Pour ce nouveau rendez-vous des invité.e.s du mercredi c’est avec Isabelle Arsenault et Marie Sellier que nous avons rendez-vous. La première a accepté de répondre à nos questions, la seconde nous livre ses coups de cœur et coup de gueule… enfin presque ! Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Isabelle Arsenault
Comment est né le projet Une berceuse en chiffons et comment avez-vous travaillé sur cet album ?
La maison d’édition américaine Abrams (NYC) a contacté mon agent pour me proposer d’illustrer ce texte. J’étais de passage à New York justement à ce moment-là alors j’en ai profité pour aller rencontrer l’éditrice avec mon agent afin qu’elle nous parle un peu du projet. Je l’ai trouvée d’emblée très sympathique. Elle parlait avec passion de ce texte qui l’avait beaucoup touché et de Louise Bourgeois, cette artiste exceptionnelle. Dès que j’ai lu le manuscrit, j’ai été à mon tour conquise. J’ai aimé le ton direct et évocateur. J’étais déjà sensible au travail de Louise Bourgeois mais c’est au travers de mes recherches, que j’ai découvert l’ampleur de son œuvre : une matière première très inspirante autour de laquelle j’ai développé mon approche graphique. J’ai voulu lui rendre hommage en citant à travers mes illustrations quelques détails faisant référence à certaines de ses œuvres.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Je dois d’abord être touchée pour être inspirée par un texte — soit par le sujet ou par l’écriture, idéalement par les deux. J’aime les projets qui me permettent d’explorer de nouvelles approches graphiques, qui m’offrent beaucoup de liberté. J’ai besoin de sentir que je fais évoluer mon travail, de livre en livre.
Vous utilisez des techniques différentes (La boîte à souvenir est très différente de Fourchon, par exemple), on reconnait tout de même toujours votre style. Quelles techniques utilisez-vous et comment choisissez-vous quelle technique vous allez utiliser pour un album ?
J’aime élaborer un univers graphique propre à chaque projet selon mon intuition, ce que m’inspire le texte et le groupe d’âge à qui il s’adresse. Je travaille avec plusieurs médiums : crayon, aquarelle, encre, gouache, ensemble ou indépendamment. J’aime explorer et pour moi, chacun de mes livres doit être une occasion de me surpasser, de surprendre le lecteur, de me renouveler.
Une chose qu’on retrouve dans la plupart de vos albums, c’est le fait que la typo fait partie du graphisme de l’ouvrage, c’est important pour vous ? Pouvez-vous nous parler de ce choix ?
Certains projets s’y prêtent mieux que d’autres, mais j’essaie de proposer un lettrage (fait à la main ou pas) lorsque je soumets mon travail à mes éditeurs. Le lettrage est en soi un élément graphique qui complète l’image et j’aime pouvoir y apporter ma vision.
J’aimerais que vous nous disiez quelques mots sur le superbe Jane, le renard & moi qui a d’ailleurs été très remarqué.
L’auteur Fanny Britt et moi avons eu carte blanche de la part de notre éditeur La Pastèque. Il a d’abord proposé à Fanny de créer un texte sans direction précise. Elle a écrit cette histoire très personnelle, inspirée d’événements vécus dans sa jeunesse. Après l’avoir lu, il m’a proposé de l’illustrer croyant que nos univers pouvaient bien se compléter. Il m’a laissée libre de l’interpréter à ma façon et ce fut un véritable plaisir du début à la fin. Le résultat en est un album très intimiste. Nous ne savions pas trop si le livre allait trouver son public, mais nous avons été agréablement surprises par son accueil. Le livre a été traduit dans plus d’une douzaine de langues et a remporté plusieurs prix prestigieux.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Étant petite, j’aimais les livres de la série Martine pour les magnifiques illustrations de Marcel Marlier dans lesquelles je me perdais pendant des heures. J’aimais aussi les contes d’Andersen, ces histoires à la fois romantiques, sombres et effrayantes. À l’adolescence, j’ai lu beaucoup de romans d’Agatha Christie et d’Alexandre Dumas.
Quel.le.s sont les illustrateurs.trices dont le travail vous touche plus particulièrement aujourd’hui ?
J’adore depuis longtemps le travail de Carson Ellis, Jon Klassen, Frédérique Bertrand, Dominique Goblet, Manuele Fior… Ce sont des artistes que j’admire et qui me surprennent encore aujourd’hui.
Quelques mots sur Louis parmi les spectres, votre prochain album, et sur vos autres projets ?
Louis parmi les spectres est une nouvelle collaboration avec l’auteur Fanny Britt. Louis, onze ans, a une mère qui a peur de tout, un père qui pleure quand il boit et un petit frère obsédé par la soul américaine. Louis rêve de déclarer son amour à Billie, une camarade de classe indépendante et solitaire. Mais dans la réalité, rien à faire : dès qu’il s’approche d’elle, Louis se tétanise comme un clou rouillé. C’est un livre sensible autour du thème du courage.
J’ai également écrit et illustré une nouvelle série de livres dont le premier tome intitulé Colette’s lost Pet paraîtra dès le printemps prochain aux USA et ainsi qu’en français, à La Pastèque en 2017.
Bibliographie francophone :
- Louis parmi les spectres, illustration d’un texte de Fanny Britt, La Pastèque (sortira fin octobre).
- Une berceuse en chiffons, illustration d’un texte d’Amy Novesky, La Pastèque (2016).
- Alpha, texte et illustrations, La Pastèque (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Par une belle nuit d’hiver, illustration d’un texte de Jean Pendziwol, Magnard (2014).
- Virginia Wolf, illustration d’un texte de Kyo Maclear, La Pastèque (2012).
- Jane, le renard et moi, illustration d’un texte de Fanny Britt, La Pastèque (2012).
- Fourchon, illustration d’un texte de Kyo Maclear, La Pastèque (2011).
- La boîte à souvenirs, illustration d’un texte d’Anna Castagnoli, OQO (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Bonjour les hirondelles, illustration d’un texte d’Hélène Suzzoni, Casterman (2010).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Marie Sellier
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur.e, illustrateur.trice, éditeur.trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché.e, ému.e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il.elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé.e. Cette semaine, c’est Marie Sellier qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Le blues du pendule
Plutôt que de coups de cœurs et de coups de gueule, je parlerais de coups de blues et de coups de blush, se succédant à cadence rapide, l’un chassant l’autre par effet de balancier, à l’image de la réalité contrastée de ce drôle de métier-montagnes-russes qui nous propulse sur des sommets radieux pour mieux nous précipiter, l’instant d’après, dans des gouffres obscurs.
Coup de blush : nous faisons un métier PASSIONNANT. Ce sont les auteurs eux-mêmes qui le disent, du moins ceux qui ont répondu à la grande étude menée conjointement par le ministère de la Culture, le Centre National du Livre et un certain nombre de régions. Le mot arrive en première position. Quelle chance nous avons !
Coup de blues : Devinez les trois qualificatifs qui viennent immédiatement après… PRÉCAIRE, DIFFICILE, MAL PAYE. C’est vrai, quoi, nous ne pouvons pas tout avoir. La passion a un prix. Artiste et vache enragée ont toujours fait bon ménage sous nos latitudes. Qui finalement y trouve à redire sinon les intéressés eux-mêmes ?
Coup de blush : après des années de marasme, l’Édition et la Librairie vont mieux. La première a renoué avec la croissance (+ 0,6 % en valeur, +3,5 % en volume), la seconde affiche une augmentation de 2,7 % pour 2015 et, bonne nouvelle, pour le moment ça continue sur la même lancée en 2016.
Coup de blues : la situation des auteurs, elle, ne s’améliore pas. L’étude déjà citée nous apprend que 41 % des auteurs professionnels (affiliés à l’AGESSA ou pouvant prétendre l’être), gagnent moins que le SMIC, que la tendance générale est à la baisse des revenus et que les jeunes auteurs trinquent plus que leurs aînés. Quant aux auteurs jeunesse, leur situation n’est pas brillante. Avec 5 % de droits en moyenne (50 centimes pour un livre à 10 euros), ils continuent à être les plus mal lotis de la profession.
Coup de blush : nous avons la chance de vivre dans un pays où l’offre éditoriale est conséquente et variée. Des livres, il y en a pour tous les goûts.
Coup de blues : euh, finalement il y en a peut-être un peu trop. Le nombre de livres publiés par an a augmenté de 76 % entre 1996 et 2014. Il y a 70 000 nouveautés pas an, soit près de 200 nouveaux livres qui paraissent chaque jour (week-end y compris), ce qui fait en tout 700 000 livres à la vente aujourd’hui. La machine s’est emballée. Les tirages sont de plus en plus courts et la plupart des livres font un passage éclair sur les tables des libraires avant d’atterrir dans les bacs des soldeurs. Comment les gens peuvent-ils s’y retrouver face à cette offre pléthorique ? On peut se demander si, loin de servir la diversité, cette surproduction ne fait pas en réalité le jeu de la bestsellerisation.
Coup de blush : la retraite des auteurs est désormais un vrai sujet national. Dès le 1er janvier 2019, tout le monde, affilié ou pas, aura le droit de cotiser pour ses vieux jours, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le précompte acquitté par l’auteur non-affilié à l’AGESSA est exempt de cotisation retraite.
Coup de blues : ça va coûter cher. + 6,9 % pour la retraite de base, + 2 à 8 % pour la retraite complémentaire (en fonction des revenus et de la prise en charge de SOFIA), soit globalement une augmentation des charges comprise entre 9 % et 15 %. Les revenus baissent, les cotisations augmentent : effet ciseaux garanti pour hacher menu la fourmi-auteur. On pourrait trouver d’autres sources de financement de la retraite des auteurs. Encore faudrait-il qu’il y ait une vraie volonté politique.
Coup de blush : les négociations ont repris entre associations d’auteurs et d’éditeurs pour tenter d’améliorer les choses, notamment dans le domaine du contrat d’édition. Un accord a déjà été obtenu sur trois points importants : reprise des droits en cas de non-paiement des sommes dues, encadrement des provisions sur retour, interdiction de la compensation intertitres dans les contrats. Et nous nous penchons actuellement sur la question des relevés de compte assez généralement opaques et toujours invérifiables.
Coup de blues : tout cela demande du temps et des trésors d’énergie pour des avancées somme toute très mesurées. Porter la cause des auteurs est aussi exaltant qu’usant. Et, pour des tas de bonnes raisons, dont la première est qu’il faut travailler davantage pour survivre dans ce contexte déprimé, nous sommes malheureusement encore trop peu nombreux à nous engager pour essayer de faire bouger les lignes.
Coup de blush : mais je continue !
Et j’arrête là mon balancier, parce que le pendule, à la longue, c’est lassant et que je sens bien que vous commencez à avoir le tournis.
Ah le joli métier que voilà !
Marie Sellier est auteure d’une centaine de titres, pour la plupart publiés en jeunesse, et présidente de la Société des Gens de Lettres.
Bibliographie sélective :
- Le jardin de madame Li, album illustré par Catherine Louis, Picquier Jeunesse (sortira le 21 octobre).
- Brume et les Toucouleur, album illustré par Matthieu Limo, Éditions courtes et longues (2015).
- Mon monstre, album illustré par Jean Luc Buquet, Éditions courtes et longues (2014).
- Chien rouge, roman, Nathan (2014).
- La lune nue, album illustré par Hélène Rajcak, Talents Hauts (2014), que nous avons chroniqué ici.
- 10 tableaux et des animaux, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le secret de grand-mère, album illustré par Armande Oswald, Seuil Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- 10 tableaux et un ballon rouge, Nathan (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Mô et le maître du temps, album illustré par Catherine Louis, Picquier Jeunesse (2013).
- Cœur de pierre, roman, Nathan (2013).
- Fanfan, album illustré par Iris Fossier, Éditions courtes et longues (2012).
- Dragons & Dragon, album illustré par Catherine Louis, Picquier Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Le fils de Picasso, roman, Nathan (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Les douze manteaux de maman, album illustré par Nathalie Novi, Le baron perché (2012).
- Le journal d’Adeline, roman, Nathan (2011).
- Le sourire de ma mère, roman, Nathan (2011).
- Mes dix premiers tableaux, Nathan (2011)
- Afrique, petit Chaka, album illustré par Marion Lesage, Réunion des musées nationaux (2010).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Eh béh, c’est encore pire que ce que je croyais savoir…et c’est chouette de voir des gens qui ne lâchent rien (dans de nombreux domaines actuellement, car nous sommes forts, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire…)
Courage !
Merci à Marie Sellier de donner un aperçu des difficultés du métier. On a tendance à n’en voir que les coups de blush et à minimiser les coups de blues.
Ne lâchez rien !
Merci Marie pour ce tour d’horizon en montagnes russes ! Un peu de tournis, c’est vrai… Mais on ne lâche rien !