Aujourd’hui, c’est avec l’autrice-illustratrice Nathalie Paulhiac qu’on a rendez-vous. J’aime beaucoup son travail en général et son dernier album, De l’autre côté, m’a particulièrement séduit, j’avais envie de lui poser quelques questions. Ensuite, on file, telles des petites souris, dans l’atelier de Gilles Bachelet pour voir comment il crée. Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Nathalie Paulhiac
Parlez-nous de votre parcours.
Après avoir passé un BAC littéraire/arts plastiques, j’ai commencé des études artistiques à Paris. J’ai fait une école d’arts appliqués (école Boule) d’où je suis sortie avec un diplôme en expression visuelle-espace de communication (plus clairement cela consistait à créer des stands, des présentoirs commerciaux, des scénographies…) et puis je me suis envolée pour le Québec en échange « Socrates » l’équivalent d’Erasmus). Là j’étudiais le graphisme à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et j’avais choisi comme option « illustration ». Ce fut pour moi une révélation : je savais enfin ce que je voulais faire dans la vie !
De retour en France, je cherche une école pour suivre des cours dans ce domaine ; en France, la priorité étant donnée aux personnes sortant du BAC, pas mal de portes se sont fermées à moi. J’appréciais beaucoup le travail d’Anne Herbauts et en m’intéressant à son parcours j’ai vu qu’elle avait suivi l’enseignement de l’Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles ; alors me voilà partie à Bruxelles… Ceci était en 2002, et en 2017 je vis et travaille toujours là.
Pouvez-vous nous parler de De l’autre côté qui vient de sortir aux éditions Cépages ?
C’est une belle rencontre ! Souvent les mamans papotent à la sortie de l’école de leurs enfants ; et en « papotant » avec l’une d’entre elle, nous nous sommes rendues compte qu’une écrivait pour les enfants et que l’autre dessinait. Il n’y avait plus qu’à se mettre ensemble sur un projet.
J’ai donc lancé une phrase à Maylis et celle-ci à poursuivi l’histoire qui est devenue celle de Iris et Noé, les personnages de De l’autre côté.
Il fallait ensuite trouver un éditeur (chose difficile…). Nous avons envoyé le projet à beaucoup (beaucoup, beaucoup) de maisons d’édition et Bénédicte Petitot nous a répondu. Elle a monté sa maison Cépages en 2013 et produit des albums de qualité, attentive au texte, aux illustrations, à la qualité d’impression… bref elle aime son métier et ça se voit.
J’aimerai que vous nous disiez quelques mots sur un album plus ancien, Qui suis-je ? sorti chez Winioux.
Encore une belle rencontre avec Raphaëlle et Marion les deux éditrices de Winioux ; Qui suis-je ? était un projet que j’avais créé durant mes études aux Beaux-Arts ; dans mes recherches d’éditeurs (partie difficile du métier d’illustrateur mais nécessaire…) je suis tombée sur cette maison d’édition et elles ont aimé ce projet qui rentrait dans leur ligne éditoriale. Nous avons un peu modifié le projet de base mais dans l’ensemble il reste fidèle à ce que j’avais imaginé : ce livre parle des émotions qui nous animent ; je le présente dans les écoles en maternelle, il permet d’expliquer simplement aux enfants nos changements d’humeur qui arrivent à tout le monde et cela permet de dédramatiser les colères, les caprices…
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Je pratique une technique mixte : je fais les fonds à l’écoline en mouillant au préalable mon papier car j’aime bien me laisser surprendre par des taches non prévues. Sinon j’utilise beaucoup de papiers que je récolte à droite et à gauche (j’ai une collection de papiers dans mon atelier, des vieilles pochettes, des emballages de papier cadeaux, les emballages du boucher ou du fromager…) et pour les personnages j’utilise un papier un peu jauni par le temps.
Je dessine tout sur ces différents papiers (au crayon gris, crayons de couleurs, feutres) et ensuite je pratique ce que j’appelle ma « technique en pièces détachées » ; je réunis tous ces petits morceaux de dessins sur mon ordinateur où je fais la mise en page en utilisant Photoshop.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Partout, dans la rue ça peut être un visage, un vêtement qui me plaît, une affiche…
Je suis aussi très attentive aux associations de couleurs que je peux remarquer dans des pages de magazines par exemple.
Côté illustrateurs j’aime beaucoup le travail de Beatrice Alemagna, Géraldine Alibeu, Marc Boutavant, Magali Le Huche, Kitty Crowther.
Quelles étaient vos lectures d’enfant et d’adolescente ?
Les malheurs de Sophie, les Tom Tom et Nana dans les J’aime lire, Tintin, Caroline, Charlie et la chocolaterie.
Parlez-nous de vos prochains ouvrages
Je travaille en ce moment sur un nouvel album jeunesse également écrit par Maylis Daufresne (auteur de De l’autre côté) ; celui-ci paraîtra au printemps prochain aux éditions du Jasmin. C’est une histoire faite de chaleur, de rencontres et de transmission…
Bibliographie
- De l’autre côté, illustration d’un texte de Maylis Daufresne, Éditions Cépages (2017), que nous avons chroniqué ici.
- S’aimer, collectif, À pas de loup (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le mur, illustration d’un texte d’Anne Loyer, À pas de loup (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Ugo, tu rêves ?, illustration d’un texte de Pierre Coran, À pas de loup (2016).
- Qui suis-je ?, texte et illustrations, Winioux (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Oh les taches !, loisirs créatifs, Casterman (2010).
Quand je crée… Gilles Bachelet
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Gilles Bachelet qui nous parle de quand il crée.
Le plus dur, c’est de s’y mettre… Procrastination et surtout trac, après toutes ces années encore, de me confronter avec la feuille blanche. Passer du constat « il faudrait que je travaille » à la mise en pratique de la chose peut prendre chez moi très longtemps… Comme je suis par ailleurs enseignant dans une école d’art et que je fais pas mal de salons et de rencontres scolaires, c’est surtout durant les mois d’été que je me consacre vraiment à mes albums. Le reste du temps, ce sont plutôt des petits travaux ponctuels, des recherches d’idées ou des bêtises sur facebook. Une fois la machine enclenchée, et sur cette période limitée, j’arrive à m’astreindre à des horaires assez rigoureux. Huit à dix heures par jour sept jours sur sept, trois mois d’affilée…
À partir du moment où j’ai trouvé l’idée générale d’un album, les premiers crayonnés se font plutôt facilement et sans douleur. À ce stade là, je travaille dans des carnets. Je construis un chemin de fer plus ou moins définitif et trouve généralement les éléments de texte en même temps que les images sans passer par une étape spécifique d’écriture. C’est seulement après, au moment tristement nommé de « l’exécution », que les choses se gâtent… Comment passer d’un croquis spontané mais plein de fautes ou d’imprécisions à une illustration finalisée sans perdre en route la fraîcheur et le dynamisme du trait ? La technique d’aquarelle que j’utilise ne permet pas trop d’hésitations, de repentirs et de coups de gomme intempestifs… Je travaille donc d’abord sur des calques, souvent plusieurs successivement, jusqu’à l’obtention d’un dessin suffisamment juste et précis, tout en essayant de ne pas trop figer le trait… Ensuite seulement, je reporte le dessin sur le papier définitif. L’encrage et la couleur me posent moins de problèmes… Mon moment préféré est le passage des grandes surfaces d’aquarelle… Je ne me suis jamais lassé de ce matériau que j’utilise depuis 40 ans… l’étape de finition qui suit est plus longue et plus fastidieuse… J’ai souvent quatre ou cinq planches en cours à des niveaux de finalisation divers.
À l’époque où je vivais surtout de l’illustration en freelance pour la presse et la publicité, je travaillais beaucoup de nuit avec la radio allumée en permanence. Un jour, totalement démoralisé de travailler seul et coupé du monde (je n’étais pas encore enseignant, les réseaux sociaux n’existaient pas et, faisant peu de livres, je n’étais pas invité sur les salons), j’ai demandé à mon éditeur de l’époque, Patrick Couratin, si je pouvais venir m’installer quelques jours dans ses bureaux. C’était, en plus d’une maison d’édition, un studio de création graphique qui faisait essentiellement de l’affiche de spectacle. Je squattais un bureau dans une grande pièce où nous étions toujours trois ou quatre à travailler. Beaucoup de monde y passait et j’ai adoré travailler dans cette agitation. Venu là pour quelques jours, j’y suis resté sept ans, jusqu’à la mort de Patrick… J’y ai perdu l’habitude de travailler en musique. Revenu par la suite dans mon atelier, je n’en ai pas vraiment éprouvé le besoin et je continue à travailler sans fond sonore le plus souvent. Parfois, dans des phases d’exécution un peu fastidieuses, j’écoute des livres audio.
Pendant ces périodes d’été un peu intensives, j’ai tendance, de plus en plus, à m’entourer de petits rituels… Nettoyage quotidien du plan de travail, douche et rasage de près même si je sais que je ne mettrai pas le nez dehors de la journée, début et fin du travail à des heures précises, disposition des crayons et des pinceaux, toutes choses qui ne sont pas du tout dans ma nature plutôt bordélique… Enfin, chose peu avouable, j’ai une superstition un peu particulière : depuis une vingtaine d’année je collectionne les totottes trouvées dans la rue… Ce sont un peu mes trèfles à quatre feuilles de citadin… Ainsi, pour moi, la réussite d’un album est directement liée au nombre de totottes trouvées pendant la réalisation de celui-ci…
Gilles Bachelet est auteur et illustrateur.
Bibliographie :
- Une histoire d’amour, Seuil Jeunesse (2017).
- Une histoire qui…, Seuil Jeunesse (2016).
- La paix, les colombes !, avec Clothilde Delacroix, Hélium (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les Coulisses du Livre Jeunesse, L’atelier du poisson soluble (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Le Chevalier de ventre à terre, Seuil Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Madame Le Lapin Blanc, Seuil Jeunesse (2012).
- Des nouvelles de mon chat, Seuil Jeunesse (2009).
- Il n’y a pas d’autruches dans les contes de fées, Seuil Jeunesse (2008), que nous avons chroniqué ici.
- Quand mon chat était petit, Seuil Jeunesse (2007).
- Hôtel des voyageurs, Seuil Jeunesse (2005).
- Champignon Bonaparte, Seuil Jeunesse (2005).
- Mon chat le plus bête du monde, Seuil Jeunesse (2004).
- Le singe à Buffon, Seuil Jeunesse (2002).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !