Ce mercredi, je vous propose une rencontre avec Cléa Dieudonné que j’ai eu la chance de pouvoir interviewer. Elle nous parle de ses albums que je trouve incroyables et revient sur son parcours. Ensuite, Annabelle Buxton nous révèle les secrets de son atelier…
L’interview du mercredi : Cléa Dieudonné
J’ai adoré votre album complètement fou La Pyramide des animaux ! Comment avez-vous conçu ce livre-fresque qui fourmille d’animaux et autres détails ?
Tout est parti de l’idée un peu absurde d’empiler des animaux dans un livre au format similaire à La Mégalopole. J’ai fait beaucoup de recherches et établis une liste d’espèces des plus connues aux plus étranges, puis j’ai dessiné une première version très droite et ordonnée. Les animaux étaient rangés du plus gros en bas au plus petit en haut, avec un animal par page. Guillaume Griffon, mon éditeur, m’a fait remarquer que cela serait plus amusant de tous les mélanger. J’ai donc dessiné une nouvelle version beaucoup plus complexe et chaotique. J’ai rendu la pyramide plus instable puis j’ai construit sa charpente avec les plus gros animaux et quelques piles de plus petits. En parallèle, j’ai défini une scène par page de la pyramide et écrit le texte. J’ai aussi ajouté des saynètes de second plan, qui ne sont pas mentionnées dans l’histoire. Puis j’ai comblé les vides avec d’autres animaux.
Et ensuite, j’ai pris soin que chacun soit en mouvement même s’ils ne prennent pas part à l’histoire : certains font des selfies, mange du pop-corn, joue avec un hélicoptère télécommandé par exemple. Je voulais que l’ensemble soit foisonnant et que, peu importe où le lecteur pose ses yeux, il ait toujours quelque chose à découvrir.
J’ai porté un soin particulier à ajouter des animaux méconnus ou mal-aimés comme le couscous tacheté, le glouton, le pangolin ou l’araignée, la hyène, le vautour. Au total, il y a plus de 150 espèces différentes et 200 animaux, ça en fait du monde à dessiner !
Quel parcours avez-vous suivi avant de réussir à créer des livres toujours plus surprenants les uns que les autres ?
J’ai étudié le graphisme puis la conception de projets multimédias à Paris pendant 5 ans à l’école Estienne puis à Gobelins. Une fois diplômée, je suis partie travailler à Amsterdam dans une agence de communication où je me suis plutôt orientée sur l’illustration. Pendant tout ce temps, j’ai écrit des histoires pour enfants, rien de bien abouti. Puis un jour, j’ai commencé à concevoir un livre comme mes projets multimédias, j’ai réalisé qu’on pouvait jouer avec la forme du livre, son volume, la façon dont on le manipule et dont on le lit. Cela a donné naissance à mon premier livre La Mégalopole imaginé pour les supports numériques et papier. Le projet s’est concrétisé grâce à ma rencontre avec la maison d’édition L’Agrume. Il m’a aidé à créer ce livre démesuré qui se déplie sur 3,75 m. La pyramide est beaucoup plus petite, seulement 2 m de long !
Vous avez aussi conçu un livre numérique, Avec quelques briques, avec Mathilde Fournier, est-ce que le travail est très différent de la création d’un album papier ?
Pour moi pas vraiment, mais je crois que je pense plus comme une designer que comme une auteure. Je conçois un livre avant de l’écrire et il peut s’incarner à l’écran ou sur le papier. Par contre pour le numérique il faut aussi gérer la production (un peu le rôle de l’éditeur en fait) et travailler en équipe avec un développeur et un sound designer. C’est ce que j’ai fait pour l’app Avec quelques briques qui est l’adaptation du livre pop-up de Vincent Godeau, publié (sur papier) par L’Agrume. C’est une interprétation de son livre et une expérimentation sur la lecture à l’écran. Avis aux amateurs elle est gratuite dans l’App Store !
Quand on regarde votre production, on se dit que la forme du livre est quasiment aussi importante que l’intérieur. Comment décidez-vous de la forme que va prendre une de vos créations ?
C’est exactement ça. L’histoire s’impose d’elle même quand je trouve la forme du livre et de la façon de le lire. Mais ce n’est pas facile de trouver une forme originale qui fonctionne, il faut que le livre soit surprenant, mais lisible et aussi réalisable par l’imprimeur. Pour La Mégalopole j’avais cherché un système de pliage qui me permettrait d’avoir une image panoramique et une histoire à la fois. Mais il fallait que ce vaste espace soit utilisé judicieusement. J’ai repensé à une frustration ressentie lorsqu’on essaie de prendre en photo un gratte-ciel qui dépasse du cadre. D’où l’idée d’une ville géante qui ne peut être regardée en un regard et qui sort du cadre. Pour mon prochain livre, j’ai cherché à jouer avec un système d’ouverture, puis tourner ces pages m’a évoqué le fait d’ouvrir une porte. C’est devenu un livre-maison et les pages sont ses pièces.
Je développe d’autres idées de livres, plusieurs à la fois. Je fais des petites maquettes papier, je réfléchis à la pertinence et de la faisabilité, réfléchi au thème de l’histoire. Quand on décide qu’un projet est mûr, je me lance dans les illustrations et l’écriture. Mais je ne suis pas pressée, je fais seulement un livre par an et j’ai déjà les idées pour les deux prochains.
Quelles sont vos techniques de création ?
Je dessine toujours sur papier puis je scanne mes croquis et les redessine en vectoriel sur le logiciel « Illustrator ». Cela me permet de modifier indéfiniment mes illustrations pour rajouter des couches successives de détails et aboutir à des scènes fourmillantes.
Quand vous étiez enfant et adolescente, lisiez-vous plutôt des albums, des BD, des romans… ?
J’ai lu énormément de BD et de contes et légendes du monde entier, ensuite pas mal de mangas. Très peu de romans en fait, à part Roald Dahl que j’adore toujours et Harry Potter comme tous ceux de ma génération !
Et quel genre de projets explosifs avez-vous pour les mois à venir ?
Je suis en train de finir un nouveau livre qui sortira à la rentrée, un livre maison. On suit les pas d’une petite fille qui explore la villa de sa tante archéologue et évidemment elle vit plein d’aventures loufoques. Il y a encore une fête avec une grande parade plus folle que celle de La Mégalopole. Après ce projet, je pense travailler à un cahier d’activité sur l’architecture. Puis un livre à déplier avec un autre système et la version numérique de La Mégalopole qui est toujours en incubation.
Bibliographie francophone :
- La Pyramide des animaux, L’Agrume (2017), que nous avons chroniqué ici.
- 10 Animaux et leurs voisins, L’Agrume (2016)
- 10 Véhicules et leurs cousins, L’Agrume (2016).
- Ville magique, Kimane (2016).
- La Mégalopole, L’Agrume (2015), que nous avons chroniqué ici.
Son site : http://www.cleaplatre.com
Quand je crée… Annabelle Buxton
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Annabelle Buxton qui nous parle de quand elle crée.
Dans mon processus de création, dessin et écriture marchent côte à côte. Un dessin peut m’apporter une idée de scénario et une idée de scénario un dessin. J’ai beaucoup de difficultés à être linéaire, je vois le monde en petits morceaux. Cela se retranscrit aussi dans ma manière de travailler.
Je commence toujours le travail avec mon rituel café, que je pose tant bien que mal entre une trousse débordante de crayons, deux trois pots de pinceaux, un pot d’eau sédimentaire, une palette, des encres, des carnets, des post-its (partout) une table à découper sous une table lumineuse, sous une tablette graphique et un sèche-cheveux sur la droite qui est très important pour faire sécher plus rapidement la peinture. Je travaille le plus souvent à la maison, car mon matériel est compliqué à déplacer. Le silence le matin me plaît et m’aide à me concentrer, il m’arrive très souvent d’allumer la radio et d’aller choisir mes podcasts de mes émissions fétiches que j’écoute l’après-midi et le soir. France inter, France culture et Arte radio composent la playlist. Connaissez-vous le podcast Écoutez le monde Le chasseur de silence… ? Une pépite.
Après avoir écouté avec la tête j’écoute avec le cœur, vient alors le tour de Joe Strummer, des Talking Heads, ou encore des petites histoires de Mathieu Boogaerts.
Beaucoup de styles se confondent, le fil conducteur ? Leur voix.
Il y a plusieurs étapes dans mon travail et celle qui à ma préférence est l’esquisse. Un cahier et quelques crayons suffisent et voilà que je m’échappe dans des cafés parisiens vers Bastille ou Laumière. J’ai un peu mes adresses préférées où les décibels s’alignent, la lumière est belle et le décor est chargé, voire poussiéreux. Je m’arrange toujours pour être près d’une fenêtre. L’agitation mesurée et les bruits de porcelaine, des rires étouffés, des serveurs et des personnes qui vont et qui viennent, m’apportent de bonnes conditions pour rester concentrée dans mon travail sans être frustrée d’être contenue sur ma chaise.
Les trains me font aussi cet effet, l’immobilité mobile fonctionne bien pour moi.
Annabelle Buxton est autrice-illustratrice.
Bibliographie :
- Tom et Tow, texte et illustration, Albin Michel Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Système solaire, illustrations d’un texte d’Anne Jankeliowitch, De la Martinière Jeunesse (2017)
- La Pointeuse botanique, illustration d’un texte de Caue De L’Essonne, avec photos de Gérard Arnal, Actes Sud Junior (2016).
- Le livre-tapis des jouets, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2015).
- Archicubes, illustrations d’un texte de Sandrine le Guen, Actes Sud Junior (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le Rhinocéros de Wittgenstein, illustrations d’un texte de Françoise Armengaud, Les Petits Platons (2013).
- Le Tigre blanc, texte et illustrations, Magnani (2012).
Son site : http://annabellebuxton.com
Aime le papier bulles et les dinosaures.