Pour le retour des invité·e·s du mercredi je vous propose tout d’abord une longue et belle interview de Jonathan Garnier, scénariste de deux des plus belles séries de cette année, Momo et Bergères guerrières. Ensuite, on a rendez-vous avec une nouvelle chronique : Ma question est peut-être bête, mais… Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Jonathan Garnier
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je ne me suis jamais vu faire autre chose que de la bande dessinée. Petit, je passais mon temps à dessiner, d’abord Mickey puis Mario Bros et du Dragon Ball ! J’ai fait un bac Arts Appliqués puis une école de BD dans l’idée de devenir dessinateur BD mais j’ai commencé à travailler en tant que graphiste et illustrateur dans une boîte qui gérait des licences de jeux vidéo online, puis à Ankama Presse, sur le Dofus Mag. Entre deux numéros je donnais un coup de main à l’équipe d’Ankama Éditions avant de finalement la rejoindre à temps plein en tant que graphiste. C’était une toute petite équipe chapeautée par Run. À l’époque il n’y avait pas vraiment d’éditeur à part lui et quand je me suis retrouvé à travailler sur des albums, j’ai dû m’occuper du suivi des auteurs et, sans m’en rendre compte, j’apprenais sur le tas le métier d’éditeur.
Travailler avec Run était une super expérience, c’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut et qui fait tout pour offrir le meilleur aux lecteurs. Comme nous étions sur la même longueur d’onde et qu’il sentait que l’éditorial m’intéressait, il m’a proposé de passer éditeur. Une vraie chance mais aussi un sacré challenge car je ne voulais pas me contenter de signer des contrats et laisser les auteurs bosser dans leur coin. Je souhaitais leur offrir un suivi éditorial mais aussi littéraire et graphique. Aussi, je ne cherchais pas à débaucher des auteurs signés chez d’autres maisons d’édition, ce qui me plaisait vraiment c’était de dénicher de nouveaux talents et monter des projets avec eux. J’ai pu présenter à Run le travail de Guillaume Singelin et de Sourya, éditer Ulysse Malassagne et Valentin Seiche, initier Chemin Perdu d’Amélie Fléchais et éditer son Petit Loup Rouge pour la Collection Etincelle que je dirigeais…
Travailler ainsi s’est révélé vraiment enrichissant, notamment grâce aux longues discussions que j’ai eues sur l’écriture, la narration, avec les talentueux auteurs avec qui j’ai pu collaborer. Je pense que l’envie de me lancer dans l’écriture me vient en partie de ces échanges et de mon travail de directeur de collection. En réfléchissant à la ligne éditoriale qui guiderait la Collection Étincelle est né le désir de mettre en lumière des récits tout public qui n’ont pas peur de traiter de sujets sérieux en mêlant aventure et humour. En gros, revendiquer du « 7 à 77 ans » à une époque où beaucoup d’éditeurs freinent l’émergence de récits familiaux en enfermant la production BD dans des tranches d’âges précises sous prétexte de mieux cibler un lectorat défini.
Dans cette logique, la première histoire que j’ai voulu raconter est celle de Momo, un récit transgénérationnel que j’ai écrit sans jamais viser un lectorat particulier.
Le dernier facteur qui m’a amené vers l’écriture est le fait d’avoir lâché le dessin pour me mettre à la photographie. Par ce nouveau média je me suis intéressé à des documentaires, des reportages qui ont pas mal titillé mon imagination.
Plus jeune, je me disais que l’écriture n’était pas pour moi, que j’en resterais au dessin… comme quoi !
Momo et Bergères guerrières mettent en scène des personnages féminins forts. Est-ce un hasard que vos deux premiers albums aient ce point commun, ou est-ce le genre de personnages que vous aimez ?
Ce que j’aime avant tout ce sont les personnages bien écrits. Qu’ils soient féminins ou masculins m’importe peu. Chez Hayao Miyazaki par exemple, j’aime autant Marco Pagot (de Porco Rosso) que Nausicaä, je ne fais pas de fixette sur ces « personnages féminins forts ».
Une femme peut être tout aussi forte, courageuse qu’un homme, cela va de soi pour moi. Ce n’est donc pas un message que je m’échine à marteler dans mes histoires en y casant à tout prix des héroïnes « badass » et il m’apparaît naturel que doivent coexister dans mes récits des personnages masculins ET féminins forts et nuancés.
Pour Bergères Guerrières, le choix du genre du héros s’est fait de façon logique.
Dans les récits de guerres, qu’ils soient destinés à un public adulte ou jeunesse, il est souvent question des hommes qui partent au front mais rarement des femmes, enfants, anciens qui doivent survivre dans des conditions souvent difficiles. Nous basant sur un dessin d’Amélie montrant de fières bergères prêtent à défendre leurs pâturages, c’est ce point de vue de « ceux qui restent » qu’il nous intéressait de développer dans ce projet et c’est ce qui nous a encouragés à choisir une héroïne féminine.
Pour Momo, j’ai choisi comme personnage principal une petite fille car cela me permettait de mettre une certaine distance avec ma propre enfance lors de l’écriture, d’éviter de m’enfermer dans mon vécu personnel. Cela m’aide à aborder des thématiques sous un angle nouveau et je procède de la même façon pour des scénarios que je suis en train d’écrire traitant de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. Il faut dire que si je devais écrire sur mon enfance et mon adolescence, ce serait d’un ennui effroyable ! Pour en revenir à Momo, au final le personnage n’est pas vraiment « genré », beaucoup de lecteurs ont d’abord pensé que Momo est un petit garçon mais n’ont pas été choqués de découvrir que c’est en fait une fille. Cela prouve, je pense, que c’est avant tout à l’écriture du personnage, de son caractère, de ses émotions, que les lecteurs se sont attachés plus qu’au fait qu’il s’agisse d’un personnage féminin au fort caractère.
J’ai trouvé une similitude graphique entre les deux séries, avez-vous choisi les illustrateur·trice·s ?
La BD est un média de l’image et c’est important pour moi qu’il y ait une vraie harmonie entre le scénario et le dessin, je choisis donc moi-même les dessinateur·trice·s avec lesquel·le·s je travaille, sauf lorsqu’un·e dessinateur·trice me sollicite et que nos envies concordent.
En réalité je connais depuis longtemps Amélie et Rony, mais aussi Yohan Sacré et Jérémie Almanza, avec qui j’ai des projets en cours. Je les avais contactés lorsque j’étais directeur de collection, souhaitant éditer les projets qu’ils pourraient avoir, et je leur ai finalement proposé mes propres histoires quand je suis passé à l’écriture.
Nous partageons avec cette génération d’auteurs (dans laquelle j’inclus Guillaume Singelin, Ulysse Malassagne et Valentin Seiche), des envies graphiques, narratives, qui découlent de nos références qui viennent aussi bien d’Europe, des États-Unis ou du Japon, de la BD, du jeu vidéo, des séries ou du cinéma. Cela explique la similitude graphique qu’il peut y avoir entre certains d’entre eux. Le fait qu’Amélie et Rony aient tous les deux un pied dans le monde de l’animation a une influence sur leur dessin et ajoute surement à ce cousinage.
Comment se sont passées ces collaborations ?
Elles étaient quelque peu différentes.
Pour Momo, j’avais écrit l’intégralité des 2 tomes, y compris les dialogues, avant même de proposer le récit à Rony. Nous avons tout de même beaucoup échangé lors du découpage. Peut-être même trop pour Rony car de par mon bagage, lorsque j’écris je visualise déjà précisément ce que pourrait donner le découpage de mes scènes et il faut que je prenne sur moi pour ne pas être trop dirigiste et laisser de la place au dessinateur lorsqu’il aborde cette étape, pour éviter de le frustrer.
Pour le guider vers le ton, la narration, les designs que j’avais en tête, je lui ai donné des références de films, BD et surtout beaucoup de photos de ma jeunesse en Normandie ou de photographes que j’apprécie. Avec une facilité désarmante il a su s’accaparer le tout pour trouver les bons designs, acting de personnages et le rendu idéal pour cette histoire ! Une fois le découpage mis en place, à part pour affiner quelques détails et expressions, je n’ai eu aucun retour à lui faire sur le dessin et la couleur, c’était parfait !
Pour les Bergères Guerrières, Amélie était là dès les premières étapes. Nous avons posé la base de l’histoire, imaginé la plupart des personnages et discuté de la trame ensemble. J’ai ensuite développé, structuré tout cela, écrit les scènes et les dialogues. Mais du fait qu’Amélie est ma compagne et que nous vivons et travaillons sous le même toit, elle pouvait facilement intervenir n’importe quand pour m’apporter son avis, ses idées, tout comme j’ai pu aisément échanger avec elle lors du découpage (et pour l’instant notre couple survit à cette collaboration, c’est beau !).
Comme avec Rony, une fois le rendu défini ensemble et le découpage validé par tout le monde, je n’interviens pas ou peu sur la réalisation des planches.
Ce qui est génial avec Amélie et Rony c’est que j’ai beau connaître mes histoires par cœur et les trouver perfectibles, c’est toujours un plaisir pour moi de les redécouvrir à travers les planches qu’ils ont réalisé tant ils ont su rendre les personnages vivants et drôles.
Si Bergères guerrières se déroule dans une époque imaginaire, Momo semble se dérouler il y a une trentaine d’années, soit lorsque vous étiez vous-même enfant. Quelle part de vous y a-t-il dans cette histoire ?
Le contexte du début des années 90 et du petit village Normand correspond en effet à mon enfance. Je les ai choisis un peu par nostalgie je dois avouer, mais aussi par confort. Connaissant parfaitement le lieu et l’époque de mon histoire, je n’avais qu’à me concentrer sur l’écriture des personnages et de la trame.
Comme je l’ai précisé, j’ai essayé de mettre de la distance entre celui que j’étais enfant et le personnage de Momo. J’étais un petit gars posé qui passait son temps à dessiner, lire et jouer aux Lego et je voulais écrire sur un enfant caractériel, qui a du mal à tenir en place, je n’étais donc pas le modèle idéal (je pense que si petiot j’avais rencontré Momo, mon flegme l’aurait sacrément agacée !). Le vécu de Momo n’est donc pas directement le mien mais il y a beaucoup de thématiques personnelles dans cette histoire comme la communication entre enfants, adolescents et adultes, l’impact que peuvent avoir les mots ou les actes sur un enfant, la vie en milieu rural (en tant que fils d’agriculteur élevé dans une ferme perdue en Normandie, je m’y connais sur la question), les connexions qui peuvent exister entre petits-enfants et grands-parents… et un sujet important dont je ne peux pas parler sous peine de « spoiler » l’histoire !
Il y a aussi des sujets abordés qui relèvent plus de ce qu’ont vécu des membres de ma famille ou des amis, comme les familles monoparentales et les défis à relever lorsqu’on grandit dans ce contexte.
Et puis plein de petites choses plus légères, qui m’ont marqué enfant : le jardin de mes grands-parents maternels, écosser des haricots, l’excentrique du village, la découverte de Dragon Ball, les nuits d’orages, les grands-mères qui piquent et leurs mains parcheminées…
Sinon le physique et parfois le caractère des personnages sont souvent inspirés de gens que j’ai connus enfant mais ce sont plus des clins d’œil qu’autre chose. Tristan est l’adolescent au look de loubard qui faisait pétarader sa mob près de chez mes parents, Françoise est inspirée d’une ancienne voisine, les bandes d’enfants et d’adolescents sont d’anciens camarades de classes et la grand-mère de Momo un mix de mes 2 grands-mères.
Enfin, pour ce qui est du décor, je n’ai pas vécu au bord de la mer mais j’ai repris la configuration du petit village où j’habitais pour celui de Momo. La maison de la mamie est inspirée par celle de mes grands-parents paternels et le jardin est celui de mes grands-parents maternels dans lequel j’adorais trainer !
Comment sont nées ces deux histoires ?
À force d’accompagner des auteurs dans le développement de leurs projets j’ai fini par vouloir travailler sur les miens parce qu’au fond, j’ai toujours voulu raconter des histoires.
Le déclencheur pour Momo est une série de photographies de Kotori Kawashima qui a pour sujet une petite Japonaise à la bouille constamment renfrognée, Mirai-Chan. Ces photos ont réveillé mon envie de parler de l’enfance, sujet dont je voulais traiter en mêlant récit initiatique, chronique sociale et humour, comme le font très bien Julien Neel, Taiyou Mastumoto, Kiyohiko Azuma et les films L’Été de Kikujiro, Little Miss Sunshine et Billy Elliot.
Je n’avais encore jamais écrit, même pas une histoire courte, mais tout est venu assez naturellement, que ce soit l’intrigue ou les personnages… Il me paraissait par exemple évident que Momo devrait évoluer aux côtés d’adultes mais aussi d’adolescents, car lorsqu’on est enfant ils représentent une projection plus directe que les adultes, de ce que nous pourrions et/ou voudrions devenir.
Le plus gros travail a été de structurer mes scènes pour arriver à l’équilibre que je cherchais, à savoir une narration qui ne développe pas le récit et les personnages par du blabla, des punchlines trop bien senties et des grosses ficelles mais qui déroule plutôt l’intrigue et construit les personnages par petites touches, de la façon la plus sensitive possible pour que le lecteur ne lise pas mais partage l’aventure de Momo.
Pour Bergères Guerrières le point de départ a aussi été une série d’images.
Amélie a participé à Cavalry, un recueil d’illustrations pour lequel elle devait dessiner des cavaliers. Plutôt que de dessiner des gros gaillards en armures, elle a préféré imaginer une troupe de bergères chevauchant des boucs !
À la base nous devions travailler ensemble sur un autre projet mais nous n’étions pas vraiment satisfaits de l’histoire. Je patinais pas mal dessus alors que j’étais super motivé pour écrire sur ces fameuses Bergères Guerrières dont nous discutions régulièrement. Je trouvais l’idée d’un ordre de femmes combattantes vraiment intéressante car j’y voyais la possibilité de lui donner comme contexte cette thématique de « ceux qui restent en temps de guerre » sur laquelle je voulais écrire.
Nous nous sommes alors lancés sur Bergères Guerrières et mine de rien, à force d’en parler nous avions déjà accumulé beaucoup de matière et la rédaction du dossier a été super rapide !
J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire aux côtés d’Amélie le premier tome de cette saga qu’on a voulu dans la lignée d’Asterix & Obélix et Harry Potter, des références pour leur galerie de personnages bien campés mais aussi leur contexte simple, efficace et leurs aventures prenantes et accessibles à un large public ! Et comme ce qui m’importe le plus lorsque j’écris un projet, au-delà des thématiques que je souhaite aborder, ce sont les personnages, leurs développement et interactions, j’ai de quoi m’amuser avec les dizaines de personnages que compte cette série !
Quelles étaient vos lectures d’enfant et d’adolescent ?
Enfant je lisais en boucle les quelques albums que j’avais, de Snoopy (dont je ne comprenais clairement pas les subtilités), Quick & Flupke et les classiques que je chipais à mon grand frère ou à des amis comme Tintin, Astérix et Obélix, Lucky Luke, Gaston Lagaffe et quelques Spirou (avec un gros coup de cœur pour Le Nid des Marsupilamis et Spirou à New York).
Adolescent j’ai continué de lire de la BD avec quelques découvertes marquantes comme Andreas, Régis Loisel, Enki Bilal et Alejandro Jodorowsky. Je suis aussi devenu un gros lecteur de mangas (ça s’est calmé depuis) et j’ai pris de bonnes baffes avec One Piece, que je dévore toujours, et ce que je considère comme la « trinité » : Akira – Gunnm – Nausicaä (merci Glénat !).
Grâce à mes anciens camarades de lycée j’ai aussi découvert pas mal de romanciers comme Serge Brussolo, dont j’ai dû lire une quarantaine de romans, Anne McCaffrey, René Barjavel et je suis devenu un peu fou quand j’ai commencé à lire Tolkien. Le même été j’ai dévoré tous ses livres !
Bref, j’avais un beau profil de geek !
Pouvez-vous nous dire quelques mots de vos prochains ouvrages ?
Je vais mettre à profit mon bagage d’ancien adolescent binoclard (mais épargné par l’acné) fan de fantastique, avec la suite des Bergères Guerrières qui est déjà bien avancée et deux séries d’aventures jeunesses à paraître en 2018. Il s’agit deTimo l’Aventurier avec Yohan Sacré chez Le Lombard et Elias & Ida avec Jérémie Almanza chez Casterman.
J’ai aussi eu la chance d’être sollicité pour participer à un collectif sur le Marsupilami chez Dupuis.
Pour les projets qui ne sont encore qu’au stade de dossiers à présenter aux éditeurs il y a un Spin Off des Bergères Guerrières qui suivrait le grand frère de Liam (personnage juste évoqué dans la série) alors qu’il part à la guerre, seulement âgé de 14 ans. Je travaille aussi sur Polly White, l’histoire d’une adolescente islandaise qui va voir le monde de conte qu’elle s’est modelé au sein de son village isolé, se briser à cause de divers évènements et de sa difficulté à appréhender le monde réel. J’ai aussi dans mes cartons un récit SF où l’on suit une bande d’enfants et d’ados laissés-pour-compte dans un vaisseau-monde.
Mon projet le plus ambitieux reste FRÆ une épopée médiévale-fantastique pouvant être développée en transmédia (séries et one shot BD + application numérique) et qui réunit mes passions pour les sagas, l’Histoire et l’ethnologie. J’ai été lauréat d’une résidence numérique pour ce projet, ce qui m’a donné du temps pour poser le concept, l’univers, les mécaniques de l’application et pas mal de matière pour les différents récits qui composeraient cette saga. La prochaine étape est de trouver le dessinateur qui pourrait m’accompagner sur la série BD qui serait le point de départ du projet !
Et puis j’ai quelques idées sur lesquelles j’ai hâte de pouvoir travailler et qui seront davantage à hauteur d’adultes, dans des ambiances assez différentes : seconde guerre mondiale, chronique sociale, dark fantasy…
Je me suis mis aux Arts Martiaux il y a 3 ans, c’est un univers passionnant et ça ne m’étonnerait pas que j’écrive aussi sur le sujet.
J’espère que les éditeurs suivront !
Bibliographie :
- série Momo (2 tomes), scénario illustré par Rony Hotin, Casterman (2017), que nous avons chroniqué ici.
- série Bergères guerrières (1 tome), scénario illustré par Amélie Fléchais, Glénat (2017).
- DoggyBags – tome 8, collectif, Ankama (2015).
Ma question est peut-être bête, mais…
C’est une nouvelle rubrique qu’on vous propose aujourd’hui. Régulièrement, on osera poser une question qui peut sembler un peu bête (mais l’est-elle vraiment ?) à des auteur·trice·s, illustrateur·trice·s, éditeur·trice·s… Histoire de répondre à des questions que tout le monde se pose ou de tordre le cou à des idées reçues. La première question est une chose qu’on a souvent entendu « écrire un livre pour les tout petits, ça prend cinq minutes, non ? ». On a décidé de la poser à Françoise de Guibert (autrice, notamment, de la série Eliot) et Jean Leroy (qui en écrit plein, des livres pour les tout-petits). Si vous avez des questions bêtes, n’hésitez pas à nous les dire !
Françoise de Guibert :
Alors là, je vous arrête tout de suite ! Quand on écrit pour les petits, ça prend parfois du temps, la longueur du texte publié n’étant pas proportionnelle à la durée du travail de création et vice versa…
D’abord, il faut une idée ! Concernant le dernier titre de la série Eliott chez Gallimard, illustrée par Olivier Latyk et dont je suis l’auteure, j’avais envie de parler des courses et notamment du marché : les petits accompagnent souvent leurs parents au marché, c’est un lieu haut en couleur, un lieu de découvertes et d’échanges, une chouette façon d’évoquer la ville aussi.
La thématique du hors-série Eliott fait les courses était là mais comment éviter l’énumération des commerçants et rendre la lecture vivante ? En discutant avec l’éditrice de Gallimard, Elise Lacharme, nous avons eu l’idée de raconter une matinée de courses particulière : pour préparer l’anniversaire de sa maman, Eliott et son papa font des achats en secret. La première étape d’écriture a été de décider du parcours d’Eliott et son père dans la ville, sachant qu’ils se rendraient sur le marché mais aussi dans des commerces (boulangerie, magasin de jouets, librairie…), que maman devrait suivre un parcours parallèle et que la dernière double réunirait tout le monde à la terrasse d’un café. Dans ce travail sur le chemin de fer, je dois aussi déterminer l’emplacement et le contenu des différents flaps qui permettent par exemple de découvrir l’intérieur de la boulangerie ou de faire apparaître maman et Klara, la petite sœur, derrière le portant du marchand de tissu. J’adore réfléchir à tout ça ! Je dessine à plusieurs reprises toutes les pages du livre dans mon carnet pour essayer plusieurs combinaisons, plusieurs déroulés possibles, c’est une espèce de casse-tête.
Une fois, le contenu de chaque page clairement défini, je passe à l’écriture proprement dite. Le texte qui figurera dans le livre, je le veux court, simple mais dynamique, mêlant narration et dialogue. Le premier jet est souvent beaucoup trop long, il me faut couper, simplifier. Quand nous avons imaginé le personnage d’Eliott avec Olivier Latyk et l’équipe de Gallimard, mon fils avait trois ans, j’avais tout loisir de l’observer, lui et ses copains. J’ai essayé de rendre une manière de parler, d’échanger avec les parents, les copains qui sonne naturel quand on lit à haute voix. Mon fils a sept ans à présent, mais il me semble que le personnage a trouvé sa justesse. L’éditrice relit mon texte et me fait part de ses remarques, bien utiles. Et le texte est parfois revu, une dernière fois, quand les illustrations d’Olivier ont été mises en page, avec pour objectif d’être le plus fluide et le plus cohérent possible dans le rapport texte-image (à trois ans, le lecteur ne laissera rien passer !).
Comme on peut le constater, l’écriture d’un album pour les tout-petits représente un réel travail. Si l’impression qui ressort à la lecture est une impression de simplicité et d’évidence (qui pourrait laisser croire que ça n’a pris que cinq minutes), c’est que le labeur n’est plus visible et que le livre est réussi !
Françoise de Guibert vient de sortir une nouvelle aventure d’Eliott : Eliott fait les courses (illustré par Olivier Latyk, sorti chez Gallimard).
Jean Leroy :
Oui. Enfin, pour le premier jet… et après avoir cherché plusieurs jours, voire des semaines avant de trouver la bonne idée. Alors, finalement… ben plutôt non !
Le dernier livre pour les tout-petits de Jean Leroy : Papa Poule, (illustré par Giulia Bruel, sorti à l’école des loisirs cette année).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !