Aujourd’hui, on reçoit pour l’interview Didier Cornille, dont chaque livre nous enthousiasme. Avec lui, je reviens sur À toi de jouer, publié en fin d’année dernière chez hélium. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, on reçoit Lucie Albon, Thomas Scotto, Floriane Charron et Matthieu Saintier qui nous parlent d’un même projet : Murmures.
L’interview du mercredi : Didier Cornille
Pouvez-vous nous présenter À toi de jouer, sorti l’année dernière chez hélium ?
Cet album parle de jouets merveilleux mais dont on parle peu. Ils ont souvent été conçus par des artistes, des architectes ou des designers pour leurs enfants. Mon intention est de les faire connaître et d’élargir le monde des jouets préférés des enfants. Mais je suis frappé aussi par la qualité et la précision de ces objets qui sont de véritables architectures miniatures.
Comment est née l’idée de ce livre ?
C’est mon éditrice, Sophie Giraud, qui m’a parlé d’une exposition sur les jouets au MoMa de New York en 2012. Je me suis documenté sur la question et j’ai découvert un domaine très riche, à la fois futile et en même temps essentiel aux enfants.
Comment avez-vous travaillé sur ce projet ?
J’ai acheté des jouets ou utilisé certains que l’on m’avait offerts. Rien ne remplace l’expérience. Mais j’aime aussi enquêter et j’ai reconstitué certains objets sous forme de maquettes en volume pour mieux les connaître. Mais les jouets ne sont pas considérés comme des choses sérieuses et sont donc peu documentés.
Lequel de ces jouets vous touche particulièrement ?
J’aime les petits personnages en général mais j’adore ceux conçus et fabriqués par le grand artiste Joaquin Torres Garcia. Il s’est beaucoup investi et ils sont très parlants et me touchent. Mais il y a aussi les cubes Naef, la limousine du jouet et les superbes trains Märklin peints à la main.
Y en a-t-il un que vous avez découvert à l’occasion du livre ?
J’en ai découvert beaucoup. Et puis redécouvert. Ainsi, la Kaléidoscope House entraperçue dans la boutique du MoMa et qui renouvelle entièrement le concept de la maison de poupée.
Avant de parler des jouets, vous avez réalisé des albums sur des ponts, des fauteuils ou encore des maisons : d’où vous viennent vos idées et qu’est-ce qui vous passionne dans ces objets ?
Je suis designer, un métier de la famille des architectes, des urbanistes, des ingénieurs et des jardiniers, et m’intéresse au monde matériel qui m’environne. Qui en est responsable ? Pourquoi a-t-on construit ceci ? Comment s’y est-on pris ? Pourquoi ?
Je pense que notre environnement nous détermine et je veux donc en connaître la clé.
Mais il y a aussi cet émerveillement face à l’architecture moderne et au design. J’en redemande.
J’aimerais que vous nous parliez de votre collaboration avec hélium, qui édite vos livres.
hélium est mon éditeur fétiche. Sa directrice éditoriale, Sophie Giraud, m’a fait confiance dès le départ et j’aime son énergie et son enthousiasme. Il y a dans le travail une exigence de précision ultime et une improvisation enthousiaste.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai étudié le design aux Beaux-arts de Lille et aux Arts décoratifs de Paris. Puis j’ai enseigné le projet en architecture intérieure, en design d’objet et en aménagement de l’espace urbain avant de travailler à mes propres conceptions. Les livres conjuguent mon expérience pédagogique et mes savoirs.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
J’aimais les Six compagnons et les Signe de piste et leurs inventions. Mais j’étais surtout adepte de la BD, en particulier de l’univers de Spirou. Zorglub et Starter sont fantastiques !
Sur quel sujet travaillez-vous actuellement ?
Je fais des recherches sur les tout petits enfants. Un monde étrange auquel j’aimerais répondre le mieux possible.
- À toi de jouer !, textes et illustrations, hélium (2023).
- Tous les jardins sont dans la nature, textes et illustrations, hélium (2021).
- La ville, quoi de neuf ?, textes et illustrations, hélium (2018).
- Asseyez-vous, textes et illustrations, hélium (2016).
- Le vaisseau de verre de Frank Gehry, textes et illustrations, hélium (2014).
- Tous les ponts sont dans la nature, textes et illustrations, hélium (2014).
- Toutes les maisons sont dans la nature, textes et illustrations, hélium (2012).
Parlez-moi de… Murmures
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Murmures que nous revenons avec son illustratrice (Lucie Albon), son auteur (Thomas Scotto) et ses éditeur·rices (Floriane Charron et Matthieu Saintier). Le photographe Matthieu Perret, qui a participé à l’album, n’a pas souhaité répondre, n’ayant rien à ajouter à ce qui était déjà dit.
Lucie Albon (illustratrice) :
Le projet de cet album est né autour d’une table de petit déjeuner lors d’un salon du livre, au cours d’une discussion entre Thomas Scotto, Régis Lejonc et moi. Avec Thomas, nous avions déjà travaillé ensemble sur un album qui avait également pris vie lors d’un salon du livre jeunesse, maintenant édité au diplodocus (Le grand écart, NDLR). Avec leur collection en lien avec l’art urbain, les éditions le diplodocus nous ont semblé être idéales pour cette nouvelle collaboration !
Lors de notre première collaboration, Thomas m’avait dit qu’il appréciait mon travail de collage et de grands dessins sur les murs. Je lui avais dit que je n’en pensais pas moins de ses mots en équilibre, doux et toujours porteurs d’espoir. « Pourquoi pas, un jour, tenter de réaliser un album avec ces illustrations dans la ville », avait-il dit ! C’était dit, restait à trouver par quel bout l’attraper. Nous avions évoqué des murs de La Rochelle, mais à cette époque, nous étions confinés et je n’avais que la possibilité de réaliser des collages à proximité de chez moi (Lyon). Ces circonstances nous ont donc amenés à réaliser les images avant le texte et nous sommes partis à l’envers !
J’ai le sentiment que Thomas n’a pas peur des défis et qu’il peut travailler ses illustrations un peu de cette façon, en ayant à disposition des tas de petits objets signifiants qu’il rassemble et lie pour construire quelque chose de nouveau.
Matthieu Perret, photographe, a rejoint l’aventure et a réalisé tous les clichés des collages. Il les a ensuite envoyés à Thomas. Je laisse Thomas vous raconter comment il a procédé !
En réalisant cette série de grands collages « parcours » dans les rues de Lyon, je me suis raconté une histoire. Je me suis bien gardée de la transmettre à Thomas. Ce qui est intéressant, c’est que le résultat n’a rien à voir avec l’idée que je m’en faisais au départ ! C’est un dessin qui est modifié par le mur qui l’accueille, puis par le prisme du photographe, et enfin par l’auteur qui le met en scène… J’allais oublier la maquette, la mise en page et les choix de typographie changent également beaucoup la perception du livre.
Vivement de recroiser Thomas sur un salon pour que l’on puisse construire un nouveau projet de livre ! Floriane, Thomas, Matthieu, Matthieu, êtes-vous partants ?
Thomas Scotto (auteur) :
Murmures, ce sont d’abord les collages immenses de Lucie sur les murs du 4e arrondissement de Lyon. Une petite fille en plein cœur de la ville. Tout est né de ces images-là. Les fresques de Lucie sont déjà tellement des chemins d’histoires…
Photographiées par Matthieu Perret dont j’aime le regard, j’ai eu la chance de choisir l’ordre d’une déambulation.
Alors Murmures est rapidement devenu une longue phrase de poésie qui serpente sous le regard de cette fille de papier. Sait-elle seulement comme elle embellit le béton ?
J’ai voulu ce chant de liberté qui se chuchote ou se clame, de rue en rue, avant de s’affirmer vraiment… La possibilité d’être au-dehors ce que l’on est sous notre épiderme.
Et nous pouvons être tellement.
Je suis tellement heureux de retrouver Lucie ou plutôt, que Lucie m’ait retrouvé !
C’est une jolie confiance de m’avoir prêté quelques façades de son art.
Merci à Floriane et Matthieu du diplodocus !
Parce que l’objet livre doit être pensé jusqu’au bout et là… il l’est.
Adorable entre les mains, piquant d’un rose impressionnant… il a quelque chose d’une boîte à secrets.
À l’intérieur se cachent une grande vérité et une petite fille à qui donner confiance.
Floriane Charron et Matthieu Saintier (éditeur·rices) :
Avec Thomas et Lucie, c’est une longue histoire puisque Le grand écart, écrit par Thomas et illustré par Lucie a été le premier livre du diplodocus. Encore merci à eux pour ce merveilleux projet et la confiance qu’ils nous ont accordée.
Puis Lucie nous a proposé Des villes à colorier — un livre de coloriage réalisé à partir de photos noir et blanc de ses collages — pour notre collection sur le street art La rue est un livre. Elle avait envie d’expérimenter et nous de publier des choses différentes. Nous sommes fiers d’avoir pu défendre cet album unique.
Il y a quelques années, elle nous avait proposé un projet autour du street art avec un personnage récurrent. Le projet était flou, en construction, mais aussi original et prometteur. C’était Murmures à l’état d’embryon. Elle avait pensé à Thomas pour le texte et il serait écrit après les photos. Nous retrouvions avec un grand plaisir, sept ans après, le binôme du Grand écart, mais tout restait à faire. C’est alors que la ville de Lyon a proposé à Lucie de faire des collages dans un arrondissement de la ville. La première pierre était posée. C’est Matthieu Perret qui a posé la deuxième ; entre deux confinements il a photographié les collages de Lucie, il leur a insufflé la vie, celle de la rue, des passants, des habitants. Puis Thomas a posé la dernière pierre, sous forme de mots posés sur ces photos, pour les lier entre elles, les révéler.
Notre contribution a été de demander à Lucie un texte pour expliquer au lecteur le projet. Cela nous semblait important que le lecteur ait la possibilité de comprendre que le livre qu’il tenait entre les mains était le résultat d’une réflexion et d’une collaboration originale et atypique. Qu’il y a, dans ce projet, un « avant » du livre qui nous semble aussi important que le livre lui-même.
On espère une belle vie à cet album, il le mérite ; mais on espère surtout ne pas avoir à attendre encore sept ans pour pouvoir travailler encore avec ce duo précieux.
Murmures, texte de Thomas Scotto, illustrations de Lucie Albon, photographies de Matthieu Perret. L’album est sorti en 2023 aux éditions Le diplodocus. Nous l’avons chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !