Aujourd’hui, je vous propose tout d’abord une interview de l’auteur Emmanuel Bourdier, puis on a proposé à Joëlle, bibliothécaire et instagrammeuse sous le nom @zaziebrindacier2, de participer à notre rubrique Ce livre-là.
L’interview du mercredi : Emmanuel Bourdier
J’aimerais tout d’abord vous demander si vous avez des frères et sœurs et si vous êtes l’aîné, l’enfant du milieu ou le dernier.
J’ai une grande sœur de sept ans mon aînée, mais nous avons toujours été très proches. Lorsque j’étais petit, elle était mon héroïne et moi, je crois que je l’ai toujours bien fait marrer.
Vous l’avez compris, je vous pose cette question par rapport à votre dernier roman, Le dernier des Zaru. Pouvez-vous nous en parler ?
On a tous, dans notre entourage, des petits frères ou des petites sœurs qui en ont ras la casquette qu’on les compare constamment à leurs aînés, en mal ou en bien. Quoi qu’ils fassent, la réputation de ceux qui les ont précédés leur colle aux basques comme un vieux chewing-gum. Dans mon roman, j’ai poussé le bouchon un peu loin en imaginant une famille que l’on dirait aujourd’hui totalement dysfonctionnelle. Tous ses membres, de la grand-mère aux petits-enfants, sont plus malhonnêtes et effrayants les uns que les autres. Leur nom de famille, Zaru, et leur faciès si reconnaissable suffit à faire fuir l’ensemble de la population. Mais il y a Jean-Michel, le petit dernier. Lui, même s’il a la même tête et la même réputation que les autres, est un cœur tendre. Un gentil. Un accident de l’arbre généalogique. Ça arrive…
Comment est née cette histoire ?
Après mon roman John, une autobiographie rêvée de John Lennon à 11 ans, dont l’écriture a été à la fois euphorisante et très intense, tendue par l’exigence que je devais au sujet, j’ai eu l’impression d’un accomplissement. Alors j’ai eu envie de prendre le contre-pied, de lâcher les chevaux et de m’amuser. J’ai toujours été frappé par ces enfants, croisés ici et là, qui ne correspondaient pas au reste de la famille, cœurs d’artichaut échoués dans un champ de cailloux. Ces petits à qui on dit de mordre comme des loups, mais qui sont définitivement du style à demander pardon quand ils se cognent dans une porte. Comme souvent dans mes romans, le point de départ n’est pas forcément très gai (le déterminisme, la solitude), mais j’essaye toujours d’illuminer le propos par la plus précieuse des armes : l’humour. À vrai dire, je me sens plus Monty Python qu’Émile Zola.
Juste avant, vous avez sorti un album, Sur le chemin de Reinette. J’aimerais que là aussi vous nous parliez de cette histoire.
Là encore c’est une ambiance totalement différente. Les premières traces de cet album datent du confinement. Être au bord de la mer est un de mes plus grands plaisirs. Or je vis près d’Orléans et l’idée de ne pas pouvoir aller goûter les embruns à cause de cette fichue pandémie m’a rendu bien triste. Alors j’ai décidé que les embruns s’échapperaient de ma plume. Ainsi est née Reinette. Un texte qui n’a cessé d’évoluer jusqu’à sa forme actuelle, mais avec cette volonté intacte de ressentir l’air marin et le sable entre les orteils à chaque page tournée. Cette histoire explore le côté plus poétique de mon écriture. Cette corde sensible n’est pas la plus habituelle chez moi, mais elle est toujours là malgré tout. Souvent un peu planquée.
Elle fait très réelle cette Reinette : quelqu’un que vous avez croisé ?
Non. Pas de traces de vécu dans les postillons de cette vieille grenouille-là. Mais j’ai toujours pensé que les adultes étaient des enfants avec des déguisements qui finissaient par croire à leurs propres rôles de composition. Je me dis que dans chaque grande personne, même la plus acariâtre et repoussante, il y a une part d’enfance oubliée dans un coin qui ne demande qu’à jaillir. Et puis je crois qu’on n’est jamais méchant sans raison. Comme disait Jacques Brel, la bêtise c’est une boule de graisse autour du cœur.
François Ravard pour l’album et Olivier Tallec pour le roman, vous êtes gâtés, vous ! C’est vous qui avez choisi ?
Et si en plus je vous dis que c’était Thomas Baas pour les deux précédents… Oui, j’ai beaucoup de chance. Pour Olivier Tallec, c’est mon éditrice qui a eu cette belle idée. J’étais ravi car je suis un grand fan de ses dessins d’humour. En revanche, pour François, c’est une demande de ma part. Lorsque j’ai mis le point final à mon manuscrit, je ne voyais personne d’autre pour cette histoire. Son univers collait parfaitement à mes mots et je pressentais que la si rare harmonie d’un bon album, l’équilibre magique entre l’illustration et le texte, pouvait devenir un Graal à portée de main si François acceptait d’illuminer mes mots avec son immense talent. Il a aimé le texte et a tout de suite accepté. Quel cadeau ! Depuis, on est devenu copains. Il ressemble à ses dessins : drôle et bienveillant. Je ne crois pas révéler grand-chose en disant qu’il a un talent exceptionnel. C’est agaçant ! Ce type doit bien avoir un défaut ! Allez… J’imagine qu’il doit être facile à lober au tennis. Je vous tiens au courant.
Comment s’est passée la collaboration avec François Ravard ?
Il me faisait parvenir ses dessins à l’aquarelle au fur et à mesure de leur création et c’était un enchantement permanent. J’étais un gamin devant un magicien, les yeux ronds comme des balles de basket. Je suis très heureux de cet album Je ne pouvais rêver mieux.
Comment naissent vos histoires ?
Ça dépend. Parfois elles émergent d’un seul coup de mon pauvre cerveau embrumé. Parfois elles sont inspirées par l’actualité, par une phrase entendue au détour d’une conversation, par une émotion ressentie au contact d’une œuvre quelle qu’elle soit. Ce n’est jamais la même chose. Toujours surprenant.
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Ma première lectrice est ma femme. J’écris tout à la main et je ne peux pas passer au chapitre suivant tant que je ne lui ai pas lu à l’oral celui que je viens de terminer. Elle doit aussi faire avec mes doutes et mon aquoibonisme. Elle est vraiment formidable. Si ce n’était pas déjà fait, je l’épouserais sur-le-champ.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai toujours aimé l’imaginaire. Petit, au lieu de jouer au foot avec les copains, je m’inventais des mondes. Un des endroits où je me sens le mieux est sur une scène de théâtre, que je pratique depuis l’âge de 6 ans. Je suis devenu professeur, mais ce deuxième métier d’auteur, que je pratique depuis près de vingt-cinq ans, et une trentaine d’ouvrages, est un terrain de jeu fantastique. Je ne m’en lasse pas. Mon autre grande passion est la musique. Dans ce domaine, je suis un passeur. J’anime une émission musicale sur le rock depuis trente-deux ans…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, je lisais beaucoup, beaucoup de BD. Littérairement, j’ai vraiment été élevé par Goscinny, Gotlib, Quino, Franquin… J’y reviens encore et encore. Adolescent, je n’étais pas un grand lecteur, à part Stephen King comme tout le monde. Mais j’étais un cinéphile boulimique. Je le suis toujours. Les romans sont venus ensuite. Avec des illuminations indélébiles.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Je viens de terminer mon dernier roman qui est entre les mains de mon éditrice. Un mélange d’humour et d’émotion. Quand on a pour idole Charlie Chaplin, on ne se refait pas… Et puis j’ai une idée d’album qui me chatouille. Ce sera, pour le coup, la fibre sensible qui vibrera. Je n’ai pas encore écrit un mot et je rêve déjà des illustrations. Finalement, pour les lobs au tennis, je crois que je vais y réfléchir à deux fois. Parce que, voyez-vous, j’ai vraiment envie de retravailler avec François Ravard…
Bibliographie sélective :
- Le dernier des Zaru, roman, Flammarion jeunesse (2024).
- Sur le chemin de Reinette, album illustré par François Ravard, Flammarion jeunesse (2024).
- John, roman, Flammarion jeunesse (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Série Collège Story, romans illustrés par Ludivine Martin, Flammarion jeunesse (2 tomes, 2022-2023).
- Bande à part, roman illustré par Isabelle Maroger, Flammarion jeunesse (2022).
- Du voyage, roman illustré par Thomas Baas, Flammarion jeunesse (2021).
- 4 ans, 6 mois et trois jours plus tard…, roman, Flammarion jeunesse (2020).
- Ma vie en or, roman illustré par Robin, Nathan (2016).
- Mercredi, c’est papi !, roman illustré par Laurent Simon, Flammarion jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les jours noisette, album illustré par Zaü, Utopique (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Vachement moi !, roman illustré par Robin, Nathan (2010).
Retrouvez Emmanuel Bourdier sur son site et sur Instagram.
Ce livre-là… Joëlle
Ce livre-là… Un livre qui touche particulièrement, qui marque, qu’on conseille souvent ou tout simplement le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense « un livre jeunesse ». Voilà la question qu’on avait envie de poser à des personnes qui ne sont pas auteur·rice, éditeur·trice… des libraires, des bibliothécaires, des enseignant·e·s ou tout simplement des gens que l’on aime, mais qui ne font aucun de ces métiers. Cette semaine, notre invitée est Joëlle, bibliothécaire et instagrammeuse (@zaziebrindacier2).
Lorsque Lucas m’a contactée pour parler d’un livre coup de cœur, les possibilités étaient nombreuses, le choix cornélien, puis une lumière a jailli : un album un brin différent, un peu mélancolique.
Joëlle est bibliothécaire. Elle chronique régulièrement des livres sur son compte Instagram @zaziebrindacier2.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !