Aujourd’hui nous recevons Flore Vesco, autrice pour la jeunesse dont le quatrième roman est paru en avril, et Capucine Habib, vice-présidente du Prix des Incorruptibles qui fête ses 30 ans cette année, pour la rubrique “Ce livre-là”.
L’interview du mercredi : Flore Vesco
Quel parcours vous a menée à devenir autrice pour la jeunesse ?
Mon parcours peut se résumer en : une envie, un coup de tête, des tentatives ratées. Et, au bout de ce chemin, une première publication.
Je voulais vraiment écrire, mais mon métier de professeure de français ne m’en laissait pas le temps. À 29 ans, d’un coup, j’ai tout quitté et je suis partie en Slovaquie. La Slovaquie, c’est joli et montagneux, c’est perdu, je n’y connaissais personne, la bière ne coûte rien et il fait nuit à 15h en hiver : je sais pas vous, mais moi j’y vois les conditions idéales pour écrire.
J’y ai passé une année, et j’en suis partie avec mon premier roman, De cape et de mots, dans mes bagages. Ensuite commence le parcours postal du combattant-écrivain : j’ai envoyé mon texte à des tas de maisons d’édition, et j’ai reçu moult lettres de refus type. Et puis à force de le ré-envoyer, j’ai décroché un contrat de publication chez Didier Jeunesse. Ensuite, j’ai eu une chance folle, les opportunités se sont enchainées, et maintenant je me consacre uniquement à l’écriture.
Votre dernier roman, L’Estrange Malaventure de Mirella, paru en début d’année à L’école des loisirs, revisite le conte du Joueur de flûte de Hamelin. Qui est Mirella ? Et pourquoi avoir choisi ce conte traditionnel ?
Mirella est une toute jeune fille qui se trouve dans une position sociale très basse, pendant des temps anciens très durs. Elle commence l’histoire comme une enfant rabaissée, brimée, renfermée. Elle la termine jeune femme, émancipée, s’étant octroyé le droit au plaisir sensuel de la danse ou de la séduction.
Le conte du Joueur de flûte d’Hamelin m’intéressait pour deux raisons. D’une part, il est laconique. Dans ses versions classiques, le récit tient sur une page. Cette trame narrative très épurée laisse plein de blancs à combler, qui sont autant de portes ouvertes à une réécriture personnelle de ce récit.
D’autre part, c’est une histoire totalement injuste, avec une tonalité très noire, qui renoue avec l’esprit des contes dans leurs versions orales anciennes. C’est donc une matière intéressante à travailler, car pas du tout édulcorée, sans mièvrerie aucune.
Vos intrigues sont inscrites dans des contextes historiques reconnaissables, que vous remaniez « à votre sauce » pour proposer aux lecteurs et lectrices des univers fantaisistes et divertissants. Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de tordre légèrement la réalité ?
En quatre romans, je commence à avoir exploré différentes manières de tordre la grande Histoire : De cape et de mots se passe dans un temps ancien imaginaire, qui rappelle le “jadis” du conte mais a clairement des relents de 17e et 18e siècle. Mes deux romans suivants se déroulent au 19e, et mettent en scène des personnages réels (Louis Pasteur, Gustave Eiffel), qui vivent des aventures fictionnelles teintées de fantastique. Ce dernier roman, L’Estrange Malaventure de Mirella, inclut lui-aussi des éléments fantastiques, et dépeint un Moyen Âge un peu stéréotypé, une période des extrêmes qui ne se veut pas historiquement crédible.
J’aime beaucoup faire ça, il me semble que c’est un peu insolent, de revisiter ainsi l’Histoire. C’est une revanche de l’élève sage que j’ai été, qui a soigneusement appris ses faits et dates !
Vous jouez beaucoup avec la langue : le vocabulaire scientifique dans Louis Pasteur contre les loups-garous, celui du monde ouvrier à l’ère industrielle pour Gustave Eiffel et les âmes de fer, le vocabulaire médiéval dans L’Estrange Malaventure de Mirella… Vous inventez même des mots. Le résultat est toujours savoureux ! Comment travaillez-vous avec la langue ?
Merci ! J’essaye de m’amuser différemment dans chaque roman : l’idée, c’est que la forme soit en lien avec le fond. Au début d’un projet, je cherche une intrigue, des personnages, une époque, un univers, mais aussi la langue qui va aller avec. Je commence à remplir un petit fichier “vocabulaire”, j’y note du lexique, des tournures de phrases, etc. Je pioche beaucoup chez d’autres auteurs. Après, il ne reste plus qu’à tricoter tout ça, longuement…
Les personnages de vos romans se laissent rarement dicter leur destin… Y en a-t-il un ou une que vous avez eu plus de plaisir à créer ?
Je crois en effet que certains de mes personnages sont nés de manière plus aisée, et pour d’autres l’accouchement a été plus difficile… Mais on oublie !
Et dans tous les cas, oui, vive les personnages qui mettent les pieds dans le plat ! Même en tant que lectrice, j’ai une nette préférence pour les héros et héroïnes qui partent d’eux-mêmes à l’aventure et improvisent en chemin, plutôt que ceux à qui il arrive quelque chose malgré eux, et qui subissent.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai ri avec Le Prince de Motordu, puis j’ai accompagné Matilda, Danny, Charlie et Le BGG. Ado, je suis tombée amoureuse d’Arsène Lupin, puis de Darcy, j’ai été membre de la famille Malaussène, j’ai fait le voyage jusqu’à L’île du crâne, puis en Terre du Milieu.
Pouvez-vous nous dire un mot de vos prochains projets d’écriture ?
Tout d’abord, j’ai une heureuse nouvelle à vous annoncer : j’accouche de 226 bébés en septembre prochain. Ce sera un beau roman illustré, en pleine santé, de 280 grammes. Le parrain est Didier Jeunesse. Ce récit contiendra des hordes de bébés, des mots choupignolesques, des dessins drôlissimes de Stéphane Nicolet, et on y croisera beaucoup de personnages de conte.
Et en 2020 paraitra une adaptation en BD de De cape et de mots faite par Kerascoët (et un peu moi aussi).
Voilà ! J’ai encore plein de projets et d’idées… D’ailleurs, je vous laisse, parce que tout ça ne va pas s’écrire tout seul !
Bibliographie :
- 226 bébés, texte illustré par Stéphane Nicolet, Didier Jeunesse (à paraître en septembre 2019).
- L’Estrange Malaventure de Mirella, L’école des loisirs (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Gustave Eiffel et les âmes de fer, Didier Jeunesse (2018).
- Louis Pasteur contre les loups-garous, roman, Didier Jeunesse (2016).
- De cape et de mots, roman, Didier Jeunesse (2015).
Retrouvez Flore Vesco sur son site : florevesco.com
Ce livre-là… Capucine Habib (Les Incorruptibles)
Ce livre-là… Un livre qui touche particulièrement, qui marque, qu’on conseille souvent ou tout simplement le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense « un livre jeunesse ». Voilà la question qu’on avait envie de poser à des personnes qui ne sont pas auteur·trice, éditeur·trice… des libraires, des bibliothécaires, des enseignant·e·s ou tout simplement des gens que l’on aime mais qui sont sans lien avec la littérature jeunesse. Cette fois, notre invitée est Capucine Habib, vice-présidente du Prix des Incorruptibles, qui fête ses 30 ans cette année.
Choisir un livre ? Parmi les centaines, voire les milliers d’ouvrages de littérature jeunesse lus depuis 40 ans ? Quel choix difficile… impossible même… tant de bouleversements, tant de rencontres, tant de joies et de beauté ! Ma première fois ? Celle de la Vache Orange ? Oui, oui, ma madeleine à moi s’appelle La Vache Orange… un petit Père Castor chez Flammarion qui symbolise ce moment de grâce avec ma grand-mère, blottie au creux de ses bras, dans la chaleur de son lit ; j’ai 2 ans et je peux tourner les pages en même temps qu’elle, je le connais par cœur. La dernière fois que j’ai vu ma grand-mère, elle m’a donné ce livre, gardé précieusement dans son grenier, comme un lien d’enfance et de tendresse à partager à mon tour avec mes enfants.
Sait-on jamais d’où vient ce qui nous construit, ce qui m’a fait devenir celle que je suis aujourd’hui ? Qu’est ce qui m’a conduit à cet amour de la littérature, à cette soif de lectures et de découvertes, au Prix des Incorruptibles ? Peut-être un peu de ce cocon de douceur avec ma grand-mère et de l’idée, que dis-je, de la sensation, que la lecture rapproche les êtres. Après tout, l’un des objectifs des Incos est de partager des lectures, de permettre ces moments de grâce pour petits et grands, de rendez-vous avec l’autre et avec soi-même ! Alors, bien sûr, il y a eu beaucoup d’autres rencontres depuis, d’autres émotions, d’autres serrements de cœur au moment de quitter une histoire, des personnages, d’autres souffles coupés pour des illustrations magnifiques, d’autres livres dont on a l’impression qu’ils sont écrits juste pour nous. Mais cet album, le premier, m’a dit aussi la liberté et la puissance de l’imaginaire que je ne sais trouver si bien que dans la lecture : qui a déjà vu un renard soigner une vache orange ?
Capucine Habib est la vice-présidente de l’association des Incorruptibles, dont l’objectif est de susciter l’envie et le désir de lire des plus jeunes à travers des actions lecture et un prix littéraire annuel. En 2019, pour la 30e édition du Prix, 501 091 jeunes lecteurs répartis dans plus de 8 300 établissements scolaires et périscolaires à travers toute la France, les DOM/TOM et à l’étranger ont lu les livres sélectionnés et élu, parmi eux, leur titre préféré. Retrouvez les lauréats et toutes les informations sur le Prix sur le site des Incos : lesincos.com
« Un instant, un seul, lui fait déserter son corps : le temps des livres. Le corps de l’enfant qui lit n’est plus qu’un tas de vêtements qu’il a jetés n’importe où. Le livre est ouvert sur la moquette. Les vêtements glissent du lit ou font les pieds au mur. Il est en train de lire. […] Il n’y a plus personne dans la chambre. L’enfant est très loin de là, dans un corps plus ample, au milieu des vagues, loin de nous. » Timothée de Fombelle, Neverland.