Trois titres, trois guerres, trois manières de les dire en mots et en images et à chaque fois avec une émotion palpable.
Il y a la guerre. Celle qui explose, celle qui s’impose, celle qui détruit murs et territoires. Il y a la guerre dans la guerre. Celle qui s’immisce entre les peuples, celle qui divise, celle qui classe et hiérarchise les hommes et les femmes.
1939. Varsovie. Et l’Histoire si sombre qui vomira ce qu’elle porte en elle de plus noir et de plus abject. Un matin, on reproche aux habitant·es d’être ce qu’ils et elles sont : juifs et juives. Un mur surgit, les interdictions et les menaces pleuvent. Soudainement, la loi injuste vous enlève toute votre humanité, vous dépossède de tout. Au milieu de ce chaos, Misja vit entouré de sa famille. Témoin d’atrocités et d’une surenchère dans l’horreur, il passe ses journées à arpenter le Ghetto avec la rage folle de résister face aux criminels nazis.
Dans ce roman illustré par le trait vif de Caryl Strzelecki, Aline Sax n’épargne ni ses personnages ni ses lecteurs·rices. L’histoire s’écrit et se dessine à l’encre noire pour mieux souligner l’absence d’horizon lumineux. À travers un poignant récit à la première personne, elle parvient à nous entraîner entre les murs du ghetto de Varsovie en montrant combien le piège qui se refermait sur ses habitant·es préfigurait toute l’immensité des horreurs qui ont vu le jour durant la Seconde Guerre mondiale. Un texte essentiel, nécessaire et incroyablement réaliste qui saura éclairer cet épisode historique d’une incommensurable cruauté. Un roman révolté pour ne jamais oublier.
1914-1918. Deux des dates les plus connues de notre Histoire. L’Allemagne a envahi la France et le territoire est le théâtre d’un conflit qui entaille les terres du nord du pays et décime des populations entières. Une génération sacrifiée pour une patrie en détresse. À l’autre bout du monde, l’Amérique mobilise ses troupes. Bien que loin du bruit et de la fureur, elle n’est toutefois pas épargnée par de sombres heures dont elle ne saurait être fière. En son sein, on laisse mourir des hommes au bout d’une corde sous prétexte qu’ils n’ont pas la « bonne couleur de peau ». Des hommes en uniformes se préparent alors à rejoindre le « vieux continent ». Ces hommes-là ne sont pas français mais sont pourtant prêts à risquer leur vie pour en sauver d’autres. Voilà l’histoire de ces Afro-Américains venus tout droit de Harlem, surnommés les Harlem Hellfighters, hommes dont le courage, la dignité et la musique coulent dans les veines. Et avec eux, la mélodie enivrante du Jazz s’apprête à s’inviter dans un monde où la musique n’est plus que bruits assourdissants et explosions meurtrières.
Voilà un album documentaire comme il en existe peu. Mêlant petits encarts historiques et culturels, il dresse le récit d’un parcours de soldats afro-américains ayant rejoint les terres dévastées d’une Europe embrasée par le conflit de la Première Guerre mondiale. De ces pages, surgissent des noms bien discrets dans nos manuels d’Histoire. La concision du texte laisse la part belle aux illustrations qui se gorgent de références artistiques subtilement intégrées et l’on appréciera les formats de mise en page choisis pour accompagner la partie documentaire qui rappellent le découpage de la bande dessinée sans toutefois y inviter les bulles… Un très beau travail historique qui a le mérite de mettre en lumière ceux qu’on a trop souvent voulu marginaliser. Un album éclairé et éclairant !
À travers une forêt qu’on croirait calcinée se faufilent trois formes qui pourraient ressembler à d’interminables anguilles ou de longs serpents. Ces ombres n’augurent rien de bon et se multiplient, comme une incontrôlable épidémie. Dans le ciel, un oiseau surplombe le territoire aussi noir que ce que la guerre porte en elle. Dans leurs bureaux, les généraux étudient le terrain, observent méthodiquement et silencieusement la cartographie des zones à envahir. Le mal, dans tout son horrible mécanisme insidieux peut étendre sa force, peut faire pleuvoir la douleur. Rien ne pourra venir apaiser sa soif de mort et sa folie destructrice.
Comme il est sombre cet album. D’une beauté glaçante et redoutable. Mais il émane de lui une poésie lumineuse qui vous fait frissonner et vous bouleverse en profondeur. José Jorge et André Letria signent un des albums les plus saisissants qu’il m’ait été donné de lire sur ce sujet qui pourtant regorge de références littéraires. D’une page à l’autre, il est question de définir la guerre. Dans ce qu’elle est. Dans ce qu’elle fait de vous. Dans ce qu’elle vous enlève à jamais. Aucune guerre ne saurait être nommée puisqu’elles existent toutes à travers ces pages. Chaque mot, choisi avec tant de justesse, vient viser incroyablement juste comme un de ces missiles qui s’écrase sur les terres meurtries. Un album à mettre en les mains des adolescent·es pour montrer à quel point la poésie sait aussi dire brillamment les jours obscurs qui peuvent à tout moment s’emparer de nos vies.
Les Couleurs du Ghetto![]() Texte d’Aline Sax (traduit du néerlandais par Maurice Lomré), illustré par Caryl Strzelecki La Joie de Lire dans la collection Encrage 14,50 €, 140 x 210 mm, 170 pages, imprimé en Pologne, 2019. |
Guerriers de l’enfer. Ils sont venus de Harlem se battre à nos côtés.![]() Texte de J.Patrick Lewis (traduit de l’anglais par Fenn Troller), illustré par Gary Kelley Les Éditions des Éléphants dans la collection Mémoire d’éléphant 15 €, 230 x 305 mm, 40 pages, imprimé au Portugal, 2019. |
La Guerre![]() ![]() Texte de José Jorge Letria (traduit du portugais par Dominique Nédellec), illustré par André Letria La Joie de lire 14,90 €, 185 x 230 mm, 64 pages, imprimé en Lettonie, 2020. |

J’aime les gens qui doutent, aller voir ailleurs si j’y suis, oublier le temps dans une librairie, boire du vin et du thé, entretenir mon goût démesuré pour les petites listes… Amoureuse du cinéma de Miyazaki, des chansons de Pierre Lapointe, des pinceaux de Mélanie Rutten, des BD de Renaud Dillies, de la poésie de Vinau, des livres illustrés et des romans qui bousculent avec de jolis mots.



