Aujourd’hui, on reçoit tout d’abord Jeanne Cochin pour son ouvrage Pas de futur sans nature ! sorti il y a peu chez Delachaux et Niestlé. Ensuite, c’est Nina Metais, autrice du documentaire Pourquoi on mange des animaux ? sorti l’année dernière chez Actes Sud Jeunesse, qui vient nous livrer ses coup de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Jeanne Cochin
Pouvez-vous nous parler de Pas de futur sans nature !, le livre que vous venez de sortir chez Delachaux et Niestlé ?
Pas de futur sans nature ! est un livre dont vous êtes le héros, c’est-à-dire que c’est le lecteur ou la lectrice qui choisit, à la fin de chaque paragraphe, la suite de l’histoire. L’aventure commence quand on découvre que la friche de Joli-Bourg va être bétonnée, pour y construire un hôtel de luxe. C’est une catastrophe parce que cette friche c’est le terrain de jeu favori des trois héros. Sam et Loulou, les deux comparses du lecteur ou de la lectrice, y ont même construit une cabane. Si la friche disparaît, la cabane disparaît, mais aussi (et ça, on le découvre au fil de l’aventure) toute la biodiversité qu’elle accueille. Le but pour le lecteur ou la lectrice est donc d’empêcher la construction de l’hôtel, pour sauver la friche et l’environnement !
Écrire un livre avec une telle construction ne doit pas être évident, comment avez-vous procédé ?
C’est vrai que c’est une construction assez particulière, il fallait prévoir plusieurs histoires en parallèle, menant à des fins différentes (des victoires et des échecs). Au début, avec Marie Debrouwère, ma coautrice, on ne s’est pas bridées : on commençait à écrire plein d’aventures ou de chemins différents, avec de nombreuses ramifications. Et puis, à mi-écriture environ, on a construit à l’aide de post-it toute la structure du livre et tous les liens qu’il y avait entre les paragraphes. Une fois la structure montée, les différentes fins trouvées, on n’avait plus qu’à terminer de rédiger les derniers paragraphes. Rendre la structure générale du livre bien visible nous a été bien utile pour résoudre les petites incohérences qui résultaient de notre démarrage sur les chapeaux de roue.
Avez-vous fait des recherches pour ce livre ? Pouvez-vous nous en parler ?
En parallèle de l’aventure, le livre propose quelques encadrés documentaires sur certaines espèces animales, comme l’abeille domestique, l’araignée, ou sur des thèmes plus généraux comme le rôle des forêts ou des Zones à défendre. La rédaction de ces paragraphes a nécessité des recherches, afin d’être les plus précises et rigoureuses possible dans l’écriture de ces informations.
Vous nous avez parlé de Marie Debrouwère, votre coautrice, j’aimerais que vous nous racontiez un peu plus comment vous avez procédé pour écrire ensemble.
Nous avons tout écrit à deux mains. Lorsque l’une terminait d’écrire un paragraphe, l’autre le relisait et y apposait sa touche personnelle, si bien que nous ne savons même plus qui est l’initiatrice de tel ou tel chemin. C’était aussi un vrai plaisir de partager nos doutes et de nous encourager mutuellement. Et puis, lorsqu’il a fallu valider la structure globale, nous n’étions pas trop de deux pour vérifier toutes les ramifications qui reliaient les différentes parties des récits.
Et avec Victor Chagniot ?
Victor a rejoint l’aventure quand le texte était quasiment terminé. C’est notre éditeur, Michel Larrieu, qui nous l’a présenté. Nous avions listé les scènes qui nous semblaient pertinentes à illustrer. Ses premiers croquis nous ont tout de suite séduites. Il avait parfaitement compris l’ambiance qui régnait à Joli-Bourg. Tout s’est fait très simplement. Pour la couverture, il était tout à fait libre, et on n’aurait pas pu rêver mieux !
Je sais que l’écologie compte beaucoup pour vous, mais également d’autres thématiques, comme le féminisme. Est-ce qu’il y a des messages que vous vouliez faire passer dans ce livre ?
Oui, c’était important pour nous de ne pas différencier les personnages en raison de leur genre, Sam et Loulou, fille et garçon, sont tous les deux autant courageux, sensibles, timides, drôles, l’un que l’autre. Nous voulions que les filles, comme les garçons, comme celles et ceux qui ne s’y retrouvent pas tout à fait, puissent jouer au foot, écrire des mots d’amour, avoir peur des araignées, aimer le bricolage, etc. Et nous avons également veillé à ce que l’adresse au lecteur ou à la lectrice ne soit pas genré, n’importe quelle personne qui lira ce livre devrait donc se sentir concernée ! Nous aurions voulu ajouter « héroïne » dans le sous-titre, mais, malheureusement, c’était plus difficile.
Avez-vous des coups de cœur récents de livres engagés à nous partager ?
Je suis en train de terminer la lecture de Bambois, La vie verte de Claudie Hunzinger. C’est le carnet de bord, poétique, de son installation dans un coin de montagne, avec son mari et un troupeau de brebis, dans les années 1965-1975. C’est une découverte d’une beauté de la sobriété. Elle vit au plus proche de la nature, elle apprend à tisser la laine et à la colorer avec les plantes qui entourent leur maison de bergers. C’est simple, dur et beau.
C’est le genre de livre que j’ai envie de lire en ce moment : des récits personnels, incarnés, de gens qui se décident à vivre sobrement, en harmonie avec la nature. C’est peut-être notre dernière chance de rendre à la terre le respect qu’on lui doit.
En plus d’être autrice, vous êtes éditrice. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Quand j’étais petite, je voulais être journaliste, écrire la vie des gens que je rencontrais. Mais j’étais très timide et j’ai pensé que je serais plus à mon aise en travailleuse de l’ombre. J’ai donc suivi un cursus études de lettres puis Master d’édition pour accompagner les auteurs et les autrices depuis leur manuscrit jusqu’à l’envoi du livre à l’imprimerie. Et puis l’envie d’écrire est revenue et je me suis lancée.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je me souviens qu’au collège je dévorais les Agatha Christie et Sherlock Holmes. J’ai aussi lu les Harry Potter, mais je dois admettre ici ne jamais avoir terminé la série de livres. Contrairement à La Quête d’Ewilan que j’ai dévorée. J’ai aussi en tête deux ouvrages marquants : Le Loup des mers de Jack London, une aventure de pirates, et Le passage de Louis Sachar, dont le goût des oignons crus me revient encore en bouche. Et puis, évidemment, je me nourrissais des aventures d’Asterix, de Lucky Luke et toutes sortes de BD que je trouvais à la bibliothèque. J’étais une grande lectrice, mon frère me le reproche encore aujourd’hui, soi-disant que je passais plus de temps dans les livres que dans le jardin avec lui…
Pas de futur sans nature ! est votre second livre après La tarte aux fraises d’Albert. D’autres livres en préparation ?
J’ai beaucoup aimé écrire ce livre dont vous êtes le héros, surtout pour cette tranche d’âge, alors oui j’ai quelques idées… Pourquoi pas un livre d’enquête, un livre jeu, etc. ?
Bibliographie :
- Pas de futur sans nature !, co-écrit avec Marie Debrouwère, illustré par Victor Chagnot, Delachaux et Niestlé (2024).
- La tarte aux fraises d’Albert, album illustré par Léa Larrieux, Delachaux et Niestlé (2021), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Nina Metais
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Nina Metais qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Coup de cœur
Cet automne, je me suis réconciliée avec Stephen King. Ce n’est pas que nous étions réellement fâchés. En fait, je le connaissais assez peu. Pendant longtemps, je n’avais lu qu’un seul de ses livres.
Je devais avoir 16 ans quand j’ai rencontré Jessie. Ce roman, je l’avais trouvé au hasard ou emprunté à une amie, je ne sais plus exactement. Ce dont je me souviens bien, en revanche, c’est que je l’avais dévoré d’une traite, maintenue par le rythme angoissant du récit — une question d’heures, de minutes affreusement suspendues —, happée par les sons, les odeurs, les visions dérangeantes. J’entends encore le bruit d’ossements et de dents qui s’entrechoquent dans le petit panier agité, le déchirement humide de la chair arrachée par les crocs. Mais plus que toutes ces sensations, je garde le souvenir d’une émotion hybride qui m’avait submergée, un mélange de terreur et de soulagement : en explorant l’esprit hanté de Jessie, en forçant l’accès à ses pensées, j’y avais trouvé des échos.
Elle était physiquement entravée, traitée par les hommes comme une possession, mais aussi enfermée à l’intérieur d’elle-même, prisonnière du temps, de ses cauchemars, de son vécu. Quand la nuit revenait, elle redoutait de fermer les yeux ; et je me retrouvais allongée auprès d’elle, retenue captive dans son corps, nos yeux grands ouverts dans le noir ; et en lisant de toutes mes forces, je lui faisais la promesse mentale qu’on allait s’en sortir ensemble. Je ne lui ai pas lâché la main.
Longtemps Jessie m’est resté en tête. J’en ai fait pas mal de cauchemars, je frissonnais à l’idée seule d’ouvrir un autre Stephen King. Résignée, j’ai fini par me répéter ce que je savais déjà : l’horreur, ce n’est simplement pas mon truc.
Plus de dix ans ont passé et ma bibliothèque n’a cessé de grandir : essais engagés, documentaires, textes littéraires qui racontent le réel… Autant de voix en colère qui grondent et frappent le silence, s’élèvent pour dire la violence et dévoiler tous ses visages. Des voix qui font tomber les murs épais des maisons familiales et ceux des tribunaux, qui prononcent les mots justes pour parler des discriminations, des génocides, de la résurgence du fascisme, de l’inaction climatique, de la culture du viol, des violences qu’on inflige aux autres animaux…
Mais comme le clown de Derry, une vieille amie est revenue. Une curiosité d’enfant, un goût de la (re)découverte, la quête d’un plaisir que j’avais de plus en plus souvent délaissé : la grande évasion de la lecture. Plonger ma tête dans une histoire, tourner les pages sans réfléchir, m’abandonner entièrement, laisser le livre me dévorer. Revenir au fantastique, embarquer dans un voyage mental, apprécier tout ce que les personnages pourront me révéler — de l’intrigue, du monde, de moi-même.
Sortir de la réalité où se trouve déjà l’horreur.
Ça revient toujours. Mais dans la fiction au moins, on peut s’accrocher à l’espoir qu’il existera un moyen de vaincre le mal incarné — les clowns tueurs et les dictateurs, leurs mêmes ricanements monstrueux. Inverser le cours du pire dans un monde qui tourne à l’envers, où les enfants sont massacrés au point qu’on n’en tient plus le compte, où l’écrasante majorité des vies n’a apparemment aucune importance, où l’avenir ne ressemble à rien.
Et plus souvent que frissonner, Ça me fait sincèrement sourire. C’est un plaisir de passer du temps avec les enfants des Friches-Mortes, de partager leur solitude et d’écouter leurs drôles de voix, de m’asseoir un peu en retrait pour les regarder construire leurs petits barrages et leurs grandes amitiés. D’avancer à côté d’eux quand ils s’amusent et quand ils pleurent, quand le monde les terrorise et quand ils reprennent courage. Bien que je ne sois pas encore arrivée à la fin du livre, bien que je la redoute un peu, j’ai déjà une certitude qui me suivra jusqu’à la toute dernière page : on ne se lâchera pas la main.
Coup de gueule
Quelque chose qui me met souvent en colère, c’est la culpabilisation des femmes — qu’elle vienne d’elles-mêmes ou de l’extérieur. Plus encore quand cette culpabilisation se heurte à l’inconséquence des hommes qui se déchargent de leurs responsabilités, nient leurs propres violences face à celles qui non seulement les subissent, mais aussi se remettent constamment en question, se répandent en excuses pour un rien, ayant intégré qu’elles pourraient (et devraient) faire mieux, faire plus, qu’elles sont trop ou pas assez. Et en arrivent parfois même à être rendues coupables des violences qu’on leur a infligées.
Cette culpabilisation, ce déni de la réalité des femmes, cette pression exercée sur elles (sur nous), je l’observe partout, tout le temps, que ce soit dans l’espace public, professionnel, familial… Et même sans aller forcément jusqu’à parler de violence : il y a des rapports de pouvoir qui ne s’équilibrent pas facilement, qu’il s’agisse de faire don aux autres de son temps, de son énergie ou de sa place — de savoir s’effacer, finalement. Dans ce monde où les femmes et les minorités évoluent toujours en demi-teinte, il y a un espace immense à reconquérir. Peut-être qu’entre deux chapitres de Stephen King, je vais ouvrir le dernier Mona Chollet.
Nina Metais est autrice, correctrice et éditrice. Le documentaire Pourquoi on mange des animaux ? , publié en 2023 chez Actes Sud Jeunesse, est son premier livre. La fin de l’année, avec ses fêtes, n’étant pas la fête des animaux, je vous conseille la lecture de ce très bon ouvrage.
Bibliographie :
- Pourquoi on mange des animaux ?, album illustré par Alice Chemama, Actes Sud Jeunesse (2023), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !