Je ne suis pas un grand lecteur de littérature de l’imaginaire, pourtant j’ai été happé par Les Sœurs Hiver, le premier roman jeunesse de Jolan C. Bertrand. J’ai eu envie de lui poser quelques questions sur ce roman et sur son parcours. Ensuite, c’est Céleste, 10 ans, pour notre rubrique qui laisse la parole aux enfants, qui nous parle d’un roman qu’elle aime !
L’interview du mercredi : Jolan C. Bertrand
J’aimerais tout d’abord que vous présentiez votre roman Les Sœurs Hiver. De quoi parle-t-il ?
Les Sœurs Hiver, c’est l’histoire d’un petit garçon aux tendances mélancoliques, qui décide de partir à la recherche de son oncle après que ce dernier se soit fait kidnapper par l’hiver. Ça parle de famille, bien entendu, mais aussi de tristesse, d’amitié, et de comment gérer (ou mal gérer) la dépression d’un ou d’une proche.
Comment est née cette histoire ?
J’ai une nièce et trois neveux que j’adore, et qui jusqu’ici se trouvaient frustrés de ne pouvoir lire mes romans, destinés aux adultes. Je souhaitais donc écrire des romans pour enfants, pour elle et pour eux. Une conversation avec l’aîné des trois garçons (qui réapparaît presque mot pour mot dans une scène des Sœurs Hiver) m’a donné envie de lui écrire ce livre afin de lui dire quelque chose d’important. Je ne sais si j’ai réussi, mais il a beaucoup aimé sa lecture, les trois autres aussi, alors ça me suffit.
Quelles ont été vos inspirations ?
Je pense que ça se voit, mais le texte est bien entendu inspiré par les légendes et le folklore scandinaves, en particulier la mythologie nordique et la culture finlandaise. J’ai passé cinq mois d’un hiver très rude dans une yourte, au fin fond de la forêt boréale, et les souvenirs et sensations que j’en ai ramenés m’ont servi de décors.
Saviez-vous à l’avance comment ça allait se terminer ?
Pas au début, non, en fait cette histoire a eu plusieurs versions, je l’ai réécrite deux ou trois fois. Ce n’est donc pas seulement la fin mais tout le récit qui a changé à plusieurs reprises, avant que je n’arrive à en faire ce que je voulais. Mais lorsque j’ai écrit la dernière version, là oui, je savais où j’allais.
Quel·les ont été vos premier·ères lecteur·rices ?
J’ai une beta lectrice (Luce Basseterre, dont je ne peux que recommander les romans) avec qui j’ai l’habitude d’échanger — j’étais d’ailleurs chez elle avec d’autres camarades auteurices lorsque j’ai jeté les premières phrases de la première version des Sœurs Hiver sur le traitement de texte. Je leur ai lu le début à haute voix pour savoir si ça leur semblait aller quelque part — la réponse fut oui. Luce a par la suite lu au moins une des versions dans son intégralité (elle est presque toujours ma première lectrice et elle a toute ma gratitude pour cela), et le texte est passé entre les mains d’autres consœurs et confrères dont l’avis m’est important.
J’ai beaucoup aimé le fait que vous introduisiez un pronom neutre pour parler des trolls (ainsi que le fait qu’il y ait un personnage trans sans que ça soit le sujet de l’intrigue). Aviez-vous conscience de participer à faire entrer un pronom neutre pour la première fois chez la plupart des lecteur·rices ?
Absolument ! J’ai toujours trouvé curieux que des univers de fantaisie, remplis de magie et de créatures imaginaires, « copient » en quelque sorte notre société — comme si on pouvait suspendre notre crédulité par égard pour un dragon mais que cette courtoisie ne pouvait s’étendre à l’existence d’une personne trans dans un contexte médiéval. (Vous me direz que la personne trans ne risque pas de vous cracher du feu à la figure si vous l’offensez. Vous auriez tort.) Par ailleurs et comme je le disais, mes romans jeunesse ont un public bien précis : ma nièce et mes trois neveux. J’ai moi-même grandi avec une méconnaissance presque totale de la plupart des sujets de société importants (les handicaps, les maladies mentales, les corps gros, les personnes racisées, les personnes LGBTQI+, etc.), car dans les livres que je lisais les personnages étaient presque toujours blancs, minces, valides et hétérosexuels. De fait, je suis devenu un adulte naïf, parfois maladroit quand pas carrément offensant. J’ai dû apprendre sur le tas et sur le tard — et le processus n’est bien entendu pas terminé. Si je peux éviter ne serait-ce qu’une partie de cet inconfort à mon lectorat en faisant entrer ces sujets dans leurs champs de vision, je serais content de moi.
Le travail de Tristan Gion sur les illustrations est (comme toujours) extraordinaire. Comment s’est passée votre collaboration ? Êtes-vous intervenu sur ses illustrations ?
J’ai adoré travailler avec Tristan, dont le travail m’était familier pour avoir feuilleté ses albums chez Aleph. Nous avons discuté en amont, avec notre éditeur Loïc Théret, des illustrations que nous envisagions pour le roman, en insistant bien sur le fait que Tristan devait se sentir libre d’interpréter le récit et ne pas hésiter à faire autre chose que ce qu’on avait en tête s’il en avait envie. Le résultat ne m’a vraiment pas déçu, certaines illustrations m’ont même tiré des larmes. Il nous les envoyait toujours avant colorisation, afin que Loïc et moi puissions lui dire si des modifications étaient nécessaires, mais ce ne fut pas souvent le cas.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai grandi entre un papa comédien (principalement au théâtre) et une maman fonctionnaire qui avait fait lettres modernes à la fac. On m’a mis des livres dans les mains avant même que je ne sache lire, et l’envie d’inventer mes propres histoires m’est venue quasi instantanément (mon tout premier roman date de la maternelle, je l’avais dicté à mes parents). En France on ne propose que très peu de cursus universitaires autour de la création littéraire — depuis quelques années il existe des masters, mais rien au niveau licence. Je suis donc parti au Québec faire un certificat en création littéraire, l’année de ma toute première publication de roman. À mon retour, j’ai enchaîné avec une licence d’anglais, et comme la vie universitaire m’emballait de moins en moins, je me suis arrêté là — et je suis parti faire du chien de traîneau en Finlande pendant six mois. J’ai fait quelques petits boulots tout en continuant d’écrire à mon retour en France, puis la pandémie est arrivée, et depuis j’essaye de me focaliser au maximum sur l’écriture.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Oh, il y en a eu beaucoup, je ne vais pas toutes les citer. J’ai commencé avec Harry Potter — je ne peux pas renier cette étape de ma carrière en dépit des propos et des positionnements de son autrice au cours des dernières années. À la même période j’ai adoré Artemis Fowl et Les Royaumes du Nord, mais aussi Quatre Sœurs, et les romans de Timothée de Fombelle. Adolescent, j’ai lu beaucoup de fantaisie, Eragon et L’Épée de vérité, entre autres, mais aussi Le Chaos en marche et Les Guerriers du silence.
(Très masculine, cette liste, je me rattrape à l’âge adulte : je lis davantage d’autrices que d’auteurs, maintenant.)
Êtes-vous actuellement lecteur de littérature jeunesse ?
Pas beaucoup, je l’admets, mais c’est parce que ma pile à lire est déjà tellement haute avec la lecture adulte que j’ai du mal à y trouver de la place pour des romans jeunesses. Je lis avec plaisir les publications de mes ami·es, notamment la production d’Estelle Faye, ainsi que celle de Luce Basseterre. Dernièrement j’ai commencé à me remettre à jour du catalogue de l’école des loisirs, et j’ai découvert Sauveur et Fils, une série de Marie-Aude Murail, et bien sûr Mémoires de la forêt.
Travaillez-vous sur un nouveau roman et si oui pouvez-vous nous en parler ?
Je travaille toujours sur toutes sortes de projets. Mon prochain roman à l’école des loisirs s’appellera Là où règnent les baleines. Il sortira en février 2023 dans la collection Médium, on est en train d’y mettre la dernière patte. C’est un récit fantastique d’horreur et d’humour, qui aborde les thèmes de la solitude, de l’aliénation que peut parfois provoquer la différence, et de ce qui peut nous en sauver — ou pas…
J’ai d’autres projets jeunesse, mais je les mets de côté pour le moment car je travaille depuis quatre ans sur un récit de science-fiction, pour un public adulte, cette fois, et je veux me concentrer dessus pour le terminer.
Bibliographie :
- Les Sœurs Hiver, roman illustré par Tristan Gion, L’école des loisirs (2022).
Les premier·ères concerné·es : Céleste (10 ans)
Régulièrement, un·e enfant nous parle d’un livre qu’il ou elle a aimé, avec ses mots. Aujourd’hui c’est Céleste, 10 ans qui nous parle du roman Le château de Cassandra. Si l’un·e de vos enfants veut être le ou la prochain·e, écrivez-nous !
C’est l’histoire de Cassandra, une jeune fille imaginative, qui vit en Angleterre dans un château en ruine avec son père, sa grande sœur qui rêve du grand amour et sa belle-mère. Au début du livre, Cassandra décide d’écrire un journal, où elle raconte tout ce qui lui arrive. Ce que nous lisons, c’est justement son journal. Sa vie change le jour où deux riches Américains s’installent dans le manoir voisin.
J’aime beaucoup ce livre, car l’héroïne est très attachante et elle a toujours plein d’idées. Je trouve intéressant d’être dans la tête de Cassandra, de savoir ce qu’elle pense. J’aime aussi beaucoup la manière dont l’autrice écrit, on a vraiment l’impression d’être avec Cassandra.
Je conseille ce roman aux gens qui aiment l’aventure, les histoires d’amour et être plongés dans une autre époque.
Le château de Cassandra, de Dodie Smith, Gallimard jeunesse dans la collection Pôle Fiction, 8,70 € (2009).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Trop chouette cette interview ! Je ne suis pas très fan non plus des romans de l’imaginaire, mais j’ai lu celui ci d’une traite! Une fois qu’on l’a commencé, difficile de le fermer… l’histoire est très prenante, les personnages attachants, une aventure qui ne laisse pas un moment et répis, et cet univers scandinave qui me plaît tant! Un vrai coup de cœur! Alors merci pour cette interview qui nous en dit plus sur ce roman!
Oh super ! Merci pour ce commentaire !