Cet été, on vous propose encore une nouvelle rubrique pour nos invité.e.s du mercredi. Après les questions sur les métiers et les questions des enfants, on a proposé cet été à des auteur.e.s et des illustrateurs.trices de poser trois questions à un auteur.e ou une illustrateur.trice de leur choix. Puis à l’interviewé.e d’en poser une à son tour à son intervieweur.euse d’un jour. Après Jean-Luc Englebert et Benjamin Chaud, Fred Bernard et Loïc Clément, Marine Carteron et Clémentine Beauvais, Clément Lefèvre et Matthieu Maudet cette semaine c’est à Dorothée de Monfreid que Clothilde Delacroix a choisi de poser des questions.
Clothilde Delacroix : Y a t-il un moment en particulier dans la création d’un album où tu as le plus de plaisir et, à l’inverse, un moment que tu trouves plus “ennuyeux”?
Dorothée de Monfreid : Les moments que j’aime dans la réalisation d’un album sont les moments où le doute dans lequel je navigue à chaque nouveau projet commence à se dissiper. Le travail se transforme alors en quelque chose de plus concret. Par exemple, quand je tiens le fil d’une histoire et que j’en fais le découpage. Tout à coup, ça sort de mon magma intérieur et ça se met à exister. Alors je fabrique une petite maquette en papier avec textes et dessins.
Cette maquette me permet de regarder mon histoire comme une chose extérieure.
Ensuite il y a le moment où j’ai passé suffisamment de temps à faire des recherches graphiques de mes décors et personnages pour savoir où je vais. C’est très plaisant. Je suis bien échauffée, je commence les « vrais » dessins du livre, j’essaie d’être le plus juste possible par rapport à ce que je veux exprimer avec mes personnages, un peu comme le ferait un comédien. Je réalise mes dessins avec de l’encre de Chine et une plume, j’adore son bruit quand elle gratte le papier.
Un autre moment savoureux est celui où je peins mes dessins (à la gouache ou à l’aquarelle). C’est calme et ça sent bon.
Et puis vient le moment où je peux lire sur mon contrat le titre que j’ai inventé. Ça, c’est extra. Tout à coup, quelque chose existe officiellement.
Les moments les plus difficiles sont les moments où, quand j’écris, le doute prend le dessus, où je pense que je ne vais pas y arriver, où l’histoire n’est pas là. Le temps d’attente d’une réponse après avoir envoyé le projet à un éditeur est atroce, lui aussi. Bénis soient ceux qui me répondent vite, ils m’épargnent du stress et me permettent de donner le meilleur de moi-même
Clothilde Delacroix : As-tu une sorte de cahier des charges personnel ? Un enjeu technique, une sorte de visée, quand tu entreprends un nouvel album? (En dehors du cahier des charges propre au milieu éditorial, nombre de page, format, etc)
Dorothée de Monfreid : Je ne me donne pas vraiment de cahier des charges personnel ou de défi secret quand je commence un livre.
Ou alors ça peut être juste une envie, un parti pris graphique du genre : utiliser une couleur comme fil rouge tout au long du livre (Tendance chat, à paraître chez Hélium en janvier 2017), mettre en scène mon histoire dans un décor fixe pour mettre en valeur les mouvements des personnages (Dodo, Loulou & Cie, l’école des loisirs), faire un album avec du rose fluo (Maximiam), raconter une histoire avec seulement des objets comme personnages (Madame Chaise), faire une histoire de nuit (Nuit Noire)…
Clothilde Delacroix : Quand tu commences à “rédiger-dessiner” une nouvelle histoire, as-tu déjà le scénario complet avec la chute ou bien avances-tu dans l’histoire en même temps que le dessin se pose?
Dorothée de Monfreid : Ça dépend.
Parfois je travaille de façon spatiale, comme si les différents éléments de mon histoire étaient des cartes (personnage, situation, chute, événements…) et que je cherchais sur un tableau le meilleur agencement entre ces cartes pour que la mise en scène de mon idée soit efficace.
Dans ce cas, je bricole, je dessine et je prends des notes, mais je ne rédige rien de définitif tant que je n’ai pas trouvé le bon dispositif.
Cette méthode est celle que j’utilise en général pour mes livres chez Loulou & Cie.
Parfois je travaille de façon linéaire, à partir d’un personnage et d’une situation. J’avance à tâtons sans savoir exactement où je vais, en me laissant porter par le texte au fur et à mesure que je l’écris, avec l’envie de me surprendre moi-même. Le problème avec cette seconde méthode est qu’elle a tendance à figer les choses car on n’a pas envie de remettre en question ce qu’on vient d’écrire.
Cette méthode est celle que j’ai le plus souvent utilisée pour écrire mes albums.
Je crois que la première méthode, où on cherche tout de suite la chute, me convient mieux, car elle m’oblige à préciser mon idée de manière très rigoureuse. Et ça n’empêche pas de se surprendre soi-même avec de nouvelles idées de mise en scène au fil du travail.
Le prochain album que je prépare pour l’école des loisirs a d’ailleurs été créé de cette façon.
Dorothée de Monfreid : Clothilde, ton travail est très varié. Tu dessines aussi bien pour les adultes que pour les enfants, tes personnages sont parfois des humains, parfois des animaux, tu sembles également à l’aise dans le registre de l’humour que dans celui de la poésie. Quelle est selon toi la colonne vertébrale de ton travail ? Le plus petit dénominateur commun à tous tes livres, aussi différents soient-ils ?
Clothilde Delacroix : Le dénominateur commun, même le plus petit, à (presque) tous mes albums… Il me semble que c’est une sorte de tentative de déjouer le réel, ses pesanteurs, son sérieux et ses contraintes sans l’exclure totalement, mais plutôt en m’appuyant dessus, en jouant avec.
La métamorphose de la réalité physique (La série des Lolotte), le cocasse, le ridicule, des personnages ou des situations, (Gros mensonges, Le chien-chien à sa mémère), la logique par l’absurde (Presque toute la vérité sur les lutins) et la dérision (voire l’auto-dérision) (dessin de presse ou dessin pour Facebook), sont autant “d’outils” vers lesquels je me tourne naturellement pour reprendre la main sur une certaine configuration imposée des choses ; “énoncer des bêtises” (construites sur un système logique de préférence), surjouer le ridicule, transformer le cours narratif normal ou attendu, constituent, je crois, les différents éléments de cette colonne vertébrale.
Bibliographie sélective de Dorothée de Monfreid :
- Le plus gros cadeau du monde, texte et illustrations, l’école des loisirs (à sortir fin 2016).
- Ma photo, texte et illustrations, l’école des loisirs (2016).
- Tout tout sur les toutous, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Attendez-moi, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Maximiam, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Dodo, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- Pas envie, texte et illustrations, l’école des loisirs (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La machine de Michel, texte et illustrations, l’école des loisirs (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Toutous tout fous, texte et illustrations, l’école des loisirs (2012).
- Le cochon et le prince, illustration d’un texte de Christian Oster, l’école des loisirs (2013).
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Le Manuel du Docteur Schnock, texte et illustrations, Hélium (2012) que nous avons chroniqué ici.
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Dans les Jupes de Maman, illustration d’un texte de Carole Fives, Sarbacane (2012).
- Super Sauvage, Livre-CD, musique de Tony Truant, Gallimard (2011).
- Coco danse, texte et illustrations, l’école des loisirs (2009), que nous avons chroniqué ici.
- Sept Petits Porcelets, texte et illustrations, Gallimard (2008).
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Mon Toutimagier, illustrations de textes de Marie-Odile Fordacq et Frank Girard, Tourbillon (2002).
Retrouvez Dorothée de Monfreid sur son blog : http://supersauvage.blogspot.fr
Bibliographie sélective de Clothilde Delacroix:
- Presque toute la vérité sur les lutins, texte et illustrations, Seuil jeunesse (à sortir septembre 2016).
- Le goûter de Lolotte, texte et illustrations, l’école des loisirs (à sortir septembre 2016).
- Gros mensonge, texte et illustrations, Talents Hauts (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Bonne nuit Lolotte !, texte et illustrations, l’école des loisirs (2016).
- La paix, les colombes !, co-écrit avec Gilles Bachelet, texte et illustrations, Hélium (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Lolotte et le coffre à jouets, texte et illustrations, l’école des loisirs (2016).
- Le chien-chien à sa mémère, illustration d’un texte d’Agnès de Lestrade, Sarbacane (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Lolotte et le polochon, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- La valise de Lolotte, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- La boîte de Zig et Zag, texte et illustrations, l’école des loisirs (2012).
- Le petit rien d’Augustin, illustration d’un texte de Béatrice Gernot, Alice jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La poupée d’Auguste, illustration d’un texte de Charlotte Zolotow, Talents Hauts (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Mercredi c’est sport, illustration d’un texte de Thomas Gornet, Éditions du Rouergue (2011).
Retrouvez Clothilde Delacroix sur son blog : http://clothildedelacroixillustrations.blogspot.fr.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Hello,
J’ai beaucoup apprécié ton article sur Clothilde Delacroix, car j’aime bien son travail. Je trouve qu’elle est très douée en tant qu’auteure-illustratrice. Mon fils adore son livre Lolotte et le polochon, les illustrations sont superbes !