Il y a peu je vous ai parlé de Mon bison, que j’ai beaucoup aimé. j’ai donc voulu en savoir plus sur son autrice, Gaya Wisniewski. Elle a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, c’est à une nouvelle question bête, que Régis Lejonc et Julia Wauters ont bien voulu répondre : « Est-ce qu’il faut avoir lu un roman pour faire la couv’ et comment on choisit ce qu’on mettra sur la couv’ ? » Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Gaya Wisniewski
Parlez-nous de votre parcours
Je suis née dans les crayons et papiers puisque j’ai deux parents artistes. Dessiner a toujours été mon moyen d’expression.
J’ai terminé mes deux dernières années de secondaire dans l’option art plastique à L’institut Saint-Luc à Bruxelles et poursuivi à Saint-Luc en Illustration.
Ensuite j’ai fait un CAP (certificat d’aptitude pédagogique) pour pouvoir enseigner le dessin.
Et pendant douze ans, j’ai donné des cours de composition, couleur, dessin, volume… à l’institut Saint-Luc Bruxelles à des adolescents entre 15 et 19 ans.
À côté de mon travail, je réalisais des expos, des marchés de créateurs. J’ai aussi eu quelques contacts avec des maisons d’édition mais cela n’a jamais abouti.
J’adorais enseigner aux ados mais en parallèle j’étais attirée par le monde de l’enfance, j’ai alors combiné l’enseignement à Saint-Luc avec celui d’animatrice d’atelier au Wolf (Maison de la littérature de jeunesse).
Là j’étais baignée dans les livres jeunesse et mon envie de raconter des histoires n’a fait que croître…
Vous venez de sortir Mon bison chez MeMo, parlez-nous de cet album, comment il est né, comment vous avez travaillé sur ce projet.
C’est dans le Gers, lors d’un « Festival de l’illustration » à Sarrant que tout a commencé.
Je m’étais inscrite à l’atelier de Joanna Concejo, dont j’admirais le travail.
Elle nous a parlé de sa façon d’aborder la réalisation d’un livre et nous a montré ses carnets de recherches.
Ce fut un très beau moment de partage. De ce stage, je garde cette sensation : elle a mis une clef dans mon dos, tourné et tout débloqué.
Je suis rentrée à la maison et j’ai repensé à cette façon de ne pas aborder spécialement le texte en premier (ce qui me bloquait depuis tant d’années). On m’avait appris à d’abord réfléchir à la mise en page, la place du texte…
Et ici pour Mon bison, j’ai juste dessiné ce que j’avais depuis longtemps en moi…
L’image d’un bison, peut être dû à mes origines slaves. 🙂
J’ai choisi le fusain, une technique que j’affectionne particulièrement.
Pendant des semaines, j’ai dessiné, dessiné mon bison, les visions que j’avais avec lui, les sensations d’enfant, les souvenirs…
Et puis j’ai mis tout bout à bout et lors d’une discussion avec mon compagnon, toute l’histoire m’est apparue. Je parlais effectivement de la mort mais pour moi cela allait plus loin. C’était plus ce sentiment de devoir laisser partir les petites choses qui nous font grandir.
Accepter les changements, et se souvenir de ce que cela nous a apporté.
J’ai ensuite écrit l’histoire, à la première personne car mon bison est là depuis longtemps, j’aime à penser que c’est celui qui veille sur les bons moments qui ne sont pas encore arrivés.
Pour un premier album, il a eu un bel accueil de la part de la presse et des libraires.
On est toujours très heureux quand quelque chose de personnel touche les autres.
Ce qui me touche moi c’est la manière dont les gens s’approprient l’histoire, ils me racontent ce que ça leur fait. Ça me touche énormément : quand une dame m’a dit qu’elle l’avait offert à sa maman pour lui dire qu’elle l’aimait, quand une petite fille me dit : il a l’air doux le bison, quand j’ai vu une personne très sérieuse avoir les larmes aux yeux à la fin de la lecture…
J’ai vraiment eu une belle rencontre avec MeMo, ils ont pris mon album « tout entier » sans jamais me demander de donner un nom à mon bison. Trouver un éditeur n’est pas facile, j’avais envoyé Mon bison à 19 maisons d’édition. Il faut croire en ses rêves. 🙂
J’aimerais que vous nous parliez de votre technique d’illustration
Il y a du fusain, je l’emploie de manières différentes, j’étale et je dessine les lumières avec la gomme, je redéfinis les contours avec la pointe du fusain, j’effleure juste le papier avec la tranche du fusain… pour finir, je rehausse les blancs avec un « posca » blanc.
Et pour ce qui est de la couleur, c’est de l’aquarelle.
Est-ce que vous imaginez illustrer les mots des autres ou vous ne souhaitez faire que des projets en tant qu’autrice-illustratrice ?
Pour l’instant MeMo me permet de partager tout mon univers, illustration et histoires ce qui est une grande chance dans la création. Mais les belles rencontres peuvent amener à partager des univers, alors peut être un jour…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Richard Scarry, j’adore son monde et je relis ses albums avec plaisir à mes deux petits garçons. Béatrix Potter, les livres magiques de J.S Goodall, Tove Jansson avec les adorables Moumines, et un de mes livres préférés La famille petitplats de Alan et Janet Ahlberg.
Adolescente je ne lisais pratiquement pas. Juste les livres obligatoires pour l’école. Mais un jour ma marraine m’a offert Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos. J’ai terminé le livre en pleurs, cela m’a fort marqué.
Quels sont les auteur·trice·s et les illustrateur·trice·s dont le travail vous touche particulièrement aujourd’hui ?
Joanna Concejo tout son travail au crayon est superbe et ses atmosphères me parlent, Anne Brouillard (elle possède une magnifique technique), Axel Scheffler, Inga Moore (Le vent dans les Saules et La maison au fond des bois sont deux de mes livres fétiches), les livres de Chiaki et Ko Okada (je prends souvent le temps de me replonger dans C’est toi le printemps ?), Shaun Tan j’adore autant ses dessins que ses histoires remplies de poésie. Et puis je suis une grande fan de pop-up… donc les livres de Louis Rigaud et Anouck Boisrobert sont à portée de main dans la bibliothèque.
Quelques mots sur vos projets ? D’autres albums à sortir ?
Ma rencontre avec MeMo, m’a apporté beaucoup de confiance dans l’écriture de mes histoires. On a beaucoup d’échanges sur mon univers, leurs envies de livres avec mes histoires… Et un autre livre sortira en 2019. Technique différente, plus coloré.
L’histoire est toujours personnelle mais il y aura de l’aventure… et de la neige !
Bibliographie :
- Mon bison, texte et illustrations, MeMo (2018), que nous avons chroniqué ici.
Ma question est peut-être bête, mais…
Régulièrement, on osera poser une question qui peut sembler un peu bête (mais l’est-elle vraiment ?) à des auteur·trice·s, illustrateur·trice·s, éditeur·trice·s… Histoire de répondre à des questions que tout le monde se pose ou de tordre le cou à des idées reçues. Cette fois-ci, j’ai demandé à Régis Lejonc et Julia Wauters « Est-ce qu’il faut avoir lu un roman pour faire la couv’ et comment on choisit ce qu’on mettra sur la couv’ ?». Je vous propose de lire leurs réponses. Si vous avez des questions bêtes, n’hésitez pas à nous les proposer !
Régis Lejonc (illustrateur):
Pour illustrer la couverture d’un roman, il n’est pas obligatoire de lire le roman. C’est toujours mieux bien sûr parce qu’en le faisant on se fabrique des images qui serviront la représentation graphique des personnages et de l’ambiance générale de l’histoire.
J’ai illustré récemment les couvertures de deux romans : Les larmes des Avalombres d’Alexandre Chardin aux éditions Magnard, et la ré-édition de la trilogie rassemblée sous le titre Malo de Lange de Marie-Aude Murail aux éditions École des Loisirs.
Pour Les larmes des Avalombres j’ai lu intégralement le roman en amont des réalisations des illustrations. L’intérieur du livre est également illustré. Cela m’a permis de me plonger en profondeur dans l’ambiance très particulière de ce récit fantastique. C’était absolument obligatoire de faire ainsi.
Pour Malo de Lange, j’ai parlé avec Marie-Aude Murail de la vision qu’elle avait des personnages, comment elle se les figurait afin d’approcher au plus près de sa vision à elle, plutôt que de mon interprétation. Lire l’ensemble n’était pas nécessaire dans ce cas particulier.
Dans les deux cas, ce qui importe le plus est d’être au plus proche des intentions de l’auteur du roman.
C’est totalement différent de l’album où la vision, l’interprétation de l’illustrateur sont souhaitées. L’image y prenant une plus grande place aussi sur l’ensemble narratif.
Julia Wauters (illustratrice):
Si vous m’aviez posé cette question il y a dix ans, j’aurais affirmé sans l’ombre d’une hésitation : « évidemment qu’il faut avoir lu le livre pour en faire la couverture ! »
Mais après quelques années passées à en faire, force est de constater que délais oblige, ça n’est pas toujours ce qui se passe réellement : traduction pas encore prête, texte encore en correction, ou juste transmis trop peu de temps avant de devoir rendre la première esquisse pour les représentants.
Quand le texte est très court bien sûr, pour des premiers romans, je le lis toujours.
Et quand je l’ai, même si le texte est long et que la lecture sur ordi n’est pas la plus agréable, je lis souvent au moins une bonne partie… mais je l’avoue, c’est plus parce que lire est une de mes activités favorites que parce que c’est absolument nécessaire.
C’est toujours génial de « lire » pour son travail, surtout un texte auquel très peu de personnes ont eu accès puisqu’il n’est pas encore publié : je ne me lasse pas de ce privilège… et puis comme on a rarement d’échange avec l’auteur ou l’autrice du texte, je trouve que prendre contact avec ses mots est un devoir minimum.
Mais en vérité, je crois qu’une fiche de lecture intelligente faite par un bon éditeur·trice est parfois bien suffisante :
Pour faire une couverture, il nous faut les bons ingrédients : le genre, le contexte, des mots clefs sur le fond et la forme (ambiances, objets, accessoires importants, paysage emblématique)… Et puis un titre définitif avec lequel on va jouer visuellement. Nul besoin de répéter ce que dit le titre mais on va chercher à le compléter ou au contraire brouiller les pistes, à le rendre plus ambigu.
Il m’est arrivé une seule fois de travailler sur une couverture qui a complètement changé de titre en cours de route : le dessin est reparti à zéro aussi, forcément.
Je travaille pour des collections ou des séries : il y a donc aussi, préexistant au texte un principe visuel :
Pour les Héroïques chez Talents hauts, la directrice de collection (Jessie Magana) me fait parvenir une fiche détaillée avec résumé, extraits, citations, pistes visuelles, c’est toujours très bien fait, on y sent l’amour du texte, le respect de son auteur·trice. Cette série de couvertures que je réalise (avec Marie Rébulard à la direction artistique) est volontairement à la limite de l’abstraction. Il s’agit plus d’ambiances colorées, de matières qui évoquent un paysage, un contexte et si l’on peut une tension dramatique : un bout de tissu rouge coincé dans les rames du tram, une mer agitée, l’ombre d’un aigle sur un sol rocailleux…
Pour les mini romans de Syros, première commande (il y a 10 ans !) que je poursuis toujours, il n’y a jamais de décor : que des personnages. L’attention sera surtout sur leurs expressions, la position du corps et un élément qui va suggérer le contexte. Avec en 4e toujours, un petit détail compréhensible seulement à la lecture du livre.
Pour la série des cousins Karlsson, chez Thierry Magnier, une des contraintes est de représenter les quatre cousins à chaque fois en couverture ce qui peut être un casse-tête dans un petit format comme celui-là. On est plus ici dans l’illustration d’une scène extraite du livre et ça n’est pas forcément ce que je préfère mais cela se comprend pour cette série qui tient vraiment sur l’identification à ces quatre personnages aux personnalités très différentes.
Ce qui m’amuse le plus en fait, c’est lorsque la composition se fait graphique, que titre et dessin ne font plus qu’un, que typographie et dessins sont entremêlés et que la couverture soit riche de signes mais mystérieuse. Voire qu’on puisse la regarder d’un nouvel œil après la lecture du roman, comme si désormais on avait la clef pour la comprendre entièrement. Mais avant cela, il faut attirer l’œil sur une table de librairie, donner envie d’ouvrir le livre ! Comme pour l’affiche d’un évènement, on a envie de rassembler le plus de personnes.
Pour moi, les couvertures de l’éditeur anglais Penguin sont un modèle en la matière (et ce, depuis longtemps), elles ont la force des bonnes affiches.
En France, les éditions Toussaint Louverture, le Tripode et le Nouvel Attila portent une attention particulière à l’objet livre aussi : toujours des couvertures intéressantes, très différentes à chaque fois mais reconnaissables à leur exigence graphique. Le travail des éditions Zulma aussi, avec ses couvertures en motifs (dessinées par David Pearson à chaque fois) me séduit depuis le début, c’est à la fois pointu et intemporel, évocateur et mystérieux.
Et la jeunesse n’est pas en reste : Les éditions Hélium livrent souvent des couvertures hyper fortes : j’adore celle d’Olivier Charpentier pour Bird (Crystal Chan) ou celle de Gérard Lo Monaco pour Une tribu dans la nuit (Glenda Millard) pour ne citer qu’eux. Toute les couvertures de la collection En voiture Simone chez Thierry Magnier avec ses couleurs vives et ses illustrations fourmillantes sont réussies, la nouvelle collection Grande polynie chez memo est une merveille (mention spéciale pour Milly Vodovic de Nastasia Rugani illustré par Jeanne Macaigne)… et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de citer.
Il m’est arrivé d’acheter un livre pour sa couverture, sans avoir entendu parler ni du texte ni de l’auteur·trice. C’est à mon sens le signe ultime d’une couverture réussie !
Bibliographie sélective de Régis Lejonc :
- Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes, illustration d’un texte de Franck Prévot, HongFei (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le Jardin du Dedans-Dehors, illustration d’un texte de Chiara Mezzalana, Les éditions des éléphants (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Tu seras ma princesse, illustration d’un texte de Marcus Malte, Sarbacane (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Bagdan et la louve aux yeux d’or, illustration d’un texte de Ghislaine Roman, Seuil jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Kodhja, avec Thomas Scotto, Thierry Magnier (2015).
- L’Ogre Babborco, illustration d’un texte de Muriel Bloch, Didier Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Ianos et le dragon d’étoiles, illustration d’un texte de Jean-Jacques Fdida, Didier Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- La poupée de Ting-Ting, illustration d’un texte de Ghislaine Roman, Seuil jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La mer et lui, illustration d’un texte d’Henri Meunier, Notari (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Loup ?, collectif, Association Mange-Livre (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Lumières, l’encyclopédie revisitée, collectif, L’édune (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La rue qui ne se traverse pas, illustration d’un texte d’Henri Meunier, Notari (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Obstinément Chocolat, illustration d’un texte d’Olivier Ka, L’édune (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Le Petit Chaperon rouge ou La Petite Fille aux habits de fer-blanc, illustration d’un texte de Jean-Jacques Fdida, Didier Jeunesse (2010), que nous avons chroniqué ici.
- La boîte à joujoux, illustration d’un texte de Rascal, Didier Jeunesse (2005), que nous avons chroniqué ici.
- Fait pour ça, texte illustré par David Merveille, Actes Sud Junior (2004), que nous avons chroniqué ici.
- Ma voisine est amoureuse, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2003), que nous avons chroniqué ici.
Bibliographie sélective de Julia Wauters :
- Le garçon rose malabar, illustration d’un texte de Claudine Aubrun, Syros (2018).
- La légende de saint Nicolas, illustration d’un texte de Robert Giraud, Père Castor (2017).
- Au fond des bois, illustration d’un texte d’Anne Cortey, Sarbacane (2017).
- Un ours, des ours, collectif, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Quand la sagesse vint aux ânes : Fables, illustration d’un texte de Pierre Ruaud, Amaterra (2015).
- Poésies dans l’air et dans l’eau, illustration d’un texte de Kochka, Père Castor (2015).
- Meslama la sorcière, illustration d’un texte de Jennifer Dalrymple, Cambourakis (2015).
- Fanfare, illustration d’un texte d’Anne Cortey, Sarbacane (2014).
- Lumières, l’encyclopédie revisitée, collectif, L’édune (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La légende de Saint-Nicolas, illustration d’un texte de Robert Giraud, Père Castor (2012).
- Rhino a un truc qui lui gratte le dos, illustration d’un texte de Karine-Marie Amiot, Albin michel (2011).
- Les fous du platane : Et autres histoires à en perdre la tête, illustration d’un texte de Jean Louis Maunoury, Sarbacane (2011).
- Petit Chat découvre le monde, illustration d’un texte de Claire Ubac, Benjamin média (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Matakonda la Terrible, illustration d’un texte d’Anne Vantal, Actes Sud junior (2009).
- Ma grande sœur m’a dit, illustration d’un texte de Gilberte Niamh Bourget, Hélium (2009), que nous avons chroniqué ici.
- Vents dominants, scénario illustré par Glen Chapron, Sarbacane (2009).
Le site de Julia Wauters : http://juliawauters.tumblr.com.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !