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Deux BD fortes aujourd’hui, deux BD qui m’ont particulièrement touché. La première parle, notamment, de l’homosexualité et des racines, la seconde parle de la mémoire traumatique.
Tiến a 12 ans. Chaque soir, il lit des livres en anglais à sa mère afin de l’aider à améliorer son anglais. En échange, celle qui a dû fuir précipitamment le Vietnam à cause de la guerre lui raconte des histoires en vietnamien, ainsi l’enfant apprend aussi la langue et les légendes de son pays d’origine. Seule Claire, sa meilleure amie, sait que Tiến est amoureux de Julian. Il aimerait en parler à sa mère, mais il n’a pas les mots en vietnamien pour lui dire qu’il aime les garçons. Et puis sa mère est tellement inquiète en ce moment (sa propre mère, restée au Vietnam, est gravement malade), ça serait lui rajouter des ennuis. Alors que le bal de fin d’année approche, Tiến se demande ce qu’il va porter, sûrement pas la veste que sa mère rapièce sans arrêt en disant qu’elle peut encore servir…
Gros coup de cœur pour The Magic Fish, une magnifique BD signée Trung le Nguyen. L’auteur entremêle ici trois « temps » (ou trois récits, pourrait-on dire) : la vie de Tiến, le passé de sa mère et les contes (chacun ayant une couleur dominante différente, afin de les différencier). Si personnellement cette construction ne m’a pas dérangé, elle pourra décontenancer certaines personnes, notamment à cause de l’omniprésence des contes (ma fille aînée a eu du mal). L’auteur aborde de nombreux sujets tels que les racines (à travers les contes, la langue…), le fait de vivre loin des sien·nes, le deuil, la double culture (et le fait d’avoir une culture différente de son enfant), l’homosexualité, la religion (un prêtre demandera à Tiến de ne rien dire de ses attirances à sa mère afin de ne pas lui faire de peine)… Mais Trung le Nguyen rend surtout hommage aux contes, en en racontant plusieurs (qui rappellent « nos » Peau d’âne, Cendrillon ou La petite sirène). Il rappelle également que les contes sont mouvants, qu’ils se transforment à travers les pays et les époques, ainsi qu’à travers celleux qui les racontent. Dans les histoires que raconte Tiến à sa mère, les princes ressemblent étrangement à Julian, dont il est amoureux. La fin de l’histoire, extrêmement émouvante, m’a fait monter les larmes aux yeux. En postface, l’auteur donne de nombreux éléments sur la façon dont il a travaillé sur cet ouvrage et des clefs : cette partie est également passionnante. Petite précision : si le récit pourra séduire les plus jeunes, la cruauté de certaines parties des contes pourra en revanche les perturber.
Les nuits de Lidia ne la reposent pas. Quand elle s’endort, elle a l’impression que son corps sombre tout entier, elle sent des regards sur elle et a l’impression d’être paralysée. Comme elle a maintenant 18 ans, elle peut aller en boîte de nuit, c’est avec sa meilleure amie qu’elle s’y rend, mais très vite Lidia perd pied. Son amie semble avoir disparu et elle a l’impression d’être entourée d’inconnus qui la fixent et la touchent. Qui sont ces monstres qui la hantent quand elle ferme les yeux et qui viennent même, dorénavant, hanter ses jours ?
Lidia a-t-elle vécu un drame qui fait que ses nuits sont pleines de cauchemars ? Est-ce pour cela qu’elle refuse de coucher avec son petit ami ? Pourtant, elle ne se souvient de rien. Lidia Mathez raconte avec une réelle justesse cette horrible sensation que vivent de nombreuses personnes qui ont été abusées, les insomnies qui vont avec et surtout l’horreur de sentir que quelque chose nous est arrivé sans savoir quoi (le mécanisme est courant, le cerveau enfouit certains souvenirs afin de protéger les victimes de certains traumatismes). Comme beaucoup de gens qui vivent ce qu’endure Lidia, la jeune femme va devoir fouiller dans son passé et réveiller des choses très violentes pour avancer, même si tout cela sera bien douloureux. C’est un récit autobiographique court, mais percutant pour parler des abus sexuels et de la mémoire traumatique. Les planches sont magnifiques (colorées simplement d’un noir profond et de rose pâle) et rendent le propos plus supportable d’après moi. Il s’agit du premier album de Lidia Mathez, j’ai hâte de découvrir la suite de son travail.
The magic fish![]() de Trung Le Nguyen (traduit de l’anglais par Margot Negroni) Ankama, dans la collection Étincelle 19,95 €, 175×250 mm, 248 pages, lieu d’impression non indiqué, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Embrasse-moi![]() de Lidia Mathez La joie de Lire, dans la collection Somnambule 19,90 €, 172×240 mm, 96 pages, imprimé en Lettonie chez un imprimeur éco-responsable, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !