Sophie Blitman a sorti un très beau documentaire sur le sommeil aux éditions Actes Sud Junior, j’ai eu envie de l’interviewer à cette occasion. Comme cet album est illustré par Ella Coutance, je me suis dit que c’était une bonne idée d’aller voir comment elle crée !
L’interview du mercredi : Sophie Blitman
Pouvez-vous nous présenter Dis, tu dors ?
Dis, tu dors ? est un album documentaire qui explore le sommeil sous toutes ses facettes : scientifique, historique, culturelle… C’est un sujet bien plus riche qu’il n’y paraît !
En ce qui concerne les rêves, par exemple, je parle aussi bien du sommeil paradoxal, cette phase durant laquelle notre cerveau est très actif, que des prophéties antiques, de l’invention de la psychanalyse ou encore de Mara, la méchante déesse qui, d’après les légendes nordiques, provoque nos cauchemars…
Comment est né cet album ?
Entre les enfants qui n’ont pas envie d’aller se coucher le soir, ceux qui ont du mal à se lever le matin (qui sont d’ailleurs parfois les mêmes !) ou encore ceux, nombreux, qui ont des accès de somnambulisme, le sommeil est souvent un sujet sensible. Donner aux enfants les clefs pour comprendre comment fonctionnent leur corps et leur cerveau est une manière de le dédramatiser.
J’ai donc proposé ce projet à Actes Sud Junior, avec qui j’avais déjà travaillé, car sa dimension à la fois pédagogique et ludique correspond bien à l’esprit de cette maison. Quant à Ella Coutance, ses illustrations apportent à l’album une touche personnelle et très colorée.
Quelles recherches avez-vous faites pour ce livre ?
Comme pour tout documentaire, je me suis appuyée sur différentes sources : études scientifiques, articles de journaux, livres historiques… Une fois ce matériel rassemblé, le travail d’écriture consiste à rendre les informations légères et accessibles aux enfants à partir de 8 ans.
L’objectif est en effet de nourrir leur curiosité en répondant à leurs questions (est-ce possible de ne pas dormir du tout ? Est-ce que tout le monde rêve, même les animaux ? Pourquoi bâille-t-on ?…) et en leur racontant des histoires : celle des rois de France qui dormaient assis, du peintre Dali qui faisait de micro-siestes pour stimuler sa créativité ou celle, imaginaire, du dieu Morphée qui a donné son nom à la morphine.
Qu’est-ce que vous avez découvert dans vos recherches pour ce livre qui vous a le plus surprise ou marquée ?
Je m’intéresse au sommeil depuis de nombreuses années, mais j’ai fait, à l’occasion de ce livre, quelques découvertes amusantes : par exemple, des chercheurs ont montré que l’on dit beaucoup d’insultes en dormant ! J’ai aussi appris qu’à l’origine, le marchand de sable n’était pas si gentil que cela…
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Après des études littéraires, j’ai été professeure de français puis journaliste, spécialisée dans l’éducation. Il y a cinq ans, je me suis lancée dans l’écriture de livres, surtout pour enfants. C’est aujourd’hui ma principale activité, que j’exerce à Stockholm, en Suède, où je vis. Je continue ainsi à transmettre des connaissances et partager des histoires.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai toujours aimé varier les genres : enfant, j’ai dévoré les enquêtes d’Agatha Christie et celles d’Alfred Hitchcock aussi bien que les aventures d’Astérix. J’ai aussi beaucoup voyagé dans le temps avec les romans historiques d’Odile Weulersse, tout en goûtant à la fabuleuse fantaisie de Susie Morgenstern.
D’autres nouveautés ?
Deux albums viennent de paraître : Le Grand livre des animaux de l’extrême (La Martinière jeunesse) que j’ai co-écrit avec une amie biologiste et un livre sur Dieu dans la collection Mes p’tits pourquoi de Milan. J’ai aussi un projet de livre sur les lieux mythiques de la navigation et un autre sur le cerveau : des sujets très différents qui sont autant de découvertes à partager !
Bibliographie jeunesse sélective :
- Le Grand livre des animaux de l’extrême, co-écrit avec Juliette Ravaux, illustré par Claire Martha, La Martinière Jeunesse (2022).
- Dieu, illustré par Annick Masson, Milan (2022).
- Dis, tu dors ? Tout savoir sur le sommeil, illustré par Ella Coutance, Actes Sud Junior (2022).
- Je me pose des questions sur la mort. C’est normal ?, illustré par Caroline Modeste, Auzou (2022).
- Un monde arc-en-ciel. L’écologie en couleurs, illustré par Stéphanie Eden, Grenouille éditions (2021).
- Des robots et des hommes, illustré par Céline Manillier, Les éditions du Ricochet (2021).
- De la graine à l’assiette, illustré par Aki, Actes Sud Junior (2021).
- Mission Dinosaures, illustré par Dofresh, Fleurus (2021).
- Jamais l’un·e sans l’autre. Les célèbres duos de la littérature, illustré par Gérard Dubois, Actes Sud Junior (2020).
- Femmes libres. Elles ont osé être elles-même !, illustré par Annette Marnat, Fleurus (2019), que nous avons chroniqué ici
Retrouvez Sophie Blitman sur son site : http://sophie-blitman.fr.
Quand je crée… Ella Coutance
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Ella Coutance qui nous parle de quand elle crée.
Au début d’un projet, je fais tout un tas de recherches sur mon sujet.
J’écoute des émissions, je lis des livres, des articles, je collecte des images inspirantes…
Je remplis mes carnets de notes et de petits croquis. Une fois que j’ai réuni tous ces documents, je les digère. J’ai souvent une idée globale de ce que je veux faire, mais il me faut un moment pour que les éléments s’emboîtent, comme les pièces d’un puzzle.
Je travaille la plupart du temps depuis chez moi. J’ai de la chance, la fenêtre de mon bureau donne sur mon jardin. J’ai une grande bibliothèque, des plantes, une multitude de petits jouets et de jolies images. Mais comme j’aime beaucoup voyager, je me suis acheté une tablette pour pouvoir dessiner de n’importe où, dans le train, chez des copains, sans avoir à transporter tout mon matériel. C’est une liberté que peut m’offrir mon travail, alors j’en profite.
Quand j’écris, j’ai besoin d’être au calme : sans bruit, ni musique, de préférence toute seule et le matin. J’ai du mal à rester concentrée une journée entière. Parfois, les idées viennent d’un coup et j’écris pendant une demi-heure sans m’arrêter. Ensuite, je passe une heure à regarder par la fenêtre pour m’en remettre. J’ai appris à accepter de ne pas être productive ou inspirée tout le temps.
Parfois, j’ai simplement besoin de faire d’autres choses pour me libérer l’esprit et y voir plus clair. Je rêve beaucoup. J’aime bien me raconter des histoires quand je me promène. Je jardine, je vais au cinéma…
Quand je dessine c’est différent, ça peut être n’importe où et n’importe quand.
Que ce soit mon texte que j’illustre ou celui de quelqu’un d’autre, je procède de la même façon. D’abord, je fais le chemin de fer du livre : je dessine de tout petits croquis avec mes idées de compositions pour chaque page.
Je passe ensuite à un crayonné propre. Je réfléchis aux principales lignes directrices, à la dynamique de l’image et je précise mes formes.
Les dessins que je préfère faire ne sont pas forcément ceux que je trouve « beaux », mais ceux qui me font rire. Comme ce petit chien qui tire la langue. J’aime beaucoup dessiner des petits détails cachés, m’inventer des histoires dans l’histoire.
Une fois que je suis sûre de mon image, j’encre les contours et, enfin, je la mets en couleur. C’est une étape que j’aime beaucoup parce que je n’ai plus besoin de réfléchir. Quand j’écris ou que je fais les croquis, j’ai le cerveau en ébullition. La couleur, c’est la récré ! J’aime bien écouter de la musique. En ce moment, c’est souvent l’album Plantasia de Mort Garson. C’est un album destiné aux plantes, pour qu’elles soient heureuses et poussent bien. J’adore, ça me met de très bonne humeur ! D’autres fois, je préfère écouter des histoires ou des émissions de radio.
Si je reste seule trop longtemps, je m’ennuie. Je perds beaucoup de temps à remettre en question mon travail. C’est important d’être entouré, de pouvoir discuter de ses projets avec des amis, d’avoir un regard extérieur.
En ce moment par exemple, j’écris et j’illustre un album à quatre mains avec Simon Bailly. Tout va beaucoup plus vite ! L’un rebondit sur les idées de l’autre et lorsque nous avons un doute, nous le solutionnons vite. C’est très stimulant.
Ella Coutance est illustratrice. Son dernier album, Dis, tu dors ? Tout comprendre sur le sommeil — voir interview ci-dessus —, est paru en août dernier aux éditions Actes Sud Junior. Elle a été également scénariste pour le magazine Georges.
Bibliographie :
- Dis, tu dors ? Tout comprendre sur le sommeil, illustration d’un texte de Sophie Blitman, Actes Sud Junior (2022).
- Une histoire de neige, illustration d’un texte de Madeleine Assas, Actes Sud Junior (2022).
- Sauver les animaux sauvages, illustration d’un texte de Florence Pinaud, Actes Sud Junior (2021).
- Papi 1er, roi des épices/Espèce de cucurbitacée, illustration de textes de Nathalie Clément et Yves-Marie Clément, Les éditions du Pourquoi Pas (2019).
- Des lions même pas en cage, illustration d’un texte d’Arnaud Tiercelin, Les éditions du Pourquoi Pas (2018), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Ella Coutance sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !