Aujourd’hui, on reçoit l’autrice Adèle Tariel, avec elle on revient sur son travail et son parcours. Ensuite, c’est avec Myriam Ouyessad, Arnaud Nebbache et Brigitte Cazeaux que nous avons rendez-vous pour la rubrique Parlez-moi de… Ensemble, elles et il reviennent sur leur magnifique album, Moi, mon papa. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Adèle Tariel
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai fait des études de communication à Angers puis Rennes jusqu’à la maîtrise (aujourd’hui master), puis l’école de journalisme à Lille. Après 5 ans en presse régionale, je travaille depuis 11 ans chez Playbac presse, éditeur du Petit quotidien, Mon Quotidien et L’actu, quotidiens d’actualité pour les enfants.
J’ai commencé à écrire des histoires après la naissance de ma fille en 2009. Depuis, l’envie est grandissante !
J’aimerais que vous nous présentiez Carnivore qui vient de sortir aux éditions du Père Fouettard.
C’est l’histoire d’un grillon qui se rend compte un jour que tous les insectes disparaissent un par un. Il décide de mener l’enquête pour débusquer le coupable. C’est un récit à la croisée des genres, entre polar et documentaire, écrit en rimes.
L’origine de ce livre est un mélange de plein de choses. Dans un restaurant, j’ai remarqué un jour une plante étrange, portant de petits « sacs ». Je l’ai repérée car j’en avais eu une chez moi il y a une quinzaine d’années. Il faut lire le livre pour comprendre sa place dans l’histoire. Je savais que Jérôme Peyrat, l’illustrateur, était passionné par les insectes, leurs morphologies, leurs couleurs… Il m’a fait observer les reflets bleutés des bousiers de longues minutes (sur une bouse donc !). Je venais de lire Os court, un album de Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet, que j’avais beaucoup aimé. Je trouvais le texte en rimes très beau. Je ne pourrais pas vous dire comment, tout ça s’est connecté une nuit dans mon cerveau, et j’ai écrit le texte dès le lendemain.
Avez-vous fait des recherches pour ce livre ou le monde des insectes n’a aucun secret pour vous ?
Jérôme les connaissait bien mieux que moi. J’ai fait quelques recherches mais j’avoue que je suis allée vers les noms les plus mystérieux, qui m’attiraient. Doryphore, ténébrion, lucane… ça sonne tellement bien !
Vous êtes journaliste en plus d’être autrice, est-ce que cela a une influence sur votre travail d’écriture ?
Oui bien sûr. Dans mon travail, je suis touchée par certains sujets d’actualité. Et à travers des recherches ou des interviews de spécialistes, j’apprends chaque jour sur l’espace, l’histoire, la biologie, les animaux… Tout ça m’inspire parfois. La rédaction d’un article sur les kangourous par exemple a donné naissance à l’album C’est dans la poche ! (Talents Hauts).
Mon travail de journaliste joue sans doute aussi sur la forme, quand je cherche le mot juste ou à construire des phrases simples. Mais j’essaie de m’en détacher. Pour moi, l’intérêt d’écrire de la fiction, c’est justement de passer outre les règles strictes et les formats restrictifs. D’être libre, de transmettre des émotions, voire parfois des messages. L’inverse du « zéro opinion » prôné dans nos journaux.
Votre album Un air de violoncelle est finalement un pont entre ces deux activités, vous parlez d’un événement historique mais dans une fiction
Oui tout à fait, les genres peuvent se mêler dans les albums. L’enjeu de cette collection Un jour ailleurs aux éditions Kilowatt est d’inscrire une fiction dans un événement majeur du XXe siècle (La chute du mur de Berlin pour Un air de violoncelle). Il faut donc respecter un contexte historique très précis, et pour cela faire un travail documentaire préalable. Inventer l’histoire de personnes qui auraient pu vivre à cette époque a été un exercice passionnant. Cette collection est une très belle idée pour une approche différente de l’histoire. D’ailleurs, quand je le présente dans des classes, les élèves sont souvent assez captivés, même dès le CP.
Par ailleurs, j’ai aussi écrit des documentaires comme des fictions. Les albums Les étoiles stars chez Ricochet ou Maisons, chez Kilowatt, sont une première approche de ces grands sujets, mais à lire comme une histoire.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Un peu tout ! La nature, les gens que j’aime, la peinture, l’art contemporain… Et certains thèmes particulièrement : l’égalité filles/garçons, l’écologie, l’environnement, les dérives de notre société moderne…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai beaucoup lu, relu, rerelu les magazines de chez Bayard : Pomme d’Api, J’aime Lire et Je Bouquine. Quelques livres m’ont beaucoup marquée : Mimi-Cracra, La Belle Lisse Poire du Prince de Motordu ou le roman L’histoire d’Helene Keller (une jeune fille sourde, muette et aveugle), réédité récemment.
Avez-vous eu des coups de cœur récents en littérature jeunesse ?
Je lis beaucoup d’albums jeunesse, mais je me suis mise depuis peu aux romans ados. L’Aube sera grandiose d’Anne-Laure Bondoux est magistral. J’ai aussi lu récemment Quand vient la vague de Jean-Christophe Tixier et Manon Fargetton, je l’ai beaucoup aimé. La transcription des émotions adolescentes est si juste et maîtrisée, une histoire qu’on ne peut pas lâcher. Ma fille de 9 ans lisait en même temps Dix minutes de dingue, également de Jean-Christophe, et elle l’a adoré aussi !
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
En fin d’année, je publie un album aux éditions Utopique intitulé Un vent meilleur qui raconte la rencontre dans le nord de la France entre un enfant migrant et une petite fille. Il évoque la solidarité, la désobéissance civile, un autre thème qui me tient à cœur. En fin d’année également, nous signons un nouvel album chez Père Fouettard avec Jérôme Peyrat : Cargo. Il évoque la relation entre un petit garçon et son père, capitaine de cargo, parti en mer. Les premières illustrations sont déjà magnifiques ! Et en début d’année prochaine, de retour sur l’égalité filles-garçons avec un chouette projet en compagnie d’Estelle Billon-Spagnol aux éditions Talents Hauts, ainsi qu’un nouveau livre avec Jérôme dans la jeune et jolie maison d’édition L’étagère du bas.
Bibliographie :
- Carnivore, texte illustré par Jérôme Peyrat, Père Fouettard (2018).
- 1000 vaches, texte illustré par Julie de Terssac, Père Fouettard (2017).
- Un air de violoncelle, texte illustré par Aurore Pinho E Silva (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La fosse aux lions, texte illustré par Jérôme Peyrat, Les éditions du Ricochet (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Maisons, texte illustré par Aude Brisson, Kilowatt (2015).
- Mon papi peuplier, texte illustré par Jérôme Peyrat, Talents Hauts (2015).
- Les étoiles stars, texte illustré par Céline Maniller, Les éditions du Ricochet (2014).
- C’est dans la poche, texte illustré par Jérôme Peyrat, Talents Hauts (2012).
- La révolte des Cocottes, texte illustré par Céline Riffard, Talents Hauts (2011).
Parlez-moi de… Moi, mon papa
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et/ou son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur Moi, mon papa, que nous revenons avec son autrice (Myriam Ouyessad), son illustrateur (Arnaud Nebbache) et son éditrice (Brigitte Cazeaux des éditions Points de suspension).
Myriam Ouyessad, autrice :
Ce livre a une genèse un peu particulière. Au départ, il y a d’abord une envie graphique d’Arnaud : représenter une réalité qui enfle, se déforme par exagération… Très vite, nous pensons à ces fameuses discussions entre enfants sur leur fantastique papa « qu’est le plus fort » ! L’idée nous amuse, et nous poussons un peu… Nous voyons bien comment l’histoire pourrait progresser, devenir extravagante… mais comment finir ? Dans ce toujours encore plus qui marque la rivalité entre les deux garçons, il faudrait une fin qui soit aussi une chute : inattendue, drôle, ou décalée.
Mieux qu’un papa encore plus ceci ou cela… Deux papas ! C’est la seule fin possible ! Et c’est aussi celle qui instantanément nous amuse le plus !
De là à en faire un album…
Commencer à écrire pour de bon cette histoire, c’est sentir que ce texte qui évoque l’homoparentalité sur un ton léger et décalé, peut aussi avoir, mine de rien, quelque chose à apporter. J’ai l’impression que c’est justement sa légèreté, son absence de gravité qui rend ce texte particulier.
Un premier éditeur auquel nous avions soumis le texte l’avait refusé en regrettant qu’il s’arrête au moment où il devenait « intéressant » : avant de parler clairement de la vie d’une famille homoparentale. Certes, cela risquait de rendre le texte un peu moins drôle, mais…
Mais justement. Le but n’était pas de faire un texte qui porte un message didactique, qui expliciterait des arguments. En posant qu’on n’a pas nécessairement besoin d’en passer par là, ce texte s’ancre dans un monde où cette simple réalité est déjà acquise, admise.
Selon moi, c’est ce positionnement qui confère à ce texte son côté jubilatoire.
Pour les autres jeunes lecteurs, ce texte est plus modestement une fenêtre ouverte sur une réalité qu’ils ignorent encore souvent, une invitation à la discussion, à la réflexion.
Ma profession me fait côtoyer de jeunes enfants et à plusieurs reprises, ces dernières années, il m’est arrivé d’assister à des discussions entre eux sur l’homosexualité ou l’homoparentalité. À chaque fois, ce qui m’a frappé, c’est l’incrédulité des enfants. Non pas le rejet, mais l’incrédulité. Ainsi, lorsque l’un d’eux racontait que deux copines de ses parents voulaient se marier, plusieurs avaient ri parce que leur copain disait n’importe quoi ! Deux femmes qui s’aiment et se marient, c’était juste « pas possible » !
Mais si. C’est possible. Un petit garçon peut aussi avoir deux papas, ou deux mamans…
Permettre que l’ignorance ne soit pas le début de l’intolérance.
Arnaud Nebbache, illustrateur :
Le projet Moi mon papa a trouvé naissance en discutant avec Myriam Ouyessad autour d’une signature lors d’un salon littéraire.
Les occasions sont (trop) rares de faire naître un livre en collaborant directement avec les auteur·e·s. Ça a déjà été le cas avec Myriam pour Tibouli rêve de couleurs (éditions Circonflexe). Je lui faisais part de mon envie de travailler sur la surenchère des enfants pour décrire leurs parents. Mon intérêt était purement graphique, je voulais réfléchir sur l’accumulation et sur une narration qui fonctionnerait sur l’absurde des exagérations, voir des mensonges des enfants pour se faire valoir aux yeux de leurs copains.
Myriam a réagi assez rapidement en proposant la chute avec les deux papas… qui donnait réellement sens à ce texte. Et comme souvent, le projet est resté en gestation pour quelques mois. Nous avons repris l’histoire un peu plus tard et Myriam a travaillé le texte notamment en définissant le contexte. Les deux enfants devaient discuter sur la plage en construisant un château de sable de plus en plus haut, afin d’appuyer sur la surenchère et de faire écrouler le château en fin d’histoire.
Nous avons également défini ensemble les choix graphiques où deux techniques se juxtaposent pour aider à la bonne différentiation de la partie réelle (encre pour la page de gauche) et de la partie fantasmée (pochoirs pour la page de droite).
Les éditions Points de suspension ont été les premiers à vouloir accueillir ce livre et le projet qu’ils proposaient dans son ensemble était cohérent par rapport à nos intentions et à nos envies. Le résultat correspond à nos attentes grâce au bon travail qui a été fait sur l’impression. Je suis content et assez fier d’aller « défendre » ce livre dans les écoles ou les salons quand j’en ai l’occasion.
Brigitte Cazeaux, éditrice :
Lorsque j’ai reçu par mail le projet d’Arnaud et Myriam, j’avoue que ce sont d’abord les images qui m’ont séduite.
En lisant le texte, je me disais, c’est une histoire qui a déjà été racontée, j’avais en tête Moi, ma grand-mère de Pef, et Le fils du tailleur de pierre de Moon-hee Kwon, un régal de palabre entre deux enfants.
Tout en lisant, j’essayais d’imaginer quelle serait la fin et ce à quoi je pensais n’avait rien à voir avec le texte de Myriam et cette chute géniale qui m’a convaincue de la nécessité de publier ce livre.
Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit un projet bien traité, sur un sujet important qui nous tient à cœur et qui colle parfaitement à nos ambitions éditoriales : faire découvrir le monde tel qu’il est et non pas tel que certains voudraient qu’il soit.
De plus, le travail avec Myriam et Arnaud a été d’une simplicité incroyable, je n’ai quasi pas eu à mettre mon grain de sel, tout avait été réfléchi et travaillé en amont, ce qui m’a permis de publier assez rapidement cet album indispensable, de mon point de vue.
J’espère que cet album aidera à connaître et accepter toutes les formes de parentalité ou au moins d’en discuter.
Il fait partie de la bibliographie « Parent quelle aventure », sélection de L’Atelier des Merveilles, un projet soutenu par la CAF de l’Ardèche.
![]() Moi, mon papa Texte de Myriam Ouyessad, illustré par Arnaud Nebbache. Sorti chez Points de suspension (2017). Retrouvez notre chronique ici. |

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !