Cet été, vous pourrez lire, tous les mercredis, une question d’enfant et la réponse d’auteurs, illustrateur-trice-s, éditeur-trice-s… Les enfants ont été nombreux à nous envoyer des questions, nous en avons choisi huit. Après la question de Tristan la semaine dernière, aujourd’hui la question de Daphné, 9 ans, qui m’a proposé de demander aux auteurs : « Comment l’auteur peut être sûr que son idée de livre est une idée complètement originale, et que ce n’est pas un remix (involontaire) d’un livre qu’il a eu entre les mains à un moment de sa vie… ». Michaël Escoffier, Matthieu Maudet, Rémi Courgeon, Annelise Heurtier, Séverine Vidal et Estelle Billon Spagnol ont accepté de lui répondre, vous découvrirez, en même temps qu’elle leurs réponses. Chacune des questions retenues fait en plus gagner un ouvrage à l’enfant qui l’a posée. Cette question permet donc à Daphné d’avoir la chance de recevoir, grâce aux éditions Rue de Sèvres, la BD Quatre sœurs, 1. Enid, le premier tome d’une superbe série adaptée par Cati Baur du roman de Malika Ferdjoukh (sorti à l’école des loisirs). Une belle histoire, pleine d’humour, sur cinq sœurs orphelines qui vivent avec le fantôme de leurs parents (album que nous avions chroniqué ici).
« Comment l’auteur peut être sûr que son idée de livre est une idée complètement originale, et que ce n’est pas un remix (involontaire) d’un livre qu’il a eu entre les mains à un moment de sa vie… » (Daphné, 9 ans)
Michaël Escoffier :
Il m’est arrivé plus d’une fois de tomber sur un livre en librairie et de réaliser qu’il ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’un des projets sur lesquels j’étais en train de travailler. Au début, c’est démoralisant, et puis je me dis que ce qui compte, c’est que le livre existe. Peu importe qu’il soit écrit par moi ou par quelqu’un d’autre. Alors je passe à autre chose. Je pense qu’on n’invente jamais rien, que les idées sont dans l’air, autour de nous, et qu’elles voyagent. Parfois, il leur arrive de se poser sur mon stylo, mais je sais que je n’en suis pas propriétaire. Les idées appartiennent à tout le monde.
Michaël Escoffier est auteur d’albums. Il a sorti il y a peu Le chevalier noir aux éditions Frimousse et il sortira à la rentrée, à l’école des loisirs, Ouvre-moi ta porte avec son complice Matthieu Maudet. Vous pouvez retrouver ici une interview que nous avions réalisée de lui.
Le site de Michaël Escoffier : http://michaelescoffier.canalblog.com.
Matthieu Maudet :
Quand j’ai une idée d’album, je fais des recherches pour voir s’il n’existe pas déjà. On ne peut jamais être sûr à 100 %, il y a tellement de livres, d’histoires. Il est presque impossible de faire un livre complètement nouveau.
Ce que j’essaie surtout, c’est d’écrire et dessiner le plus personnellement possible et donc viser un résultat le plus éloigné des autres livres abordant le même sujet.
Nos idées et nos dessins sont forcément influencés par des choses que nous avons lues, vues ou vécues…
C’est pour ça que j’aime travailler avec des auteurs, nos idées se mélangent pour inventer et éviter de réécrire un livre qui existe déjà.
Matthieu Maudet est auteur et illustrateur. Il a sorti au mois d’avril Le ça (que nous avons chroniqué ici) avec Michaël Escoffier et il sortira à la rentrée Ouvre-moi ta porte avec le même Michaël Escoffier à l’école des loisirs. Vous pouvez retrouver ici une interview que nous avions réalisée de lui.
Le site de Matthieu Maudet : Matthieu Maudet : http://matthieumaudet.blogspot.fr.
Rémi Courgeon :
Voilà une question qui me plaît, parce que personne ne me la pose jamais est qu’elle est au cœur de mon travail.
Tout d’abord, il faut remettre les choses à leur place : un auteur n’invente rien, tout existe déjà avant lui. Il passe simplement son temps à emmagasiner des choses qui lui plaisent dans la vie. Un dialogue entendu dans le tramway. Un accord de couleurs un jour de soleil. Les reflets du ciel dans les cheveux d’une brunette. Un fait divers lu dans le journal. Tout ça, il le garde précisément dans le grenier de sa mémoire, car il sait qu’un jour, il s’en resservira, consciemment ou inconsciemment.
Tout mon travail consiste à fabriquer des histoires, mots et images, à partir de tous ces matériaux grappillés ici et là.
Il m’arrive en effet de modifier une histoire que je viens de terminer parce qu’elle ressemble trop à un truc que j’ai déjà vu ou lu dans un autre livre. Parfois même, certaines idées vont directement à la poubelle.
Dans Trois jours en plus les deux lièvres portaient des noms trop proches de personnages déjà crés par un autre auteur. Cela m’a obligé à trouver autre chose. Ils s’appellent à présent Touneuf et Ordage et c’est bien mieux comme ça.
Dans Pas de ciel sans oiseaux le héros Augustin Moisson est un vieux monsieur qui réussit le miracle de fabriquer de toutes pièces de vrais oiseaux vivants. C’est une sorte de Gepetto, ou bien de docteur Frankenstein, un personnage qui incarne le rêve de tout créateur : fabriquer la vie. En revanche, l’histoire ne ressemble ni à Pinocchio ni à Frankenstein.
Il arrive aussi qu’on fasse un « clin d’œil » à un auteur qu’on aime.
Dans Invisible mais vrai une image est directement inspirée du grand illustrateur Norman Rockwell. Sur la partition posée sur le piano, j’ai écrit en petit « Thank you Norman » comme si c’était le titre du morceau.
Parfois, il arrive qu’on rejette tout d’abord une idée, parce qu’on la trouve trop bizarre. C’est seulement quelques jours après qu’on se rend compte que ce qui nous gênait, c’est sa nouveauté. C’est bon signe ; signe qu’on est sur une piste intéressante et que le vrai travail peut commencer…
Rémi Courgeon est auteur et illustrateur. Il vient de sortir L’Oizochat (que nous avons chroniqué ici) chez Mango et Gros chagrin (que nous avons chroniqué ici) chez Talents Hauts, deux livres dont il est auteur et illustrateur. Vous pouvez retrouver ici une interview que nous avions réalisée de lui.
Le site de Rémi Courgeon : http://remicourgeon.blogspot.fr.
Annelise Heurtier :
Bonne question, Daphné ! La première fois que je me la suis posée, c’était lors de la signature de mon premier contrat d’édition. En paraphant ce document, l’auteur atteste que son texte est bien une création originale. Mais alors, comme tu le demandes, comment être vraiment certain qu’il n’existe pas quelque part un livre identique ?
Tout d’abord, je pense qu’avec internet, l’auteur peut déjà — après avoir bâti son scénario — vérifier qu’il n’existe pas de livre à l’intrigue similaire.
Et puis, quand bien même celui-ci existerait, je pense qu’il est tout de même très peu probable qu’un auteur écrive, sans le vouloir, un texte qui a déjà été produit par un autre. La différence de traitement, d’angle, de point de vue fait toute la différence ! Heureusement, on peut écrire un millier d’histoires uniques à partir d’un même sujet de base…
Annelise Heurtier est auteur de romans et d’albums. Elle a sorti il y a peu Là où naissent les nuages et deux nouveaux tomes de sa série Charly Tempête (tous chez Casterman). Vous pouvez retrouver ici une interview que nous avions réalisée d’elle.
Le site d’Annelise Heurtier : http://histoiresdelison.blogspot.fr.
Séverine Vidal :
Salut Daphné
Il ne peut pas en être sûr…
Parfois, sans s’en rendre compte, on est inspiré par une musique, par un dessin, par un film… ou par les mots d’un autre !
J’avais adoré un roman quand j’étais petite : E=MC2 mon amour de Patrick Cauvin. Deux pré-ados amoureux, qui font une fugue. Et je n’y ai plus pensé.
Dans mon roman La Meilleure nuit de tous les temps, il y a des pré-ados amoureux fous qui font… une fugue (chez la grand-mère du garçon) ! Je n’ai pas consciemment emprunté cette idée… elle était sans doute enfouie en moi depuis mes 13 ans… Ce n’est pas un « remix » (pour reprendre ton expression), les deux livres sont très différents, mais c’est une influence inconsciente.
Séverine Vidal est auteur. Elle a sorti il y a peu trois albums : Nestor, maudits mercredis (chez Didier Jeunesse), Les bruits chez qui j’habite (chez L’édune) et Huit saisons et des poussières (chez Les p’tits bérets) que nous avions chroniqués ici. Retrouvez l’interview que nous avions réalisée d’elle.
Le blog de Séverine Vidal : http://severinevidal.blogspot.fr.
Estelle Billon-Spanol :
Hello Daphné,
Alors là tu touches juste, c’est ma hantise et je pense qu’elle est largement partagée avec mes collègues ! Impossible de savoir… Ce qui est sûr c’est qu’on se nourrit de ce qu’on voit, sent, entend, respire, renifle, lit et que ça ressort toujours. J’ai toujours l’impression d’écrire ou de dessiner quelque chose de nouveau, en même temps est-ce possible ? Mais je pars aussi du principe que chaque auteur, chaque illustrateur a une voix unique. Et que du coup, d’une même idée, 1000 directions sont possibles.
Merci de me faire réfléchir à ça Daphné, je travaille dans l’instinct et ça fait du bien de se poser…
Bises !
Estelle
Estelle Billon-Spagnol est auteur et illustratrice. Elle a sorti en début d’année La déclaration des droits des garçons et La déclaration des droits des filles chez Talents Hauts avec Élisabeth Brami (deux livres que nous avons chroniqués ici). Elle sortira à la rentrée Maxi-Souris aux éditions Frimousse et Monsieur Mok chez Philomèle.
Le site d’Estelle Billon-Spagnol : http://estellebillonspagnol.blogspot.fr.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Encore un bon mercredi!! Merci! J’adore cette question! Quand j’étais gamine, j’ai longtemps voulu être un écrivain mais ce qui m’a freinée, c’était le fait qu’il existait tellement d’histoires, que je me demandais quoi écrire qui sorte du lot!! Et je suis toujours admirative de cette diversité d’histoire pour un même sujet! Alors bravo les auteurs!! Et merci à Daphné pour cette question qui est rarement posée!!
Très bonne question. J’aurai rejoint mes consoeurs et confères sur bien des points.
Merci pour cette rubrique !
Très intéressant de lire les avis de tous ces (bons) auteurs.