Olympe Perrier est une nouvelle venue dans l’édition jeunesse et pourtant on sent déjà chez elle une belle maturité et beaucoup de talent. Je vous propose de faire plus ample connaissance avec elle aujourd’hui. Ensuite, c’est une autrice que l’on aime beaucoup, Anne Cortey, qui nous livre ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Olympe Perrier
Racontez-nous votre parcours
On peut dire qu’il a été long et tortueux !
J’ai toujours raconté des histoires, que ce soit avec mes crayons ou ma plume. À l’élémentaire, j’illustrais en classe les textes qui servaient de support aux cours de grammaire… J’ai eu de la chance, on ne m’a jamais grondé pour ça !
Adolescente, j’ai continué à dessiner et écrire. Ma seule autre passion était la lecture.
Je dévorais tout ce qui me tombait sous la main.
Est arrivé le moment de choisir son orientation scolaire. Pour la génération de mes parents, choisir une voie dite artistique était impensable si vous n’aviez pas dans votre entourage une personne qui exerçait une telle profession. Une personne qui serait la preuve vivante que l’on peut vivre de ces métiers. Et ce n’était pas mon cas bien sûr.
Après des études supérieures très rébarbatives où il n’était plus question que d’Économie, de Contrôle de gestion et autres joyeusetés, j’ai travaillé pour un groupe d’ameublement et de décoration à Paris.
J’avais enfin l’indépendance financière ! J’ai enchaîné cours du soir, stages de dessin, peinture, gravure, écriture… Puis j’ai découvert le salon du livre à Montreuil et là, c’est devenu une évidence, la littérature jeunesse serait toujours ma passion ! Je ne pouvais plus faire semblant de l’ignorer.
Mais je souffrais du syndrome de l’imposteur : j’avais l’impression que de ne pas avoir suivi la voie classique des écoles d’art m’interdisait à tout jamais de travailler dans ce secteur. Je n’osais rien envoyer aux éditeurs, de peur de leur faire perdre leurs temps et de me faire rire au nez.
Et puis il a fallu un malheur : en 2007, j’ai eu un petit garçon atteint du syndrome de Di Georges, qui est mort en très bas âge. J’étais morte à l’intérieur. Il a fallu que je me reconstruise. C’est là que j’ai réalisé qu’on ne vivait qu’une fois et que je ne voulais pas vivre une vie de regrets. Je me devais de réaliser mes rêves, moi qui avais la chance de pouvoir le faire. Je n’avais plus rien à perdre : Je me suis lancée. Et me voilà aujourd’hui.
Pouvez-vous nous parler de votre travail sur Il n’y a pas d’âge pour philosopher ?
J’avais déjà travaillé avec Juliette Grégoire, l’éditrice de L’Initiale peu de temps avant. Elle m’a appelé la veille de Montreuil 2017 pour me parler d’un nouveau projet. J’ai tout de suite été emballé par le concept de cet album ovni !
Pour beaucoup, la philosophie est un domaine réservé à un petit groupe d’adultes. Le texte de Edwige Chirouter démonte ces idées reçues !
Il ne faut pas sous-estimer les enfants : ils sont capables d’aborder tous les sujets. Philosopher, quand on t’explique comment y jouer, ça devient un jeu d’enfants, comme une marelle qu’on partage avec les copains à la récré. C’est l’image qui m’est tout de suite venue à la lecture du texte.
Mon rôle a été de mettre en images cette idée.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
J’aime varier les techniques : du numérique mais également du traditionnel.
Ça permet d’aborder un large panel de textes. C’est un peu comme parler plusieurs langues : on peut discuter avec plus de monde.
J’aime particulièrement l’aquarelle et le crayon de couleur. Mais je ne m’interdis rien.
J’aimerais travailler sur des projets autour du collage et de la gravure.
Ce n’est pas forcément très stratégique car on a du mal à nous mettre dans une case et donc à nous définir.
L’important pour moi c’est d’accompagner le texte avec l’expression visuelle qui sera la plus enrichissante pour le livre, pour arriver à des albums que petits et grands auront plaisir à partager au fil des années. Et qu’ils auront envie de transmettre à leur tour une fois grand.
Avec le très beau Pourquoi le soleil aime la soupe, c’est votre second album chez L’Initiale, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre collaboration avec cet éditeur ?
Merci beaucoup ! La rencontre avec l’Initiale a été le fruit de plusieurs autres. Tout d’abord la rencontre avec Catherine Blanchard, qui reprenait une librairie indépendante. Nous sommes devenues proches et j’ai fini par avouer ce que je faisais en secret dans mon atelier. Elle a été une des premières personnes à croire en mon travail. C’est elle qui m’a présenté à Arnaud Tiercelin qui est auteur la nuit et enseignant le jour. J’avais lu son magnifique album Endors-toi Barbara sans même savoir que nous étions quasiment voisins !
Quand Catherine a inauguré sa librairie, elle a demandé à Arnaud d’en être le parrain et àmoi de lui créer une affiche. Nous nous sommes rencontrés au milieu des livres et du bon vin de Gironde. Il m’a confié un texte et je lui ai proposé quelques illustrations.
Puis Arnaud a été contacté par l’Initiale pour un autre texte et il a montré les planches de ce précédent projet à Juliette Grégoire.
Pour Pourquoi le soleil aime la soupe, j’ai donc repris le style graphique un peu rétro que j’avais développé pour cet autre texte.
Avec Juliette, malgré la distance géographique, la collaboration est très facile ! Elle est très ouverte aux propositions. On travaille dans une ambiance vraiment dynamique et enthousiaste !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Ouh, la liste est très très longue !
Mais en tout premier, celui qui m’a donné envie de faire ce métier : Tomi Ungerer. J’ai lu et relu Le géant de Zeralda, Le chapeau volant, Crictor… Son ouverture d’esprit, sa malice débordait des pages. Pas de langue de bois avec lui et c’est bien ce qu’attendent les enfants de la part des adultes ! Un enfant c’est un adulte en devenir.
J’adorais Mitsumasa Anno (La fleur du roi, Ce jour là…) qui avait un univers incroyable, plein de détails.
Gabrielle Vincent m’a fait rire et pleurer avec Ernest et Célestine.
Les fables de la Fontaine, Les contes de la rue Broca…
Et puis à la maison, on avait l’encyclopédie Tout l’univers, héritée de mon père et ma tante.
Le plus beau des cadeaux quand on a 8 ans !
Cucul la praline de Susie Morgenstern a été un livre qui m’a fait du bien et m’a donné le courage d’être différente de mes camarades.
À 11 ans, j’ai lu Anne Franck et ç’a été une claque. C’est d’ailleurs grâce à une illustration sur un manuel scolaire que je suis allée chercher ce livre au CDI de mon collège. On y voyait des gens marcher dans la rue avec une étoile jaune accrochée sur leurs manteaux. Je ne comprenais pas. Pour moi, c’était l’insigne du shérif ! Et là, il y en avait plusieurs, de tous les âges et dans la même ville ? Avec Anne, j’ai découvert ce que certains adultes étaient capables de faire et j’ai tourné la page de l’insouciance.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Kitty Crowther. Moi et rien, La visite de petite mort, Annie du lac… Ces livres sont bien la preuve qu’il ne faut pas cloisonner la littérature. Il n’y a pas de thèmes réservés aux petits et d’autres aux grands. Les enfants peuvent tout entendre, il suffit de trouver les mots.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je partage mon temps entre écriture et illustration.
Je viens de terminer l’écriture de 3 albums qui sortiront chez Magnard en 2019 et qui seront illustrés par la talentueuse Alexandra Pichard.
Je travaille actuellement sur un nouvel album qui sortira chez une jeune maison d’édition, La pimpante, en 2019. Ce sera mon premier album en tant qu’auteure et illustratrice. Beaucoup d’enfants commencent à juger leurs propres dessins, à brider leur créativité vers le CP/CE1. Ils ne se sentent plus libres de dessiner comme avant l’apprentissage de l’écriture. Quand on discute avec eux, ils disent qu’ils n’ont pas d’idées. Ça m’a donné envie d’en parler.
J’enchaîne ensuite avec d’autres projets d’écriture et d’albums complets. Les journées me semblent trop courtes en ce moment : j’adore ça !
Bibliographie :
- Il n’y a pas d’âge pour philosopher, illustration d’un texte d’Edwige Chirouter, L’initiale (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Fil après fil, texte illustré par Thanh Portal, Le Grand Jardin (2018).
- Pourquoi le soleil aime la soupe, illustration d’un texte d’Arnaud Tiercelin, L’initiale (2018), que nous avons chroniqué ici.
Quelques liens :
http://olympeperrier.ultra-book.com
https://www.facebook.com/olympe.perrier
https://www.instagram.com/olympe_perrier
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Anne Cortey
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Anne Cortey qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Coup de gueule ?
Coup de gueule ? Je me suis creusé la tête, j’ai laissé passer les jours, les semaines, je me suis encore creusé la tête, je me suis rongé les ongles, arrachée les cheveux. Et non, je me suis dit non. Des coups de gueule, j’en ai, bien sûr, difficile de ne pas en avoir. Mais ils font partie de mon intime. Ils m’appartiennent à moi seule et ils ne peuvent pas trouver de place ici. En tout cas, je ne le souhaite pas, ça ne me ressemblerait pas. Je préfère de loin parler de ce que j’aime. Les coups de gueule, aujourd’hui, je les enferme dans une boîte et je les laisse tomber.
Coups de cœur
Solaire de Fanny Chartres, collection Neuf, L’école des loisirs.
Solaire. Le titre, d’abord. Ce mot précieux, gorgé de vitalité et de lumière. Le roman de Fanny Chartres est à l’image de son titre. Et pourtant, il y a un nœud dans cette histoire. Plusieurs, même. Mais ce qui compte, c’est l’énergie que déploie Ernest, le personnage principal, pour que la vie reste au premier plan. Celle de sa sœur, en particulier. Sa sœur qu’il aime plus que tout. Pour que la flamme de Sara se rallume, il est prêt à toutes sortes de stratagèmes. Bien sûr, rien n’est simple. Ernest se débat avec son loup, métaphore des démons qui nous poussent à baisser les bras. Mais Ernest gagnera sa bataille. La fraîcheur de ce personnage illumine le texte et Fanny Chartres écrit avec tant justesse que l’émotion nous embarque. Ce roman est un petit bijou.
Truffe et Machin de Émile Cucherousset, collection petite polynie, éditions Memo.
À peine, la première page lue, j’ai su que j’allais follement aimer ce livre. Truffe et Machin, ce sont deux lapins un peu fantasques. Le ventre de Machin gargouille, c’est un gourmand, qui a faim tout le temps. Truffe a les oreilles qui picotent, et ça, c’est signe, qu’une idée lumineuse est en train de germer. Mais les idées, ça se perd (comme les dents, d’ailleurs). Après il faut les retrouver. Et c’est tout une aventure ! Truffe et Machin, ce sont trois histoires qui donnent raison aux rêveurs et à l’inventivité de l’enfance. C’est le type de livre que tu dégustes avec ton enfant, et que tu voudrais, pour une fois, vraiment sans fin. Ce sont de petites histoires, mais elles sont immenses. Avec un grand I !
Après avoir fait mon choix sur ces deux livres, j’ai réalisé qu’ils étaient tous deux illustrés par la même personne. Ça tombe bien, j’aime beaucoup, énormément, passionnément les dessins de Camille Jourdy. Ses images éclairent avec douceur et délicatesse ces textes-là.
Bibliographie sélective :
- Les petits mots d’Amos, texte illustré par Janik Coat, Grasset Jeunesse (2018).
- Pêche à l’arc, texte illustré par Benoît Perroud, Mango jeunesse (2018).
- L’année ordinaire de l’extraordinaire Olga, texte illustré par Marion Piffaretti, Thierry Magnier (2018).
- Entre les gouttes, texte illustré par Vincent Bourgeau, l’école Des Loisirs (2017).
- Chat pas moi !, texte illustré par Frédéric Benaglia, Sarbacane (2017).
- Le souffle de l’été, texte illustré par Anaïs Massini, Grasset Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le voyage d’Ignacio, texte illustré par Vincent Bourgeau, Grasset jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Avec des lettres, texte illustré par Carole Chaix, À pas de loups (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Aujourd’hui Amos, texte illustré par Janik Coat, Grasset jeunesse (2016).
- Petite, texte illustré par Audrey Calleja, éditions À pas de loups (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits jours de Kimi et Shiro, texte illustré par Anaïs Massini, Grasset jeunesse (2015).
- Une vie d’escargot, texte illustré par Janik Coat, Autrement jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Nuit d’hiver, texte illustré par Anaïs Massini, Autrement jeunesse (2012).
- Muette, texte illustré par Alexandra Pichard, Autrement jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Amos et les pissenlits, texte illustré par Janik Coat, Autrement jeunesse (2011).
- Amos et les gouttes de pluie, texte illustré par Janik Coat, Autrement jeunesse (2011).
- Les ailes d’Anna, texte illustré par Anaïs Massini, Autrement jeunesse (2009).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !