Une jungle accueillante et une ville hostile.

Aujourd’hui, je vous propose un roman illustré dans lequel la nature accueillante et colorée rassemble et réunit les êtres, et une bande-dessinée qui nous entraîne dans une ville hostile et tourmentée.

Laurent le flamboyant est un orang-outan qui vit au cœur de l’île de Sumatra. Fruits exquis, plats savoureux, tarte aux litchis saupoudrée de sucre de canne: voilà qu’il joue le fin gourmet perché sur son arbre et qu’il s’active pour mettre au point le plus fabuleux des festins pour ses ami·e·s  à poils ou à plumes. Mais s’il met tant de cœur à l’ouvrage, c’est qu’il nourrit un espoir secret : tout petit, sa mère lui lisait un livre qui racontait les folles acrobaties de jeunes enfants à Paris. Et si désormais il n’est plus si jeune, à chaque nouvelle expérimentation culinaire, il espère voir les héros et héroïnes de son enfance s’inviter à sa table. En vain. Son amie la gourmande et espiègle fourmi, grisée par tant d’occasions de grignoter à l’envi, se rend bien compte du désarroi qui pince le cœur de Laurent, qui ne voit jamais arriver ses héro·ïne·s  intrépides. Inquiète à l’idée de perdre son meilleur fournisseur de desserts et de sucreries, elle décide de tout mettre en œuvre pour lui redonner espoir. Dès lors, chaque matin, Laurent reçoit des petits mots qu’elle glisse secrètement dans une enveloppe… Commence alors une correspondance qui réveillera chez nos personnages le plaisir du jeu et la soif d’aventure.
Voilà un petit roman particulièrement facétieux à l’image de ses personnages. Karen Hottois déploie son goût des jeux de mots et des pirouettes langagières pour faire de ce texte une histoire drolatique, empreinte d’une folie douce et d’une touche d’absurde. À travers cette histoire – qui se prêtera aisément à de joyeuses séances de lectures oralisées- les lecteurs et les lectrices se laisseront entraîner au cœur d’une nature flamboyante qui apparaît, au fil des pages, sous les pinceaux lumineux de Julie Woignier.
Une lecture comme un passeport vers un ailleurs où l’amusement est le maître-mot.

Deux semaines passées au cœur de la jungle, voilà qui soude et crée des liens… Ensemble, ils·elles ont appris à se supporter, ont toléré leurs caprices respectifs et ont fini par cerner les caractères bien trempés de chacun·e. Vient alors l’heure de retourner au Canada et autant dire que l’appel du confort et du repos mérité se fait sentir.  Toutefois, ce départ semble compromis : la ville est quasiment déserte, et les grands axes routiers sont surchargés. Et que dire de ce grand mur qui vient d’être érigé en périphérie ? Personne ne peut quitter le territoire sans un bilan médical complet et un vaccin obligatoire. Et quelle n’est pas la surprise des protagonistes quand ils se retrouvent nez à nez avec un homme dépourvu de toute humanité, le visage métamorphosé, n’ayant que son agressivité pour seul moyen de communication. La réaction des autorités est sans appel et la brigade chargée de la sécurité l’abat sans le moindre scrupule. La possible propagation du HBV2, virus hautement dangereux et particulièrement contagieux est à prendre très au sérieux.
Pas de place pour les bons sentiments quand une pandémie menace la survie de chacun·e. Il faut partir et accepter de laisser ses proches derrière soi, surtout quand l’un des leurs montre des signes de faiblesse. L’album soulève les déchirements et questionnements attendus d’un récit de cet acabit. Dilemmes existentiels, volonté de s’opposer à l’ordre établi, tentative d’échapper aux cadres et tenter l’impossible : l’adolescence et la fougue qu’on lui connait ne craint rien et nos personnages sont prêts à tout pour rester liés et unis, tout en sachant pertinemment qu’ils ont beaucoup à perdre. Trait résolument moderne, langage on ne peut plus ancré dans l’actualité, cases mouvantes au service d’une intrigue qui n’est pas avare de rebondissements: les ingrédients sont rassemblés pour ce premier opus de bande dessinée qui saura assurément plaire au lectorat adolescent friand de séries catastrophe.
Un album à déconseiller aux hypocondriaques.

Laurent le flamboyant Texte de Karen Hottois, illustré par Julia Woignier. Éditions MeMo dans la collection Petite Polynie 9€, 140x190mm, 84 pages, imprimé en Europe chez un imprimeur éco-responsable, 2018.

Green Class 1- Pandémie Scénario de Jérôme Hamon, dessins de David Tako  Le Lombard 12,45€, 222×295 mm, 72 pages, imprimé en Italie, 2019.