Dans La République, Platon nous dit : « Si la musique est la partie maîtresse de l’éducation […], c’est parce que le rythme et l’harmonie sont particulièrement propres à pénétrer dans l’âme et à la toucher fortement […].» Entre une jeune fille munie de sa flûte d’argent, qui bravera les interdits pour découvrir un autre village que le sien, et un compositeur de génie fantasque, je vous invite aujourd’hui, à considérer si les mots de Platon, proposés en exergue, sont bien de mise ici.
Un matin de novembre 1924, après s’être apprêté avec la fantaisie qu’on lui connaît, Erik Satie s’empresse de se rendre au théâtre des Champs-Élysées. En chemin, il rencontre Lulu, un gamin de son quartier d’Arcueil. S’ensuit un dialogue pour le moins savoureux entre les deux personnages à propos d’un drôle de ballet (ou d’un ballet drôle) intitulé Relâche, créé par son ami peintre, Francis Picabia. Mais arrivés au théâtre, une surprise pour le moins drôle, elle aussi, les y attend.
Compositeur « huluberlubuesque » de la fin du XIXe début du XXe siècle, Erik Satie, n’avait pas une petite araignée au plafond, mais bien un petit piano dans la tête comme s’applique à le rappeler Claude Clément. Ainsi, après Le piano d’argent, Un piano sur son dos ou encore Les minuscules, autres albums de l’autrice, le piano, instrument par lequel s’est distingué Satie, n’est pas bien loin. Mais ce n’est pas tant cet instrument qui est mis en valeur ici, mais plutôt la personnalité fantasque de ce compositeur haut en couleur. En effet, les adjectifs sont à la fête pour qualifier « môssieur Satie ». Il est ainsi tour à tour : « excentrique », « colérique », « électrique » ou encore « mélancolique ». Pléthore d’adjectifs sont ainsi employés pour pointer du doigt un personnage énigmatique, tantôt drôle, tantôt lunatique. Mais loin du portrait misérabiliste que beaucoup ont pu dresser à son propos,
Claude Clément s’applique, dans une langue maîtrisée comme à son habitude, à nous apprendre et/ou rappeler qu’il était également joyeux et insolent. Les répliques drolatiques et burlesques dont elle s’est inspirée pour mettre en lumière le caractère facétieux de cet homme décidément pas comme tout le monde, comme nous le rappelle le titre de l’album, en témoignent. Le texte est ici accompagné des illustrations qui miment magnifiquement le rythme de l’histoire. Les lecteurs et les lectrices assistent dès lors à une explosion de couleurs qui les ravira certainement. Et ce d’autant plus que la fantaisie des illustrations ajoute une certaine poésie à l’ensemble. Le tout est ainsi plein d’une énergie communicative et d’une tendresse particulière pour ce personnage qui reste, somme toute, assez mystérieux. Ainsi, fond et forme s’allient à merveille pour rendre un bel hommage à ce compositeur de génie, dont la puissante mélancolie, sans sophistication technique, m’a toujours beaucoup touchée.
On notera, par ailleurs, tout le sérieux et l’engouement de l’autrice, qui, de son propre aveu, aura mis une année de travail et de recherche autour du compositeur afin de réaliser cette histoire. Dès lors, le lectorat comprendra aisément la double page, proposée en fin d’album, sous forme de biographie de l’artiste. Et, cerise sur le gâteau, un QR Code ainsi qu’un lien Internet, eux aussi proposés en fin d’ouvrage, permettent d’aller écouter quelques morceaux choisis de Satie. Ces derniers sont interprétés par Jeannine Hummel et Laurie Altmann. Ainsi, texte, image et son devraient séduire à merveille, comme ils l’ont fait pour moi, les lecteurs et les lectrices, petit·es comme grand·es.
La curiosité d’une jeune fille l’invite à quitter son village natal au pied d’une grande montagne, pour se rendre au-delà du champ de blé et de la forêt afin d’y rencontrer les « Autres ». La musique permettra-t-elle à notre jeune héroïne, munie de sa flûte d’argent, et bravant les interdits, de briser la glace et de faire régner l’harmonie entre son village et celui des « Autres » ? Se heurtant à l’hostilité de ces dernier·ères dans un premier temps, parviendra-t-elle à faire se compléter leurs mélodies respectives ?
La dédicace met les lecteurs et les lectrices sur la voie. Le texte et les illustrations le confirment : la musique adoucit les mœurs. L’adage n’aura jamais été si joliment mis en mots et en couleurs. D’ailleurs, ne parle-t-on pas de palette et de couleurs en peinture comme en musique ? Il nous faut « sortir de la caverne où nous ne faisons que vivre », écrit F. Wolf, dans Pourquoi la musique ? C’est exactement ce que décide d’entreprendre la jeune héroïne lorsqu’elle ose s’aventurer de l’autre côté de la montagne où vivent les « Autres » en quittant son « refuge ». Mais alors, qu’y a-t-il de l’autre côté ? Qui sont ces « Autres » ? Ainsi, s’occuper de la musique d’autres civilisations n’est plus un passe-temps, mais une condition nécessaire à la compréhension des autres, et cet album le prouve. Un album tout en délicatesse qui met donc l’accent sur la nécessité d’aller à la rencontre de l’autre pour mieux le comprendre, mais également pour se connaître soi. Un album qui permet également de célébrer le pouvoir fédérateur de la musique, en témoigne la double page finale. Quant aux illustrations, elles sont époustouflantes de beauté, de poésie et de délicatesse. C’est un véritable travail d’orfèvre qui se déploie sous les yeux des lecteurs et des lectrices. En effet, l’illustratrice avoue volontiers passer plus d’une année de travail en moyenne pour réaliser un album. De ce travail minutieux et rare naît un univers propice à la rêverie, à l’imagination et au voyage, dans lequel chaque illustration plonge littéralement le lectorat dans un monde empli de douceur duquel des notes mélodieuses s’échappent. Dès lors, la collection « Broderie en La Mineur », la première de cette maison d’édition, dans laquelle s’inscrit cet album, n’aura jamais si bien porté son nom.
Pas comme tout le monde Monsieur Satie![]() ![]() Texte de Claude Clément, illustré par Clémence Monnet Dadoclem 18 €, 210×280, 44 pages, lieu d’impression non indiqué, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
De l’autre côté![]() ![]() Texte de Corinne Boutry, illustré par Isaly Mazurka, dans la collection Broderie en La Mineur 16 €, 215×275, 32 pages, imprimé dans l’UE, 2020. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Les pieds sur terre et la tête dans les nuages, Laetitia est une éternelle rêveuse qui partage sa vie entre la terre et la mer. Bien que tombée dans la marmite aux mots dès l’enfance, ce n’est que sur le tard qu’elle se découvre une passion pour la Littérature jeunesse avec un L majuscule et collectionne depuis lors les albums qui font la part belle à l’imagination et font l’éloge des mots.





comme d’habitude ta chronique sur Satie et juste superbe elle me donne terriblement envie de le découvrir déjà que la couverture me faisait de l’oeil depuis un moment … le second album à l’air tout aussi intéressant. merci pour ce temps passé à écrire tous ces avis ❤️
Tu me diras combien je te dois pour tous tes gentils commentaires . Une fois de plus, je suis très touchée par ton retour. Oui, la rédaction d’un billet prend du temps et c’est agréable de noter que certaine personnes le remarque. Alors encore merci à toi, tes retours sont précieux.