Les deux livres dont je vous parle aujourd’hui sont indispensables pour continuer de mettre des mots sur ce qu’est l’exil, pour ne jamais cesser d’expliquer aux enfants comme aux plus grand·e·s ce que signifie aujourd’hui être déraciné·e. Un court roman de Maryam Madjidi pour les plus jeunes, et un recueil de textes et de dessins par un collectif d’artistes engagé·e·s aux côtés de SOS Méditerranée.
Maryam doit quitter le pays où elle vit. C’est un pays en guerre. Ses parents lui disent qu’elle doit laisser ses poupées et ses jouets, car il n’y a pas assez de place dans les valises. Quand Maryam arrive dans son nouveau pays, « Ici », elle n’a plus de poupée, plus de jouet. Alors, elle ne joue pas. Maryam ne comprend pas la langue « d’Ici », qu’elle entend à l’école, et qui se cogne à la langue de ses parents, sa langue à elle, la langue de « Là-bas ». Dans sa tête tout se mélange. Alors, elle ne parle pas. Maryam ne connaît pas non plus les plats qu’on lui propose « Ici », cette façon de séparer l’entrée, le plat et le dessert. Ces fromages qui n’ont pas la même odeur que « Là-bas », et cette viande servie saignante alors que sa mère fait mijoter les morceaux tendres pendant des heures. Alors, Maryam ne mange pas. Elle se sent seule « Ici », jusqu’à ce qu’une autre petite fille vienne lui parler…
Maryam Madjidi raconte l’exil, l’arrachement aux racines, à hauteur d’enfant, et c’est d’une justesse et d’une simplicité bouleversante. Ce court roman accessible dès 7 ans est le pendant jeunesse de son premier roman pour adultes, Marx et la poupée, paru en 2017 au Nouvel Attila, et pour lequel elle a reçu le Goncourt du Premier Roman. Je m’appelle Maryam aborde tout ce qu’il est difficile de laisser derrière soi quand on est enfant : le jeu, la langue, les habitudes du quotidien, le familier, les repères. Tout ce qui est bousculé à son arrivée « Ici », quel que soit cet « ici », d’ailleurs. Découvrir une autre culture, une autre langue, une autre façon de vivre, l’apprivoiser sans pour autant oublier d’où l’on vient, et parvenir à faire cohabiter deux identités. Les illustrations douces de Claude K. Dubois accompagnent subtilement le texte très beau et très émouvant de l’autrice. Un texte à lire à voix haute, pour son rythme (les titres de chapitres se font écho : « Maryam ne joue pas », « Maryam ne parle pas », « Maryam ne mange pas ») et pour sa portée universelle, actuelle et essentielle.
Je m’appelle Maryam raconte, à hauteur d’enfant, subtilement et avec beaucoup de justesse, l’exil et l’arrachement aux racines. À lire par tous et toutes.
« Dire l’exil, l’errance, le déracinement.
Exprimer la peur, la colère, la révolte, la douleur mais aussi l’espoir, la volonté de Vivre.
[…] Ce qui reste de nous traduit l’engagement d’artistes. Il s’adresse à tous ceux qui se questionnent et, par ses contributions très diversifiées, pourra rencontrer des jeunes aux sensibilités multiples. »
Fruit d’un travail collectif, Ce qui reste de nous propose des formes diverses (nouvelles, récits, dessins, poèmes, bandes dessinées, etc.) signées par quinze illustrateurs et illustratrices et vingt-trois auteurs et autrices. Partant du constat essentiel que la création peut et doit donner à voir le monde, doit témoigner de notre monde, ces artistes mettent des mots sur ce que l’on voit : la dramatique situation des migrant·e·s, les sauvetages en mer, les rêves et les espoirs d’une nouvelle vie. La diversité des formes proposées permet à la fois l’émotion, la révolte et la réflexion.
Parmi les créations, je retiens entre autres ce poème d’Odile Fix qui ouvre le recueil et qui parle d’exil, « En noir outremer ». Éric Pessan fait un « inventaire incomplet d’une traversée », émouvants portraits de visages croisés, à défaut de pouvoir les nommer tous et toutes noir sur blanc. La lettre de François Place à l’Aquarius, bel hommage au navire « armé » pour secourir. Le texte de Stéphane Servant raconte un repas partagé au cœur de la nuit et de la tempête, sur un bateau, entre une mère et ses enfants. Au bout du voyage il y aura l’enracinement. Les dessins de Baudouin, bleus comme la Méditerranée, percutants et poétiques. Le récit, enfin, rapporté par Vincent Villeminot, de ce que fait Ga, qui accueille chez elle, dans le Nord, tous les week-ends, des jeunes qui arrivent de la Jungle de Calais. Sa façon à elle de tendre la main.
Ce recueil est une façon, comme il en existe tant d’autres, de ne pas détourner les yeux de ce qui se passe, et à ce titre, il est indispensable. Il est vendu au profit de SOS Méditerranée.
Les artistes contributeur·ice·s :
Lilian Bathelot, Edmond Baudouin, Nathalie Benezet, Christophe Besse, Karim Brahim, Patricia Cartereau, Alfons Cervera, Yasmine Chami, Fanny Chiarello, Yohan Colombie-Vives, Sandra Colombo, Débit de Beau, Keltoum Deffous, Delambre, Ruben Del Ricon, Marie Deschamps, Nicole Ferroni, Odile Fix, Sébastien Joanniez, Raphaël Julien, Clémentine Kœnig, Taï-Marc Le Tanh, Lena Merhej, JB Meybeck, Viviane Moore, Mikaël Ollivier, Anne Percin, Éric Pessan, Xavier-Laurent Petit, François Place, Rabia, Gérard Saez, Axel Scheffler, Stéphane Servant, Janine Teisson, Gwenaëlle Tonnelier, Lewis Trondheim, Vincent Villeminot.
Attention, la sortie du livre a été reportée au 07/02.
Je m’appelle Maryam Texte de Maryam Madjidi, illustré par Claude K. Dubois l’école des loisirs dans la collection Mouche 6,50 €, 125×195 en mm, 48 pages, imprimé en France, 2019. |
Ce qui reste de nous, et autres poèmes, nouvelles, récits d’exils Texte collectif, illustration collective Le port a jauni 15 € (au profit de SOS Méditerranée), taille 220×140 mm, 120 pages, imprimé en France, 2020. |
« Un instant, un seul, lui fait déserter son corps : le temps des livres. Le corps de l’enfant qui lit n’est plus qu’un tas de vêtements qu’il a jetés n’importe où. Le livre est ouvert sur la moquette. Les vêtements glissent du lit ou font les pieds au mur. Il est en train de lire. […] Il n’y a plus personne dans la chambre. L’enfant est très loin de là, dans un corps plus ample, au milieu des vagues, loin de nous. » Timothée de Fombelle, Neverland.