Aujourd’hui, nous recevons Raphaël Urwiller. J’ai eu un coup de cœur dernièrement pour Combien de terre faut-il à un homme ? et il y a quelque temps pour Issun Bôshi, du collectif Icinori, dont il fait partie. J’ai eu envie d’en savoir plus sur lui, sur son travail et sur Icinori, justement. Ensuite, c’est un deuxième numéro de Dans la classe de que je vous propose. Cette rubrique donne la parole à de grands consommateurs de livres jeunesse : les instituteurs-trices ! Ils nous parlent donc de livres qui sont dans leurs classes, des livres qu’ils aiment lire aux élèves… Cette fois-ci, c’est Claire, institutrice dans une classe multiâge en maternelle. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Raphaël Urwiller
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Réchappé d’une école d’ingénieur, passionné par le dessin, j’ai intégré par un demi-hasard l’ESAD de Strasbourg. Pour mieux nous affranchir des cours, nous avons commencé à travailler ensemble avec Mayumi Otero sous le nom d’Icinori et réalisé nos premiers livres en sérigraphie. Notre idée a toujours été de centrer notre pratique sur l’expérimental, au travers d’éditions étranges autoproduites (popups, estampes, etc.) puis de réinvestir nos trouvailles dans des champs plus ouverts – l’édition jeunesse étant un lieu formidable pour poursuivre nos recherches.
Chaque nouvelle expérience étant enrichissante, nous travaillons aussi pour la presse, pour l’animation, l’édition adulte voire l’exposition de dessins très adultes, choses que nous pensons complémentaires à notre travail d’illustrateurs jeunesse – et d’éditeurs expérimentaux !
Quels sont les illustrateurs (ou les livres) qui ont marqué votre enfance ?
D’un coté, il y a les incontournables Tomi Ungerer, Wolf Erlbruch et Sendak, nous nous battions à la maternelle et en primaire pour emprunter leurs livres, avec entre tous, les incontournables Max et les Maximonstres et autres 3 brigands.
D’un autre côté, la bande dessinée était le jardin défendu du père, il fallait entasser les chaises pour accéder aux livres interdits, de Jano à Moebius en passant par Bourgeon ou même Serpieri.
Deux autres auteurs m’ont fait une forte impression, étrangement autorisés pour la jeunesse, Jacques Martin et son ambiguë Alix, ainsi que les extraordinaires et très sanglants Vie privée des hommes de Pierre Joubert.
Fétichiste, j’ai conservé tous les Astrapi, J’aime lire, Je lis déjà et autres Spirou du tout début des années 90 et, en les rouvrant parfois, je découvre avec angoisse que je connais presque toutes les pages par cœur — découvrant à quel point ils m’ont marqué, les ayant lu des dizaines de fois — et dont certains illustrateurs sont restés mes favoris comme Martin Jarrie ou Jean François Martin.
Il reste enfin tous les musées que nous parcourions en famille, avec une passion pour le retable d’Issenheim que nous visitions régulièrement comme on visite un vieil oncle.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
À la base, je ne dessinais qu’en noir et blanc, à l’encre de Chine et à la plume, fasciné par des maîtres comme Munoz ou Pratt. Avec Mayumi, nous nous sommes investis dans la sérigraphie, puis à la découverte des différentes méthodes de reproduction, de la gravure à la Risographie.
Pour moi, l’illustration est un dessin qui prend chair au travers de sa technique de reproduction.
Cette étape de la reproduction est presque aussi cruciale que le premier trait de crayon et j’essaye de l’anticiper et de la maîtriser au mieux, je ne dessine pas de la même façon selon le type d’impression ou même de papier choisis.
Techniquement, c’est un grand mélange, il y a du crayon, de la gouache, de l’encre, du tipex et tout est assemblé à l’ordinateur — qui me permet d’ordinaire, mettre en couches, en calques, équilibrer le jaune et le rouge. L’ordinateur est une étape clé, non pas de création, mais de cohésion – toutes les étapes de dessin restent à la main.
Quelle est la différence entre Icinori et Raphaël Urwiller ?
Icinori est un territoire qui contient certains travaux de Mayumi Otero et Raphael U., ainsi qu’une bonne partie de nos travaux à quatre mains.
Combien de Terre faut il à un homme n’est pas signé Icinori, mais habite tout de même ce territoire, c’est une principauté autonome…
Icinori une forme d’écosystème graphique et imaginaire que l’on construit et entretient à deux.
C’est un territoire privilégié, dédié à la découverte et l’expérimentation, où chacun de nous peut se mettre en recherche en toute liberté, hors des contraintes de commande
Comment avez-vous travaillé sur Combien de terre faut-il à un homme ? Quelles étaient vos inspirations ?
Le texte étant très sombre, il me fallait rehausser par l’image, le rendre attrayant tout en respectant l’histoire implacable. Tout le travail de dessin fut pour moi un beau travail d’équilibre sur le fil du rasoir, ne pas tomber dans un pathos expressionniste tout en évitant le décoratif gratuit.
J’ai refait plusieurs fois certaines doubles, car elles sonnaient faux, le texte est tout en tension, l’illustration doit l’ouvrir sans l’amollir, c’est ce défi qui m’a fait accepter ce projet.
J’ai aussi conçu le livre, pour qu’il soit parfaitement cohérent avec son contenu, du format à la typographie en passant par le choix du papier, chaque élément étant artisan du tout.
Mes références sont très variées, le livre étant très ancré en Russie, il y a bien sûr l’ombre du constructivisme russe, les Luboks (imagerie populaire russe), beaucoup de lectures de Tolstoï pour intégrer l’esprit même de l’œuvre.
On ne peut oublier la formidable avant-garde du livre jeunesse et de l’affichisme issue des pays de l’Est (Lebedev, les frères Sternberg, Parain, etc.).
Sans compter mes propres références, qui vont de l’underground punk aux graphistes japonais des années 70 en passant par tout type d’imageries populaires (papiers peints Zuber, imagerie d’Épinal et autres éphémères).
Quels sont vos projets ?
Dans l’immédiat, une exposition chez les très pointus Fotokinos à Marseille (jusqu’au 30 octobre) puis une autre au sein de l’extraordinaire musée du Palazio Poggi à Bologne dans le cadre de l’excellent festival Bilbolbul (du 20 novembre au 20 décembre).
Je travaille actuellement sur des projets de livres jeunesse, plusieurs écrits, mais qui attendent encore d’être formalisés.
Et en parallèle, une foule de projets d’auto-édition expérimentales dans le cadre d’Icinori, pour adultes ou pour enfants, dont des nouveaux popups en sérigraphie en cours de conception.
Bibliographie :
- Combien de terre faut-il à un homme ?, illustration d’un texte d’Annelise Heurtier, Thierry Magnier (2014), que nous avons chroniqué ici.
Avec le collectif Icinori
- Issun Bôshi, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Raphaël Urwiller sur son site : http://raphaelurwiller.com/fr.
Dans la classe de… Claire
Régulièrement, un-e instituteur-trice nous parle de livres de sa classe. Ouvrages qu’il-elle aime lire aux élèves, ouvrages que ses élèves aiment particulièrement, livres du moment ou éternels… Les maître-sse-s connaissent bien la littérature jeunesse, nous leur donnons la parole (et si vous voulez être un des prochains invités envoyez-nous un mail à danslaclassede@lamareauxmots.com). Cette semaine, c’est Claire qui nous parle des livres de sa classe. Claire a une classe multiâge (de 3 à 6 ans) en ZEP.
Quand on se retrouve avec 25 enfants de 3 à 6 ans en face de soi on peut : prendre ses jambes à son cou en hurlant, faire le clown, sortir de sa poche un ballon et entamer une partie de foot endiablée…
Mais il existe aussi un objet magique. Grand ou petit, plein de couleurs ou noir et blanc, en relief ou non… quelle que soit son apparence il a un réel pouvoir. J’ai nommé « le livre ».
Dans ma classe, c’est « la grenouille des histoires » qui annonce ce moment (que je n’échangerai pour rien au monde) : l’heure de l’histoire. Trois « gratouilles » sur le dos de ma grenouille gyro… et c’est parti !!! Les bouches se ferment, les oreilles s’ouvrent, et les yeux commencent à briller…
Vu l’ampleur de l’offre en littérature de jeunesse, le risque est grand de ne pas savoir où donner de la tête. Quel livre prendre ? Il est difficile de donner des conseils. Pour être franche, je pense qu’une bonne histoire c’est avant tout une histoire qui plaît aussi à celui qui la lit. Car qu’elle fasse rire ou rêver qu’elle fasse peur ou qu’elle émeuve, rien ne vaut le partage qu’elle induit !
En début d’année, les premiers jours, je commence souvent par Tchoupi à l’école de Thierry Courtin et par Non, non, et non ! de Mireille d’Allancé. La journée d’école de Tchoupi touche surtout les plus petits (particulièrement la page où il se fait prendre son vélo !), tandis que les Moyens apprécient le jeune Octave qui répond « non » à chaque fois qu’on lui pose une question. Cette année, pour les grandes sections (j’ai une classe multiâge), j’ai découvert La rentrée des animaux de Samir Senoussi. C’est un livre plein d’humour qui montre qu’à l’école, on apprend plus qu’à apprendre à écrire et compter, qu’il est courant d’avoir du mal à se faire des copains, et d’être fatigué en fin de journée.
Un peu plus tard dans l’année, je leur lis Le machin de Stéphane Servant et Cécile Bonbon. J’entraîne souvent les GS à raconter eux même l’histoire avec des petites marottes et ensuite, ils se « produisent » devant les MS et devant l’ATSEM. Ils adorent rejouer la dispute de ces animaux qui, ayant trouvé un bout de tissu au bord d’un lac, tentent à tour de rôle de trouver à quoi il peut bien servir. Se traiter (comme les personnages du livre) de cornichon et de banane les fait beaucoup rire. Quant au « Beurk » final, c’est vraiment la cerise sur le gâteau pour eux.
S’il y a un livre que je n’oublie jamais de lire, c’est Et pourquoi ? de Michel Van Zeveren (un auteur que j’adore, tant les références aux contes classiques qu’il fait dans ses livres sont subtiles !!). Je prends soin de prendre une voix « stupide » pour le petit chaperon rouge… L’entêtement de ce dernier à comprendre la raison qu’a le loup de la manger n’en est que plus hilarant !
J’ai découvert un livre sympa et drôle aussi pour faire compter les enfants. Dans 1,2,3 sorcière de Magdalena, le vent, à chaque page, prive une sorcière de ses attributs (balai, chaudron) jusqu’à ce que….
Je pourrais poursuivre encore longtemps cette liste, mais j’ai aussi une classe à préparer ! Alors je finis juste par un coup de cœur que j’ai eu l’année dernière : Oreilles Papillons de Luisa Aguilar, André Neves. J’ai craqué pour la jeune Mara, qui répond de façon si poétique aux moqueries de ses camarades !!! Je l’ai découvert trop tard pour le lire l’année dernière, mais je compte bien le faire cette année !!!
Bonnes lectures !!!

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Eh bien voilà encore une interview que je vais citer bientôt, moi…