Une nouvelle saison commence à La mare aux mots, et pour la débuter j’avais envie de mettre en avant deux très beaux romans que j’ai lus ces derniers mois. J’ai donc posé quelques questions à l’auteur du très bon L’incroyable histoire du mouton qui sauva une école, Thomas Gerbeaux puis j’ai proposé à Raphaële Frier de nous parler du très beau C’est notre secret. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Thomas Gerbeaux
Comment est née l’histoire de L’incroyable histoire du mouton qui sauva une école ?
J’étais au restaurant, à Los Angeles. En attendant un ami, je regardais la presse française sur mon téléphone et je suis tombé sur un petit article qui parlait de ce mouton inscrit dans une école de Saint-Nazaire, pour sauver une classe de la fermeture. Immédiatement, j’ai eu envie de raconter l’histoire de cette histoire, tellement drôle et absurde. Le titre s’est tout de suite imposé et je me suis demandé ce que pourrait être « l’incroyable histoire du mouton qui sauva une école »… l’adjectif incroyable permettant toutes les libertés, évidemment.
Est-ce que vous qualifieriez votre roman de militant ?
Est-ce que ce roman prend le parti des écoliers ? Oui. Mais le terme militant est fort et je ne crois pas que ça soit le rôle d’un livre pour les enfants ou les jeunes ados. Maintenant, une fois qu’un livre est publié, il n’appartient plus à son auteur. L’auteur raconte une histoire ; le lecteur est libre d’y voir le message qu’il souhaite.
L’histoire « vraie » qui vous a inspiré s’est déroulée à Saint-Nazaire, pourquoi avoir placé la vôtre sur une île ?
Situer l’histoire sur une île permet de créer un huis clos, un monde fermé où les personnages sont obligés de se rencontrer, de se débrouiller entre eux… Cela dit, le vrai mouton de Saint-Nazaire était un mouton de l’île d’Ouessant, une race de très beaux moutons couleur chocolat, et l’Île aux Moutons existe vraiment. Pauline et moi y avons souvent été lorsque nous avions l’âge de Jeanne, la petite fille du roman.
Je crois que vous connaissiez l’illustratrice du roman, Pauline Kerleroux, de longue date. Comment s’est passée votre collaboration ?
Pauline et moi sommes des amis d’enfance. Les illustrations sont nées en même temps que le texte et, même s’il ne s’agit pas d’un album, les mots et les images sont imbriqués, comme dans le Petit Nicolas. Les couleurs et le style des illustrations sont inspirés par la Bretagne : le bleu de l’océan, le orange des bouées de secours… Pauline est née à Quimper, elle est naturellement influencée par les peintres et céramistes locaux. La force des illustrations vient aussi, je crois, du mélange entre le trait un peu rétro et les couleurs très fortes.
Parlez-nous de votre parcours.
Le Mouton est mon premier roman. Jusqu’ici, je m’exerçais en écrivant des histoires et des textes pour la publicité. Pauline travaille aussi pour la pub. Sous le nom de Polinko, elle a créé les assiettes Service de Famille, qui invitent les enfants à jouer avec la nourriture en complétant des portraits à moitié dessinés !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Roald Dahl évidemment. Maurice Sendak. Chez les Français, Le Petit Nicolas, Raymond Queneau, Jacques Prévert… des auteurs qui parlent autant aux futurs adultes qu’aux anciens enfants.
C’est votre premier roman jeunesse, êtes-vous déjà sur l’écriture du prochain ?
Oui. Toujours une histoire de l’Île aux Moutons et toujours avec Pauline.
Bibliographie :
- L’incroyable histoire du mouton qui sauva une école, roman illustré par Pauline Kerleroux, La joie de Lire (2018), que nous avons chroniqué ici.
Parlez-moi de… C’est notre secret
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et/ou son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur C’est notre secret, que nous revenons avec son autrice (Raphaële Frier). L’éditrice n’a malheureusement pas pu nous répondre.
Raphaële Frier (autrice) :
Cette histoire m’est venue après un court séjour loin de chez moi, où j’ai vécu d’étranges rencontres, de curieux instants, comme si j’étais dans un rêve où des lieux et des personnages insolites, parfois effrayants, m’interpelaient.
J’y ai croisé un maître d’hôtel obséquieux dont l’établissement douteux regorgeait d’immondes objets de décoration (comme cette sorte de tombeau orné de fleurs en plastique qui trônait dans la salle du petit déjeuner), une femme dans une posture laissant penser qu’elle allaitait son chien à la terrasse d’un café, la photo terrifiante d’un prêtre accusateur sur une immense silhouette cartonnée disposée dans l’église, une boutique de toilettage pour chiens d’un autre temps, la vitrine étonnamment fournie d’un magasin d’armes… Bref, cette succession d’épisodes inquiétants aurait dû m’encourager à prendre mes jambes à mon cou. Or… si rien de tout cela ne me donnait envie de rester, j’en garde pourtant un très bon souvenir car j’ai aussi et surtout, lors de ce séjour, rencontré de très belles personnes. Et c’est cette idée que j’ai eu envie de partager avec mes lecteurs : quoi qu’il advienne, ce sont les belles rencontres qui font que la vie vaut le détour, où que l’on se trouve. Partagez vos frissons et vos déboires en toute fébrilité, et vous êtes certain·e de prendre des fous rires, de vous lancer dans des confidences, de vous rapprocher de vos compagnons de route. Prendre une saucée en plein bivouac, dormir dans une grange infestée de puces, réparer un pneu de vélo sur un chemin désert avec un kit de rustines périmées, faire tomber sa chaussure dans un torrent, etc, etc. sont des galères que l’on n’aimerait pas vivre seul·e. À deux (ou plus), elles font partie de l’aventure et les désagréments partagés sont parfois le moteur d’une alchimie imprévisible. Toutes les rencontres ne sont pas magiques. Certaines seulement laissent perplexe, et c’est comme si l’on était alors témoin d’une valeur ajoutée, quelque chose de précieux qui n’existait pas avant et que l’on se sent heureux et chanceux de vivre. On dirait que je parle d’écriture, là ! Les embuches, les difficultés, les grains de sable ou les gros cailloux, tout cela fait partie de la vie, mais aussi de l’écriture. On peut avoir réussi un très bon texte après avoir surmonté, dans l’écriture, quantité d’obstacles plus ou moins prévus. Ce que l’on retiendra au final, c’est la joie que l’on a ressentie en avançant malgré tout, et la ligne d’arrivée qui vous dit : tu as réussi, tu es allé·e au bout, tu n’es plus la même (la fameuse valeur ajoutée !)
Dans cette histoire, j’ai pris le parti de ne pas déterminer le sexe du narrateur. Tout en l’écrivant, j’ai compris que ce serait au lecteur d’en décider (ou pas !). Je n’ai pas voulu me positionner, afin que tous les lecteurs puissent se reconnaître dans cette histoire d’amour entre deux enfants. Lorsque je rencontre des classes qui ont lu ce livre, on me pose toujours la question : « Alors, est-ce que c’est un garçon ou une fille ? »
Je réponds que je n’en sais rien. Que c’est aux lecteurs de choisir.
« - Mais Jeanette est une fille, commence l’un d’eux. Donc le narrateur est forcément un garçon ! »
– Non, répond un autre, ça se peut aussi que ce soit une fille qui tombe amoureuse d’une autre fille.
– Hein ?! C’est bizarre !
– Ben moi je pense que c’est une fille, je pourrais pas dire pourquoi mais c’est ce que j’imaginais.
– Pas moi. Pour moi c’est un garçon.
Etc, etc. Le débat est lancé. Alors je souris, comme chaque fois que je vois mes lecteurs s’interroger et débattre à propos de mes histoires. Mon texte ferait réfléchir ? En voilà, un joli compliment !
Quant à ce qui se passe dans la grange obscure ? Cela aussi reste un secret et là encore je compte sur l’imagination du lecteur pour trouver une réponse.
Car il y a quantité de versions possibles de C’est notre secret !
Un grand merci la mare aux mots, merci Gabriel !
C’est notre secret de Raphaële Frier Sorti chez Thierry Magnier (2018). Retrouvez notre chronique ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !