Cette semaine, les mots me manquent. Difficile de parler de jeux ou de spectacles… Alors aujourd’hui, cela sera une chronique un peu spéciale, et un peu sérieuse, avec deux applis, pour les enfants, pour nous, qui mettent en lumière la pensée de deux grands humanistes qui avaient, « pour cri de guerre : raison, tolérance, humanité », pour reprendre les mots de Condorcet. Parce que c’est aussi et surtout cela que nous devons transmettre à nos enfants.
Voltaire écrit Candide en 1758, en pleine guerre de Sept Ans. Le conte philosophique fut publié, de façon anonyme, l’année suivante. Son interdiction immédiate dans plusieurs pays n’empêche pas son succès. Dix-sept éditions rien que pour l’année 1759. Aujourd’hui, la BNF publie une édition numérique passionnante de Candide.
L’histoire, en deux mots, pour vous rafraîchir la mémoire : Candide est un jeune garçon qui vit auprès du baron Thunder-ten-tronckh, en Westphalie. Il reçoit l’enseignement de maître Pangloss, un philosophe qui lui enseigne que leur monde est le meilleur possible. Cette utopie vole en éclats le jour où, après un baiser donné à la fille du baron, Cunégonde, il est chassé de ce « paradis ». Commence alors pour Candide un voyage initiatique au cours duquel il va découvrir la cruauté, la guerre, et les bassesses humaines. Jeune naïf, Candide ne cessera d’être chassé, corrigé, poursuivi, et provoquera, sans le vouloir, catastrophe sur catastrophe. Mais il n’abandonnera jamais l’objet de sa quête, Cunégonde, et, à travers elle, se révélera à lui-même.
Ça marche comment ? L’appli de la BNF se divise en trois parties. La première, « Le Livre », est constituée du texte des trente chapitres du conte. On peut le lire ou l’écouter dit par Denis Podalydès. Un clic sur l’écran fait s’afficher le texte enrichi : certains mots apparaissent dans différentes nuances de bleu, d’autres sont signalés par un signe dans la marge du texte. Les astérisques donnent accès à des définitions de mots ou expressions difficiles (avec deux modes possibles : découverte pour des définitions courtes et simples, et recherche pour un approfondissement), les « c » renvoient à des fiches thématiques (« femme », « amour »), les phrases en bleu foncé signalent les variantes du texte, tandis qu’un clic sur les mots en bleu clair ouvre une fenêtre fournissant des informations sur les personnages et les lieux. Dans les marges, des vignettes de dessins et de gravures anciennes illustrent certains passages du texte. La deuxième partie, « Le Monde », présente une carte géographique des voyages de Candide. Chaque lieu est rattaché à une thématique qui comprend une analyse, un album d’images, une bibliographie, ainsi qu’un entretien filmé avec des chercheurs, écrivains, philosophes (Michel Le Bris, Alain Finkielkraut, Martine Reid et Georges Vigarello). Dernière partie de l’appli, « Le Jardin », dans laquelle le lecteur a accès à des arbres de la connaissance. Chacun d’eux porte sur un thème, l’esclavage, la religion, le corps, l’ironie, et offre un développement de la thématique à travers images, extraits du texte, entretiens, analyses. Il est aussi possible de créer son propre arbre de la connaissance et de le partager avec les autres lecteurs.
Et j’en pense quoi ? Indispensable pour qui veut découvrir la pensée de Voltaire, et plus largement le Siècle des Lumières ! Les différents niveaux de lecture possibles, son aspect ludique, font de cette appli un outil utilisable par tous. Les plus jeunes, qui pourraient être rebutés par un livre en apparence sérieux, pourront s’en servir pour entrer dans ce récit captivant. Parce que Candide est un texte rythmé par des aventures à toutes les pages, des rebondissements, une écriture de l’ironie et de la liberté qui stimule et donne à penser. La lecture de Denis Podalydès est remarquable. La navigation dans le texte est fluide, les thématiques abordées diverses et traitées de manière très attractive. Les passerelles entre les différentes sections de l’appli font que, de branche en branche, on peut se promener dans ce jardin de longs moments, en picorant à droite à gauche. Ce dépoussiérage de Candide était ambitieux, il est vraiment réussi. Vivifiant !
Remontons dans le temps pour visiter le « prince de l’humanisme » et ses Adages. ABCD’Érasme, résultat d’une collaboration entre Les Belles Lettres et Poésies industrielles, est un abécédaire pour les petits et pour les grands.
Les Adages sont un recueil d’adages grecs et latins compilés et commentés par Érasme, humaniste hollandais de la Renaissance et ardent défenseur des libertés. La première édition date de 1500 et regroupait 820 adages. Devant le succès de l’ouvrage, Érasme continua son œuvre de compilateur jusqu’à atteindre 4 151 adages (dans l’édition de 1536) et en fit le reflet de ses réflexions : opposition à la guerre, défense de la dignité et de l’émancipation intellectuelle des femmes, critique du fanatisme, de la superstition, défense du libre arbitre, éloge du cosmopolitisme. Subversifs, ils ne pouvaient qu’être mis à l’Index. Ce qu’ils furent dès 1559, et… jusqu’en 1900 !
Ça marche comment ? Sous chaque lettre de l’alphabet (sauf le W), se cache un adage, soit vingt-cinq au total. On clique sur la lettre et s’affichent une illustration animée et interactive, l’adage original en français et en latin et une transposition. Sur le côté gauche de l’écran, plusieurs options sont possibles. L’icône de la chouette affiche une explication plus complète de l’adage. L’icône de la couronne de laurier permet d’exercer son latin : chaque mot latin apparaît en une couleur, couleur qui est réutilisée pour les mots concordant en français. L’icône du gramophone permet d’entendre la lecture de l’adage (en français ou en latin) ; celle du livre ouvert de consulter la liste des auteurs grecs et latins des adages originaux. Un carré noir avec des lettres permet de revenir au sommaire, une enveloppe de partager sur les réseaux sociaux.
Et j’en pense quoi ? Un abécédaire vraiment original à partager et à utiliser de mille façons. On y apprend par exemple l’origine de l’expression « l’ombre de l’âne » pour parler des choses insignifiantes. Je ne résiste pas à vous raconter l’histoire : lors d’un procès, Démosthène remarqua que les juges bavardaient entre eux et n’écoutaient plus sa défense. Il leur conta alors une histoire, celle d’un jeune homme qui avait loué un âne pour faire le voyage d’Athènes à Mégare. Terrassé par la chaleur, il fit une pause et s’assit sous l’âne pour profiter de son ombre. Mais l’ânier le chassa prétextant qu’il avait loué l’âne et non pas son ombre. Après une forte altercation, ils décidèrent de recourir à la justice. À ce moment de l’histoire, les juges étaient tout ouïe. Et Démosthène quitta la tribune : « Il vous plaît d’entendre une histoire sur l’ombre de l’âne, mais cela vous ennuie d’entendre la cause d’un homme qui risque sa vie ? » C’est drôle, poétique, pédagogique, cette appli a tout pour plaire. La mise en page et les illustrations sont magnifiques et d’une grande élégance. Une belle façon de découvrir Érasme et les débuts de l’humanisme.
Candide ou l’Optimisme Voltaire BNF/Orange/Voltaire Foundation Prix constaté : gratuit (Apple). |
ABCD’Érasme Érasme Les Belles Lettres/Poésies industrielles Prix constaté : gratuit (Apple). |
À part ça ?
Je vous laisse sur une phrase de Voltaire, tirée de son dictionnaire philosophique : « On entend aujourd’hui par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C’est une maladie qui se gagne comme la petite vérole. » Et sur Balablok, un petit court-métrage d’animation de Bretislav Pojar datant de 1972, Grand Prix du court-métrage au Festival de Cannes de 1973 :
Erica
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !