Dernier rendez-vous des invité·es du mercredi avant l’été (à partir de la semaine prochaine, vous retrouverez la rubrique estivale Du berger à la bergère). J’avais envie de finir l’année en beauté avec l’autrice et l’illustrateur du meilleur roman jeunesse que j’ai lu ces derniers temps : Les filles montent pas si haut d’habitude. Je vous propose donc une interview d’Alice Butaud, puis de partir en vacances avec François Ravard.
L’interview du mercredi : Alice Butaud
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots Les filles montent pas si haut d’habitude, votre dernier roman ?
C’est l’histoire de Timoti. C’est un garçon qui passe beaucoup de temps dans sa tête. Et quand il n’y est pas, il vit avec son père Gérard à qui il pose un tas de questions, notamment sur l’absence de sa mère, auxquelles Gérard ne répond pas. Un jour, Diane, une inconnue sans-gêne et sans chaussures, débarque à sa fenêtre pour le « délivrer », soi-disant. Mais Timoti ignore complètement qu’il est prisonnier. Et l’aventure c’est pas du tout son truc.
Comment est née cette histoire ?
Le point de départ de cette histoire est une image : celle d’un garçon en haut d’une tour, qui rêvasse à sa fenêtre. Au pied de cette tour, il y a une fille. Elle se bat contre une tondeuse à gazon en s’imaginant que c’est un dragon qui garde une princesse prisonnière comme dans les contes que je lisais enfant.
Ce roman est un régal à lire à voix haute, votre écriture se prête particulièrement bien à cette façon de lire. Est-ce que le fait d’être comédienne influence votre écriture ? Est-ce ça qui fait que lorsqu’on vous lit à voix haute on prend autant de plaisir ?
Je suis très heureuse que vous trouviez que ce soit un régal, merci ! Quand on écrit, on travaille à trouver une certaine musique. On entend les voix des personnages aussi. Depuis toujours, je dialogue beaucoup dans ma tête. Ça a dû constituer un entraînement malgré moi. Écrire des dialogues est ce qui m’amuse le plus et ce qui me vient le plus facilement. Le fait d’être comédienne et d’avoir lu pas mal de pièces de théâtre y contribue certainement. Pendant ma scolarité, je n’aimais pas lire. Comme Diane, je détestais l’autorité. Je n’écoutais rien et je ne lisais pas les livres qu’on nous demandait de lire. Je devais avoir l’impression qu’on voulait me mettre des trucs de force dans la tête, alors j’étais hermétique à tout. C’est curieusement la lecture de pièces de théâtre qui m’a amenée aux romans.
Les deux personnages sont diamétralement opposés, vous vous sentez plus proche de Timoti ou de Diane ?
Des deux ! Parce que comme tout le monde je pense, j’ai plein de contradictions. Un jour, je me sens aussi timide et agoraphobe que Timoti. Et le lendemain, je parle à tout le monde dans la rue et je ris à gorge déployée.
Après, j’aurais plutôt tendance à prôner le changement et l’aventure comme Diane, alors même que je passe ma vie à mon ordinateur dans ma tour-salon !
J’aimerais que vous nous parliez de votre parcours
J’écrivais beaucoup quand j’étais très jeune : des chansons, des poèmes, des cadavres exquis, des histoires… Et puis j’ai complètement arrêté, à partir du collège peut-être. J’avais des mauvaises notes en français. Je partais au fil de la plume. Je m’emballais comme un poney fougueux. Je ne devais pas beaucoup respecter les consignes (je ne les lisais peut-être même pas en entier) et je faisais un million de fautes d’orthographe. Je suis un peu dyslexique. J’étais convaincue que je ne savais pas écrire. Pendant ma formation de comédienne, j’étais ouvreuse dans un théâtre. Pour pallier l’ennui, je me suis remise à écrire. Des chansons d’abord. Puis des pièces de théâtre qui sont devenues des pièces radiophoniques, des histoires qui sont devenues des livres, des scénarios qui sont devenus… rien du tout. Je pense toujours que je ne sais pas écrire, mais j’aime ça, je le fais, et tant pis. Et je fais beaucoup moins de fautes d’orthographe. Tout simplement parce que je m’en soucie maintenant ! Et que je tourne sept fois mes doigts dans ma main avant d’écrire.
Vous êtes la fille d’une des plus grandes autrices jeunesse, Geneviève Brisac, qu’est-ce qu’elle vous a apporté en tant qu’autrice ?
Elle m’a raconté un milliard d’histoires qu’elle inventait sur le moment.
Elle m’a transmis le don de trouver des trèfles à quatre feuilles. Mais je ne suis pas sûre que ça apporte grand-chose en tant qu’autrice. Les gens vous voient regarder par terre et pensent soit que vous avez perdu quelque chose soit que vous êtes folle.
Sinon la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été poreuse. Ce n’est pas très pratique quand on veut être dentiste (quoi de plus réel qu’une rage de dent ?), mais quand on veut raconter des histoires, ça va.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Ma mère m’obligeait à ne lire que ses livres. Je n’avais absolument pas le droit de lire autre chose, même pas une petite notice de médicament ou l’emballage d’une boîte de choco pops. Rien.
Non, je rigole.
Je ne me souviens pas très bien. Ma grande sœur est hypermnésique. Moi, je suis amnésique. Elle a tout pris. Mais j’ai hérité de sa bibliothèque. Ça allait des J’aime lire à Lobel, Gripari, Ungerer en passant par Nadja, Desarthe, Seyvos et Sendak. Et puis ado, comme je vous l’ai dit, je lisais très peu de romans. Je lisais des poèmes d’Apollinaire, de Michaux et des pièces de Racine, de Marivaux, de Pinter…
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Mon prochain roman jeunesse raconte les tribulations de Catarina dont la vie est bouleversée par l’arrivée d’un bébé.
Celui qui suivra normalement (il faut que je l’écrive) s’intitule « Ma vie est un roman (de ma mère) ». C’est l’histoire de Sophie qui devient une pestiférée dans son collège après une découverte familiale embarrassante.
Bibliographie :
- Les filles montent pas si haut d’habitude, roman illustré par François Ravard, Gallimard Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Les trois cœurs, roman co-écrit avec Marika Mathieu, illustré par Soledad Bravi, L’école des loisirs (2016).
- Les zozos, roman co-écrit avec Marika Mathieu, illustré par Soledad Bravi, L’école des loisirs (2015).
- La vie volée de Becca Pie, roman illustré par Boaz Lehahn, L’école des loisirs (2015).
- La mère Noël, pièce co-écrite avec Geneviève Brisac, L’école des loisirs (2012).
En vacances avec… François Ravard
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un·e, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… Cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte avec nous que ces choses-là, on ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… Sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’iel veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec François Ravard que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse
- King Kong, de Christophe Blain, texte de Michel Piquemal
- Raoul Taburin, de Sempé
- La petite grenouille qui avait mal aux oreilles, de Voutch
- Les trois brigands, de Tomi Ungerer
- Les riches heures de Jacominus Gainsborough, de Rebecca Dautremer
5 romans
- Avenue des Géants, de Marc Dugain
- L’appel de la forêt, de Jack London
- La position du tireur couché, de Jean-Patrick Manchette
- Le serrurier volant, de Toni Benacquista
- Fantasia chez les ploucs, de Charles Williams
5 DVD
- Fargo
- The Office
- Les vacances de monsieur Hulot
- Impitoyable
- L’Empire contre-attaque
- Les triplettes de Belleville
5 CD
5 BD
- Les petits ruisseaux, Rabaté
- 120 rue de la Gare, Malet/Tardi
- La légèreté, Meurisse
- ZAI ZAI ZAI, Fabcaro
- Panade à Champignac, Franquin
5 artistes
- Édouard Manet
- Ron Mueck
- Henri Rivière
- Edward Hopper
- Chas Addams
5 lieux
- Les bords de Dordogne en pleine canicule.
- Cezembre, l’inhabitée (ou presque).
- La croix de Chamrousse en pleine tempête de neige.
- Le pont des Amours à Annecy, à deux.
- La plage double de Porto Giunco, en Sardaigne, à l’heure de l’apéro.
François Ravard est illustrateur, dessinateur et scénariste. Parmi ses dernières parutions Les filles montent pas si haut d’habitude dont le texte est signé Alice Butaud (cf. ci-dessus) publié par Gallimard Jeunesse et, plus récemment, les deux premiers opus de Clovis et Oups, une série d’albums jeunesse écrits par Aurélie Valognes et édités par Flammarion Jeunesse.
Bibliographie jeunesse :
- Le tout petit monsieur et la très grande dame, roman, illustration d’un texte de Claire Renaud, Gallimard Jeunesse (à paraître en aout 2022).
- Clovis et Oups : Marins d’eau douce, album, illustration d’un texte d’Aurélie Valognes, Flammarion Jeunesse (2022).
- Clovis et Oups : La belle vie, album, illustration d’un texte d’Aurélie Valognes, Flammarion Jeunesse (2022).
- Léo des villes Léo des champs, roman, illustration d’un texte de Jean-Phillipe Arrou-Vignod, Gallimard Jeunesse (2022).
- Vague d’amour, BD, scénario et dessins, Glénat (2021).
- Les filles montent pas si haut d’habitude, roman, illustration d’un texte d’Alice Butaud, Gallimard Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Le chant de Loon, album, illustration d’un texte de Kochka, Flammarion Jeunesse (2021).
- Pas un jour sans soleil, BD, scénario et dessins, Glénat (2018).
- Elvis, BD, dessins, scénario de Joël Legars, Carabas (2008).
Retrouvez François Ravard sur le site de sa galerie : https://www.lagaleriealfred.fr.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !