Cette semaine j’ai eu envie de poser quelques questions à Sandrine Kao dont j’ai adoré le roman Le banc (que j’avais chroniqué ici). Avec elle j’ai voulu aussi aborder son parcours et son activité d’illustratrice. Ensuite nous avons rendez-vous avec La chronique de… j’ai décidé de changer légèrement ce rendez-vous que vous connaissez. Jusqu’à présent c’était un acteur de la littérature jeunesse (auteur, illustrateur,…) qui nous parlait d’un livre jeunesse qu’il avait aimé. J’avais envie d’avoir une vision extérieure, quelqu’un qui n’est pas lié à la culture jeunesse. Ainsi une fois par mois je demanderai à un artiste que j’aime de nous parler d’un livre qu’il a aimé lire à ses enfants ou qu’il a lui-même aimé enfant. Mon but est aussi de profiter de ce blog pour vous faire découvrir des artistes que j’aime et que, peut-être, vous ne connaissez pas. Je rêvais de commencer par une artiste dont je suis très fan, Pascaline Hervéet, chanteuse, entre autre, des Elles… elle a accepté tout de suite (vous n’imaginez pas ma joie !). Vous pourrez donc retrouver sa chronique sur Dans moi après l’interview de Sandrine Kao. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Sandrine Kao
Quel a été votre parcours ?
Je me suis d’abord orientée dans les métiers du livre avant de découvrir la littérature jeunesse et l’illustration dans les albums pour enfants. J’ai alors suivi un atelier de dessin pour me familiariser avec les pratiques artistiques puis intégré une école d’art. Lieu d’expérimentation et d’émulation, l’école a été l’occasion de concevoir des projets d’édition. À la fin de mon cursus, je suis allée présenter mon travail au salon de Montreuil, comme nous nous devions de le faire, et c’est ainsi que j’ai pu rencontrer mon premier éditeur, qui a accepté mon projet de diplôme. La suite de mon parcours n’a été que tâtonnements (je crois d’ailleurs que ce sentiment de tâtonner me poursuit depuis que je me suis lancée dans le dessin, alors que je m’étais clairement tracé un autre chemin). J’ai continué à essayer de progresser en illustration, en expérimentant différentes techniques, j’ai tenté d’écrire des textes plus conséquents (des romans donc), en envoyant mes projets un peu ici et là, là où je lisais des textes qui me parlaient, là où je voyais des choses qui me plaisaient. C’est un peu ce que je continue à faire aujourd’hui, avec un tout petit peu moins de difficulté qu’au début. Quoique…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai très peu lu enfant. Il y avait beaucoup de livres chez mes parents, mais ils étaient écrits en chinois, alors, je ne pouvais pas les lire. J’étais extrêmement timide, et je n’osais pas choisir des livres dans la bibliothèque de l’école. J’ai donc surtout lu et relu les mêmes livres dont deux en particulier : un recueil de contes chinois, et le seul album que je possédais à l’époque et que l’on m’avait offert, Les derniers géants de François Place, la toute première édition.
Et puis, au collège, comme j’étais une bonne élève, j’ai lu ce qu’on nous demandait de lire, je piochais dans les listes de lectures que nos professeurs de français nous prescrivaient pour l’été ; j’ai donc dévoré les classiques, forcément. J’avais aussi un abonnement à la bibliothèque et je la fréquentais assidûment, en empruntant régulièrement les livres sur présentoirs, en me fiant aux coups de cœur des bibliothécaires. C’est comme cela que j’ai aussi été amenée à lire d’autres auteurs, hors des sentiers battus de l’éducation nationale !
Le banc parle du racisme anti taïwanais, vous êtes vous-même d’origine taïwanaise, y-a-t-il une partie de vécu ? Comment est né ce livre ?
Le banc aborde effectivement le racisme envers les Asiatiques, à travers les insultes écrites à l’encontre du narrateur. Il y a bien sûr une part de vécu, non pas dans le fait qu’on ait pu écrire à mon encontre des insultes racistes — heureusement, je n’ai jamais eu à gratter des inscriptions sur un banc –, mais dans la vie quotidienne, il est courant que l’on m’interpelle dans la rue en me disant « bonjour » en japonais, que l’on mime les yeux bridés, ou qu’on ne trouve je ne sais quelle farce ayant trait à mon apparence physique, comme j’ai pu l’écrire dans Le banc. Ce n’est pas bien méchant, c’est juste pour « rigoler » sûrement, mais je voulais tout de même traduire dans ce roman cette impression d’une stigmatisation latente envers une population qu’on entend peu.
Le banc est en fait le tout premier roman que j’ai tenté d’écrire. Je l’ai modifié plusieurs fois, il a eu diverses formes avant d’avoir celle que l’on peut lire aujourd’hui. Je l’ai longtemps laissé de côté, parce que beaucoup d’éléments avaient une part de vécu et je ne voulais surtout pas écrire une histoire qui ressemblerait trop à la mienne ; j’ai même failli changer les origines du personnage, et puis, je me suis dis, après tout, pourquoi ne serait-il pas taïwanais, on connaît assez mal cette île et ce serait l’occasion d’en parler. Seuls quelques points s’inspirent encore de mon vécu, le reste n’est plus que fiction.
Vous vous sentez plus auteur ou illustratrice ?
Je ne sais pas si on peut réellement poser la question ainsi : après tout, à partir du moment où l’on a publié en tant qu’auteur, on peut se dire auteur, tout comme on peut se dire illustrateur en ayant illustré un livre. Dans mon cas, il s’agit plutôt de savoir si je me considère meilleur auteur qu’illustratrice ou l’inverse, ou plus à l’aise ou épanouie dans un domaine que dans l’autre, non ? À vrai dire, je ne me suis jamais sentie à l’aise dans l’illustration : j’ai commencé à dessiner tardivement et j’avais un niveau technique assez faible par rapport à ceux de ma promotion à l’école d’art. Il m’a fallu beaucoup travailler, expérimenter, et cela a été laborieux. Dessiner pour moi relève toujours d’un combat d’où je ressors rarement satisfaite. Au contraire, l’écriture est associée à l’idéal et à l’enfance, parce que j’ai aimé écrire depuis toute petite ; c’est l’écriture qui m’a amenée au dessin, parce qu’à un moment, je me suis dit que ça pourrait être bien, d’illustrer ses propres histoires. L’écriture a toujours été là, je m’y sens donc plus à l’aise, même si je suis toujours hésitante face à mes textes, et que je ne saurais me passer de la relecture et de l’œil critique d’un éditeur.
Quelle technique utilisez-vous pour vos illustrations ?
La technique du moment, en fonction de mes expérimentations, de mes influences. Du texte à illustrer. Dernièrement plutôt collage, crayons de couleurs, peinture.
Quels sont vos projets ?
Trouver un travail salarié parce que l’écriture et l’illustration + les petits boulots à côté ne me suffisent pas pour vivre correctement.
Arrêter d’écrire des projets d’albums tristes ou mélancoliques parce que personne n’en veut plus. Arrêter par la même occasion de faire des illustrations tristes ou mélancoliques parce que ça ne débouche que rarement sur des commandes.
Et sinon, tout de même, quelques projets d’écriture en cours, chez Syros, et pour l’illustration, on verra bien…
Bibliographie jeunesse :
- Le banc, roman, Syros (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Mon ami imaginaire, album, illustration d’un texte de Laurie Cohen, Philomèle (2013).
- Comme deux confettis, album, illustration d’un texte de Didier Jean et Zad, 2 Vives Voix (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Les Notes de Monsieur Croche, album, illustration d’un texte d’Agnès Domergue, Canto (2012).
- Aux peines perdues, album, illustration d’un texte de Christelle Vallat, Auzou (2012).
- La roue, roman, éditions Syros (2011).
- Les Larmes de Lisette, roman, texte et illustrations, 2 Vives Voix (2011), que nous avons chroniqué ici.
- La Dernière Montagne, album, illustration d’un texte de Claire Bertholet, Bilboquet (2011).
- Des crêpes à l’eau, roman, illustration d’un texte de Sandrine Beau, Grasset jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Dans les bras du fleuve, roman, textes et illustrations, Gecko Jeunesse (2010).
- Écume, album, textes et illustrations, Gecko Jeunesse (2008).
- Les Mains qui dansent, album, illustration d’un texte de Régine Joséphine, Gecko jeunesse (2008).
Son blog : http://sandrinekao.blogspot.fr
La chronique de… Pascaline Hervéet
Une fois par mois un artiste hors littérature jeunesse qu’on aime à La mare aux mots nous parle d’un livre qu’il a aimé enfant ou qu’il a aimé lire à ses enfants. Cette fois-ci c’est Pascaline Hervéet qui s’y colle ! Merci à elle.
Dans moi
Alex Cousseau & Kitty Crowther
Éditions MeMo
Dans moi y’a pas la place pour moi
Un ogre en moi est moi
Un ogre qui fait la loi
Dans moi c’est le silence
L’ogre avale ma voix
Dans moi il fait tout noir
L’ogre avale la lumière
J’aim’rais bien qu’on discute
Mon ogre et moi
Mais ça ne marche pas
Faudrait que je le mange
Mais ça ne marche pas
Faudrait qu’on fasse plus qu’un
Faudrait qu’on soit copains…
Alors j’ai une idée
Je me laisse manger
Et j’ai tell’ment crié
Dans le ventre de l’ogre
Qu’il a eu très très peur
Et il a disparu
Dans moi je suis chez moi
Dans ma bouche y’a des mots de toutes les couleurs
De toutes mes couleurs
Dans moi est un voyage initiatique, vers la connaissance et l’affirmation de soi.
La traversée solitaire d’un désert silencieux, d’un pays où les mots n’existent pas.
Comment affronter son démon, celui qui nous ressemble, celui qui nous empêche , nous emprisonne, étouffe nos cris…
Comment trouver les mots, ses mots, ces mots de toutes les couleurs, sans lesquels nous sommes perdus.
Alex Cousseau et Kitty Crowther nous offrent l’impalpable, les émotions, les sensations qui nous habitent.
Dans ce pays de chair et d’os, des petits monstres se cachent au bord de nos rivières de sang.
Ils sont aussi vrais que nos ventres.
Car l’imaginaire n’est pas moins sérieux, moins respectable, moins précieux que la réalité.
Ce livre est d’une vérité charnelle, brute, sans tabou. D’une poésie pure, onirique et sombre.
Je crois qu’il est l’image de ce que chaque enfant traverse, si on lui autorise le temps du rien, du vide, sans avoir peur…
Je crois que c’est de là qu’on naît pour de vrai…
Pascaline Hervéet est surtout connue pour être la chanteuse des Elles, un groupe à l’univers particulier, de ceux qu’on ne quitte pas une fois qu’on y est entré (moi ça fait une dizaine d’années). Un des groupes les plus extraordinaires que je connaisse. Autant sur scène qu’en disque.
Malheureusement la plupart des disques sont aujourd’hui introuvables… mais en octobre sortira en numérique une compilation avec des titres inédits et tous les anciens albums ressortiront en 2015.
Actuellement Pascaline Hervéet est directrice artistique du Cirque du Dr Paradi (tout renseignements : docteurparadi.com)
Pour découvrir Les elles je peux vous conseiller d’écouter, par exemple, La chatte de Monsieur Clock, Orthopédia ou regarder la vidéo d’Alors sur le myspace officiel.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
J’ai justement lu le banc ce week end. Je l’ai beaucoup aimé et sans être d’origine étrangère, je me suis facilement identifiée à Alex. On a tous ressenti ces sentiments d’exclusion, d’abandon à l’adolescence et telle une cocotte minute on finit tous par exploser un jour.
Sinon les larmes de Lisette est un album qui m’a énormément touchée. Et j’aime les illustrations aussi sensibles que le texte. N’arrêtez pas de faire des livres “tristes”, les enfants en ont besoin bien au contraire. D’ailleurs ce qui sort pour les ados est rarement gai ! Par contre chez les petits c’est plus rare alors qu’eux aussi ont des états d’âme. Ce sont les éditeurs qui devraient oser plus !
Très bonne idée pour la chronique. Je m’y attarderai dès que j’ai un peu de temps devant moi.
Ils sont vraiment chouettes les mercredis chez toi !
Merci Gabriel.
Intéressant… quel bon goût !
J’ai beaucoup aimé Le banc de Sandrine Kao. C’est sympa d’en apprendre davantage sur elle ! 😉
Bonjour !
Toujours intéressants les mercredis !
Je vais lire “Le banc” j’en ai toujours entendu dire du bien !
J’adore le nouveau concept avec une personnalité extérieure … Et je vois que tu n’as pas boudé ton plaisir Gabriel en choisissant quelqu’un que tu as en plein cœur !
😉 bien joué !