Cet été encore, on vous propose à nouveau la rubrique du berger à la bergère tous les mercredis. Cette rubrique vous avait tellement plu les deux derniers étés, nous nous devions de la reprendre (il faut dire qu’à nous aussi elle plaît beaucoup) ! Donc tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trice·s et des illustrateur·trice·s qui posent trois questions à un·e auteur·trice ou un·e illustrateur·trice de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e d’en poser trois à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Rémi Courgeon et Albertine, Martin Page et Éric Pessan, Alexandre Chardin et Lucie Pierrat-Pajot, Franck Prévot et Hélène Delbart, Jonathan Garnier et Mélanie Allag, Cathy Ytak et Jo Witek on continue ces mercredis de l’été avec Magdalena Guirao-Jullien qui a choisi de poser des questions à Susie Morgenstern.
Magdalena Guirao-Jullien : Si tu n’étais pas venue en France penses-tu que tu serais devenue quand même écrivain ?
Susie Morgenstern : Je pense que oui puisque j’ai toujours été écrivain depuis que je sais écrire. Des poèmes, des nouvelles, mon journal intime, j’étais rédactrice en chef du journal de mon lycée. Je lisais mes créations à ma mère qui pensait que j’étais Madame Shakespeare. Mais je ne suis pas sûre que j’aurais eu autant besoin de me pousser pour combler le vide et l’éloignement. J’aurais passé de douces journées de shopping avec mes sœurs et ma mère au lieu de me lever le matin pour crier ma solitude et mon manque, les produits de mon exil. Écrire est mon oxygène alors j’ai du mal à imaginer vivre sans où que je sois. D’abord, il y a 51 ans il n’y avait pas le moyen de se parler sans écrire (téléphone trop cher et pas d’internet). J’écrivais trois lettres par semaine à ma mère et chacune de mes sœurs. C’est déjà une musculation. Quand mon mari est mort, ma mère m’a renvoyée la boîte avec 30 années de lettres. Elles sont mal écrites et toutes pareilles : Je suis allée au travail, cherché les enfants de l’école, préparé le diner et déniché le billet le moins cher pour Newark. Je les relis petit à petit pour cueillir un détail croustillant dans mon travail autobiographique comme La petite dernière (Nathan). Une chose est certaine, je serais pas venue en France, je ne serais pas devenue un écrivain français. Oh la la ça aurait été tellement plus simple d’écrire en anglais !
Magdalena Guirao-Jullien : Quand tu écris un roman as-tu déjà la fin en tête, fais-tu un plan, fais-tu des fiches pour tes persos ?
Susie Morgenstern : J’aimerais que quelqu’un fasse un plan pour moi, un plan que je suivrais sans avoir besoin de réfléchir à chaque tournant. Mais je suis incapable de voir plus loin que ma phrase. Bordélique, si j’écrivais des fiches, je suis sûre que je les perdrais. Dans un atelier d’écriture j’ai demandé aux enfants de décrire leur personnage en posant des douzaines de questions, mais je ne pratique pas ce que je prêche. (Je donne des idées comme ça dans Le carnet de l’apprenti écrivain.) Dès fois j’ai des bribes d’idées sur l’avenir de mes personnages, mais d’habitude j’ai juste assez d’avenir pour une journée de travail. Et les nuits sont occupées à creuser ma tête pour préparer la journée du lendemain. Je savais la fin du Club des crottes mais c’est le seul livre. J’ai toujours hâte de terminer un livre pour savoir comment ça va finir. Je suis comme le lecteur. C’est une aventure et je ne sais jamais quels seront les accidents du parcours.
Ne pas savoir est mon moteur pour continuer.
Magdalena Guirao-Jullien : De quoi as-tu le plus peur dans la vie ?
Susie Morgenstern : J’ai peur de tout, peur de bouger de l’écran de mon ordinateur ou de mon lit, peur des transitions et des changements, peur de la vitesse, peur de la guerre en Israël où tous mes petits neveux et nièces sont soldats, peur de perdre mes amis puisque nous vieillissons, peur de tomber (ce que je fais souvent), peur de la douleur, peur de louper une miette de cette vie adorable.
Je n’ai pas peur de mourir (mais je préfère pas).
Et ce dont j’ai le plus peur est pour mes enfants et mes petits enfants que rien de grave ne leur arrive.
Susie Morgenstern : Quelles sont tes zones d’ombre, toi toujours si souriante (comme moi !) ?
Magdalena Guirao-Jullien : Ouille !
Mes zones d’ombre, si je ne m’accrochais pas au sourire, au rire, et à la vie, sans doute que j’aurais un fâcheux penchant pour la mélancolie, et la mélancolie est une zone d’ombre où il ne faut pas aller traîner trop longtemps, pour éviter d’y être englouti comme dans des sables mouvants.
L’ombre qui plane au-dessus de ma tête est l’ombre de mes peurs, qui sont nombreuses et variées mais que j’arrive à chasser justement en souriant à la vie.
Susie Morgenstern : Qu’est-ce que tu peux dire sur le CP, son importance, ta fascination ? Et ton CP à toi ? Et pourquoi s’être arrêtée ?
Magdalena Guirao-Jullien : Mon CP a été une mauvaise expérience, je l’ai mal vécu.
Je me souviens que j’étais la seule que la maîtresse appelait par mon nom de famille et non par mon prénom.
Je me souviens que j’étais très, trop timide.
Et que le monde de l’école me semblait hostile !
Devenue adulte le CP a été ma classe préférée peut être par résilience, j’ai adoré y enseigner en essayant que cette année en CP laisse une empreinte positive dans la tête de mes élèves.
Je suis fascinée par la capacité qu’ont les enfants d’apprendre pour peu qu’on sache leur enseigner avec le cœur.
J’ai enseigné avec passion 16 ans en CP, j’ai arrêté avant d’en perdre le goût, c’est comme en amour ceux qui préfèrent quitter de peur d’être quittés un jour.
Maintenant quand je suis invitée dans les classes, j’ai pour mission de leur transmettre mon goût de lire, semer une graine pour qu’elle devienne un haricot géant.
Susie Morgenstern : Pourquoi tu n’écris pas de romans ?
Magdalena Guirao-Jullien : Je n’ai pas encore passé le pas du Roman, je suis sur la passerelle qui y mène.
Avec un projet non encore édité…
J’ai écrit 100 chroniques Monologue avec mon psy qui sont autant d’instantanés, de pensées sur les petits riens de la vie comme sur les incontournables.
Des monologues teintés d’humour qui questionnent sur ce qui fait l’essentiel de nos existences.
Mais ce n’est pas un roman !
Il me reste donc à écrire un roman…
Bibliographie sélective de Susie Morgenstern :
- Be Happy ! Mes plus belles comédies musicales, album illustré par Sébastien Mourrain, Didier Jeunesse (à sortir en octobre 2018).
- Mon chez moi n’est plus chez moi, le déménagement, album illustré par Serge Bloch, Gallimard Jeunesse (2018).
- Série La famille trop d’filles, romans illustré par Clotka, Nathan (2012-2018).
- La petite dernière, roman, Nathan (2017).
- Carnet de l’apprenti écrivain, album illustré par Theresa Bronn De La Martinière Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le carnet à secrets, album illustré par Séverine Cordier, Nathan (2016).
- La valise rose, album illustré par Serge Bloch Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Yoyo : Je ne veux pas dormir, album illustré par Marie Quentrec Lito (2010), que nous avons chroniqué ici.
- La liste des fournitures, roman, L’école des loisirs, que nous avons chroniqué ici.
- Joker, roman, L’école des loisirs (1999).
- Lettres d’amour de 0 à 10, roman, L’école des loisirs (1996).
- La sixième, roman, L’école des loisirs (1984).
Bibliographie sélective de Magdalena Guirao-Jullien :
- Vite vite, album illustré par Isabelle Maroger, Père Castor (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Louna & la petite Tahitienne, album illustré par Christine Davenier, Kaléidoscope (2018).
- Bébé Boule et Bébé Brioche, albums illustrés par Christine Davenier, Kaléidoscope (2017).
- Série Je suis en CP, romans première lecture illustrés par divers·es illustrateurs·trices, Père Castor (2011-2017), que nous avons chroniqué ici.
- Série Je suis en CE1, romans première lecture illustrés par divers·es illustrateurs·trices, Père Castor (2015-2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les monstres de la nuit, album illustré par Christine Davenier, Père Castor (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série Les contes du CP, romans première lecture illustrés par divers·es illustrateurs·trices (2014-2016), que nous avons chroniqué ici.
- Dans le noir de la nuit, album illustré par Christine Davenier, Père Castor (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Louna et la chambre bleue, album illustré par Christine Davenier, Kaléidoscope (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La princesse Tralala. Une histoire qui joue avec les voyelles, album illustré par Gwen Keraval, Père Castor (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Pipi Caca Popot, album illustré par Claire Frossard, Père Castor (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La petite fille du tableau, album illustré par Elsa Huet, Kaléidoscope (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Série Bali, albums illustrés par Laurent Richard, Père Castor (2009-2015), que nous avons chroniqué ici.
- 24 petites souris vont à l’école, album illustré par Nadia Bouchama, Père Castor (2004), que nous avons chroniqué ici.
- La semaine de souris chérie, album illustré par Maïté Laboudigue, Kaléidoscope (2001).
Retrouvez Magdalena Guirao-Jullien sur Facebook, Instagram et sur son site : magdalena-auteur.com.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !