Cette année encore, on vous propose tout l’été notre rubrique Du berger à la bergère, un rendez-vous qui vous plaît beaucoup — vu vos retours — et qu’on aime beaucoup nous-mêmes. Tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui posent trois questions à une personne de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Camille Jourdy et Bernadette Després, cette semaine c’est Alice Butaud qui a choisi de poser ses questions à Isabelle Pandazopoulos !
Alice Butaud : Si l’écriture est un lieu, à quoi ressemble-t-il ? Et comment t’y rends-tu ?
Isabelle Pandazopoulos : C’est une île ouverte à tous les vents. Parce que le vent décoiffe, qu’il saoule, qu’il ensorcèle, parce qu’il est capable de déclencher des tempêtes comme de se transformer en douce bise, de transporter des odeurs insensées, inconnues, auxquelles il faut donner des noms.
J’y vais tous les matins sur une petite barque, je rame à mains nues, je râle, je peste, je tourne en rond, et je profite du moindre mot comme d’un cadeau gagné de haute lutte !
Alice Butaud : Le mythe qui t’inspire le plus ? Et pourquoi ?
Isabelle Pandazopoulos : J’aime Dyonysos, le dieu de la fête et du vin. Parce qu’il a une histoire d’enfant pas aimé, haï par Héra, obligé de se métamorphoser sans cesse pour échapper à sa violence. Parce que c’est un dieu généreux, joyeux, transgressif… qui en plus est éperdument amoureux d’Ariane, la plus intrépide des héroïnes à mes yeux !
Alice Butaud : Y a-t-il un livre impossible que tu rêves d’écrire ?
Isabelle Pandazopoulos : En ce moment, j’ai envie d’essayer d’écrire l’histoire d’Héra. Parce que c’est un défi de faire de cette déesse réputée haineuse et vengeresse, une femme héroïque. Ça me semble impossible de permettre l’identification avec elle, parce qu’elle est tellement cruelle, jalouse, manipulatrice, etc. Et pourtant à chaque fois que j’en parle avec des jeunes, ils trouvent tous que ce serait super…
Alice Butaud : En quelques mots, de quoi est composé le dictionnaire Pandazopoulien ? Un mot que tu as inventé ?
Isabelle Pandazopoulos : Butaldesque.
Alice Butaud : Un mot qui te fait rire ?
Isabelle Pandazopoulos : Plume.
Alice Butaud : Un mot qui te dégoûte ?
Isabelle Pandazopoulos : Guerre.
Alice Butaud : Le mot le plus beau ?
Isabelle Pandazopoulos : Livre — Insolence — Résistance — Liberté — Révolte — Colère — ENSEMBLE…
Alice Butaud : Le plus laid
Isabelle Pandazopoulos : Pédoncule.
Alice Butaud : ton mot TOC ?
Isabelle Pandazopoulos : Autrice.
Isabelle Pandazopoulos : En retour, Alice, je voudrais savoir… Qu’est-ce qui t’a pris de me poser des questions ?
Alice Butaud : C’est le jeu !
Isabelle Pandazopoulos : Est-ce que la colère te donne des idées pour écrire ?
Alice Butaud : En ce qui me concerne, la colère n’est pas un bon terreau à idées. Elle tourne sur elle-même et me fait ressasser. Une colère froide, souterraine, vieillie en fût, est peut-être plus riche. Elle peut fermenter à partir de sentiments d’injustice très anciens. Il y a quelques années, je me suis réveillée avec les mots « aphone nino » dans la bouche. Je n’ai pas tout de suite compris parce que je suis une quiche en espagnol. « Enfant aphone » — enfant sans voix — ces mots viennent sans doute d’une très lointaine colère, restée tapie, mais qui est une des sources de mon besoin d’écrire.
Isabelle Pandazopoulos : Qu’est-ce que tu aurais aimé savoir faire, que tu ne feras jamais mais que tu donneras un jour à un personnage qui le fera à ta place ?
Alice Butaud : J’aurais aimé savoir vraiment dessiner afin de pouvoir illustrer mes histoires. Azamat, un des personnages de ma série La Vie commence en sixième, le fait à ma place. J’aurais aimé comprendre le langage des bébés comme Cat, savoir ce qu’il y a dans la tête des gens comme Esther, fuguer comme Timoti ou monter aux arbres comme Diane. Donc oui, mes personnages exaucent mes souhaits. Aujourd’hui, j’aimerais bien être inventrice à succès, j’ai pas mal d’idées fulgurantes : la pom’pot réutilisable, les pantoufles à talons… mais internet m’empêche de croire qu’elles n’existent pas déjà.
Isabelle Pandazopoulos : Est-ce que tu sautes à la perche ? Autrement dit, c’est quoi ton prochain défi d’écriture ?
Alice Butaud : J’ai le vertige et je ne suis pas casse-cou, donc bof. Mais les défis se présentent à moi, déguisés. Par exemple, la série que j’écris en ce moment est un défi que je n’avais pas vu venir. Chaque tome raconte la même année de sixième du point de vue d’un membre différent d’une bande. Quand je me suis lancée, je n’avais pas mesuré la difficulté. À chaque tome, la barre est un peu plus haute puisque les contraintes que je dois respecter (chronologie, personnages…) augmentent. Il faut être très rigoureuse et minutieuse pour ne pas me casser la figure.
Bibliographie d’Alice Butaud :
- Série La vie commence en sixième, romans, Gallimard Jeunese (2023-2024), que nous avons chroniquée ici.
- Série Bestioles, albums illustrés par Julie Colombet, Hélium (2022-2023).
- Les filles montent pas si haut d’habitude, roman illustré par François Ravard, Gallimard Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Les trois cœurs, roman co-écrit avec Marika Mathieu, illustré par Soledad Bravi, L’école des loisirs (2016).
- Les zozos, roman co-écrit avec Marika Mathieu, illustré par Soledad Bravi, L’école des loisirs (2015).
- La vie volée de Becca Pie, roman illustré par Boaz Lehahn, L’école des loisirs (2015).
- La mère Noël, pièce co-écrite avec Geneviève Brisac, L’école des loisirs (2012).
Bibliographie jeunesse sélective d’Isabelle Pandazopoulos :
- Sasha et le cheval ailé, roman, Rageot (2023).
- L’honneur de Zakarya, roman, Gallimard Jeunesse (2022).
- Demandez-leur la lune, roman, Gallimard Jeunesse (2022).
- Ariane l’astucieuse, textes illustrés par Gazhole, Gallimard Jeunesse (2022).
- Déméter l’indomptable, textes illustrés par Gazhole, Gallimard Jeunesse (2022).
- Parler comme tu respires, roman, Rageot (2021).
- Pénélope, la femme aux mille ruses, textes illustrés par Gazhole, Gallimard Jeunesse (2021).
- Athéna la combative, textes illustrés par Gazhole, Gallimard Jeunesse (2021).
- Les douze travaux d’Hercule, textes illustrés par Rémi Saillard, Gallimard Jeunesse (2020).
- Trois filles en colère, roman, Gallimard Jeunesse (2020).
- L’Odyssée, textes illustrés par Rémi Saillard, Gallimard Jeunesse (2019).
- On s’est juste embrassés, Gallimard Jeunesse (2018).
- Double faute, roman, Gallimard Jeunesse (2016).
- La décision, roman, Gallimard Jeunesse (2016).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !