mérité 10 pages minimum.
C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble des personnes dont on parle. J’aurais aimé faire tout un album de biographies de personnalités LGBT, mais le format du livre ne le permettait pas.
Néanmoins, l’équilibre du livre est très bien tenu entre texte docu, portraits, dessins humoristiques et BD.
Je suis qui ? Je suis quoi ? Textes de Jean-Michel Billioud, illustrés par Terkel Risbjerg et Zelda Zonk sorti chez Casterman (2019), chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !