Tous les deux mois, Sophie Van der Linden, critique littéraire spécialisée en littérature jeunesse, répond à l’une de vos questions. Aujourd’hui elle répond à la question d’Hélène « Pourrait-on imaginer des albums pour les adultes ? »
Bien sûr, on peut tout à fait imaginer que les albums ne soient pas uniquement destinés aux enfants. En se disant notamment que la bande dessinée a bien su rencontrer un lectorat adulte, jusqu’à en faire son public de prédilection et presque éclipser sa production jeunesse au tout début des années 2000. En regardant d’un côté les albums, de l’autre les romans graphiques, et en constatant que l’un et l’autre peuvent être très proches, formellement.
En observant que des éditeurs ont clairement eu cette intention. Par exemple les petites et trop brèves éditions Les Oiseaux de passage, qui avaient clairement affichées leur intention de se tourner vers un public adulte, avec des auteurs comme Renaud Perrin ou Gaëtan Dorémus. Ou en scrutant les catalogues d’éditeurs, qu’il s’agisse de Thierry Magnier, Le Rouergue ou encore Le Seuil Jeunesse qui ont dans leurs fonds des albums assez explicitement destinés aux adultes. Paru il y a quelques années, de Tom Haugomat (Thierry Magnier) montre d’ailleurs toutes les qualités d’un album pour adultes.
Donc, des albums pour adultes ont bien été imaginés.
Mais ça ne marche pas. Ça ne marche pas en librairie (où les mettre ?), ça ne marche pas en bibliothèque (où les mettre ? bis), et ça ne marche pas non plus avec les lecteurs de bandes dessinées. Lesquels affirment souvent que le récit séquentiel de la bande dessinée étant très rapide, avec l’album, ils ont un peu l’impression de s’endormir.
Pourtant, des adultes qui se mettent à lire et à acheter des albums jeunesse pour eux-mêmes, il y en a. Sans doute pas assez pour créer un marché économique digne de ce nom. Mais si certains en lisent, pourquoi pas davantage ?
Ce ne serait alors pas tant un problème de production que de médiation. Le sujet est réfléchi par bien des professionnels, et ce depuis plusieurs années. Créer des espaces intermédiaires, ou signalés, en librairie et en bibliothèque, des événements, en faire la promotion active, en les mettant directement dans les mains des lecteurs, en faisant des présentations couplées adulte / jeunesse. Par exemple, si un lecteur s’intéresse à un guide touristique sur la ville de New-York pourquoi ne pas lui suggérer le New-York de Miroslav Šašek ?
Tout cela ne suffit cependant pas. Peut-être parce qu’il n’y a pas forcément de problématique isolée « albums pour adultes », pas plus que « albums pour adolescents ». On a une production exceptionnelle d’albums jeunesse dont les thèmes, les textes, les illustrations sont susceptibles d’attirer à eux l’adhésion pleine et entière d’adultes. Vouloir utiliser des albums qui, pour le dire familièrement, ont l’air d’être des albums pour adultes n’est pas forcément le meilleur moyen. Si l’on veut continuer à voir des adultes se rallier à cette production en dehors de toute préoccupation de transmission à l’enfant, il serait peut-être préférable de simplement continuer à faire ce que nous faisons toutes et tous déjà : promouvoir l’album pour ce qu’il est, une forme d’expression littéraire et artistique aussi singulière que fascinante.
Sophie Van der Linden est autrice et critique littéraire spécialisée en littérature jeunesse.
Elle sort aujourd’hui même Tout sur la littérature jeunesse. De la petite enfance aux jeunes adultes aux éditions Gallimard, plus d’infos sur ce livre ici.
Retrouvez-la sur son site : http://www.svdl.fr/svdl.
N’hésitez pas à nous envoyer les questions que vous voudriez qu’on lui pose à questions@lamareauxmots.com.

Critique littéraire spécialisée en littérature jeunesse

