C’est la dixième saison qui commence pour nous, et pour bien commencer 2020-2021 deux invitées que je suis ravi de recevoir. Tout d’abord, Mélanie Edwards qui vient de sortir un magnifique roman, Un été en liberté chez Bayard. Puis c’est dans l’atelier de la très talentueuse Magali Attiogbé que l’on se glisse. Bon mercredi à vous… et bonne dixième saison !
L’interview du mercredi : Mélanie Edwards
Comment est né Un été en liberté ?
D’une envie lointaine et pressante d’écrire un roman ! Puis, il y a plusieurs années, à un dîner, une amie m’a parlé de ses étés quand elle était ado. Ses parents, qui se disputaient beaucoup, les laissaient partir elle et ses trois frères et sœurs tous seuls en vacances en Auvergne pour leur offrir l’espace de liberté dont ils avaient besoin pour souffler. Et j’ai trouvé que c’était très romanesque ! Mais ce point de départ est resté longtemps en friche dans mon esprit, jusqu’à ce que le bon moment soit enfin arrivé d’en faire quelque chose. L’héroïne, Violette, et tous les autres personnages ont vite pris vie, je n’ai bientôt plus eu qu’à les suivre !
Le roman se passe à une époque où vous deviez avoir à peu près l’âge de l’héroïne donc forcément on se pose la question… récit autobiographique ?
Récit autobiographique, ça ne l’est pas. Mais comme toute œuvre, l’histoire est émaillée de références personnelles, de souvenirs, d’émotions fortes. J’ai bien habité en Ardèche entre la seconde et la terminale, j’ai un frère et deux sœurs avec lesquels je m’entends très bien et qui sont très importants pour moi. Mais le reste, l’histoire de famille, l’histoire d’amour, cette situation de départ sont transposés. Et c’est aussi ce qui était amusant à faire, d’inventer tout ça en y mettant beaucoup de moi-même ! J’apparente ce travail au collage, qui est un art que je pratique depuis longtemps. Chaque image a plus ou moins existé, mais dans un contexte différent, et prend une autre allure une fois mêlée aux autres !
Vous êtes éditrice (on vous doit de très beaux romans chez Magnard), est-ce que ça influence les choses ? Je pense à l’écriture, bien sûr, mais aussi la relation avec votre éditrice chez Bayard ?
Je suis éditrice jeunesse depuis presque vingt ans, et j’ai toujours écrit en parallèle de mon métier, et publié plutôt des textes courts d’albums et de petits romans, pas loin de vingt-cinq livres. Chaque projet a été comme une fenêtre sur un espace à moi, un espace de liberté dont j’avais besoin et que je ne trouve pas nécessairement au quotidien. J’aime énormément accompagner les écrivains, jeunes ou confirmés dans leur écriture, les conseillers, découvrir des pépites, des voix, mais il est vrai aussi que souvent je me dis : « Ah, si j’avais plus le temps, c’est ce genre d’histoires ou de sujets que j’aimerais traiter ! » Ou alors j’ai des idées qui me trottent dans la tête, et quand je reçois le manuscrit d’un ou d’une autre qui y fait écho, je suis à la fois heureuse, touchée, et un peu frustrée aussi… Quant à être de l’autre côté de la barrière, ce n’est pas forcément simple en effet. Et je connais les « rouages ». Mais, comme pour tout auteur, après la phase de solitude, il s’agit d’entrer dans un dialogue qui consiste à entendre ce qui peut être bon pour le roman, pour réussir à améliorer ce qui a besoin de l’être, et de défendre sa ligne, ses partis pris. Leslie Meyzer, mon éditrice, a fait valoir ses remarques, avec sa sensibilité, et l’on a discuté, avancé ensemble jusqu’à cette version du roman que vous avez lue !
La question est être bête, mais… pourquoi ne pas l’avoir édité vous-même chez Magnard ?
Oh, plein de gens m’ont posé la question ! Je ne l’ai pas proposé à ma maison tout simplement parce que ce serait pour moi une sorte de conflit d’intérêts. Et je détesterais avoir le sentiment qu’on m’a fait une fleur parce que je travaille dans la maison qui me publie. D’autant plus que Magnard est une très petite équipe, un même département qui s’occupe de tous les livres de 3 à 15 ans. Alors publier ailleurs, c’est avoir cette liberté-là : d’entendre le jugement dégagé d’obligation d’un éditeur, et de garder le mien.
C’est votre premier « gros » roman, pourquoi seulement maintenant ?
Tout arrive. Ce désir d’écrire un « vrai » roman est là depuis très longtemps. J’ai démarré des textes, que je laissais souvent de côté, mais en publiant quand même des albums, des petits romans 8-9 ans pour la collection C’est la vie Lulu ! Finalement, j’ai avancé petit à petit, en écrivant de plus en plus long. C’est peut-être une histoire de confiance, ou d’alignement de planètes, comment dire ? Mais ce qui est sûr, c’est que les responsabilités et le manque de temps — j’ai trois enfants, un poste à plein temps, des manuscrits à lire régulièrement en dehors du bureau – m’ont trop longtemps servi d’alibi pour ne pas plonger franchement dans la marmite ! Il a fallu que j’aie très mal au dos, tout un hiver, jusqu’à ne plus trop pouvoir me déplacer, pour sentir que le moment était venu de me lancer et d’y aller vraiment. Je voulais savoir si j’étais capable de tenir une histoire et de faire vivre des personnages sur des pages et des pages. Et je dois dire qu’en terminant ce roman, j’ai eu le sentiment d’une fierté indicible, de parvenir à réaliser un rêve. C’était très différent que pour mes autres textes parus.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Comme beaucoup d’éditrices, je suis d’abord une grande lectrice. J’ai eu la chance de lire un peu par hasard à dix-neuf ans les mémoires d’Hubert Nyssen, le fondateur d’Actes Sud, qui a fait naître ma vocation de manière inespérée. Alors, je suis venue à Paris, j’ai fait des études de lettres et de communication, un DESS d’édition (ancien Master), des stages nombreux et variés, jusqu’à découvrir que j’adorais l’édition jeunesse. Mais avant d’être à proprement parler éditrice, j’ai été secrétaire de rédaction, correctrice, rédactrice, lectrice pour plusieurs maisons, éditrice free-lance, puis j’ai trouvé mon premier poste. Et cette passion de la littérature jeunesse et de l’image ne m’a jamais quittée !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je me souviens d’une lecture émerveillée de Trag le chamois illustré par Samivel en CP, de Dinomir le géant illustré par Quentin Blake, des Pomme d’Api, des Belles histoires à foison que nous passaient mes cousins, de La guerre des boutons de Louis Pergaud, de Vipère au poing, bien sûr, de Poil de Carotte, de la belle collection Bibliothèque internationale de Nathan — des romans qui se passaient dans le monde entier —, j’étais « abonnée » aux Castor poche Flammarion, on a éclusé toute la collection aux petits nuages avec mon frère, pour les mêmes raisons : des romans étrangers, formidables pour la plupart. C’est ma grand-mère qui m’a fait lire Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos et Allons réveiller le soleil, un choc, qui fait partie de mon panthéon des plus beaux livres jeunesse, J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir, L’herbe bleue, Le pavillon des enfants fous (des romans costauds !). J’aimais les enfants différents, les vies d’ailleurs, les drames, les choses assez sombres qui faisaient réfléchir, qui procuraient des émotions fortes. Puis très vite, parce qu’à l’époque, l’offre de romans ados était loin d’être aussi importante et variée qu’aujourd’hui, et parce que ma mère est une grande lectrice, je suis passée aux livres adultes, dès la fin de la troisième. Et là, je me suis mise à lire de tout : des classiques, des russes, des contemporains. J’ai des goûts très éclectiques. Finalement, la littérature ado récente, je l’ai découverte en travaillant, un peu sur le tard.
D’autres projets en tant qu’autrice ? Rassurez-nous, un autre roman en préparation ?
Eh bien, j’ai un poème qui sera publié dans Mes premiers J’aime lire et j’ai commencé il y a quelque temps un roman pour les 9-11 ans. J’ai des idées aussi pour un autre roman ados et peut-être même pour un texte adulte assez sarcastique, dont j’ai déjà le titre !
Bibliographie :
- Un été en liberté, roman, Bayard (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Mon arbre, album illustré par Emilie Angebault, Albin Michel (2018).
- Série C’est la vie Lulu !, romans illustrés par Marylise Morel, Bayard (2010-2016).
- Le cadeau secret, album illustré par Emilie Seron, L’école des loisirs (2010).
- Madame Plic et Monsieur Ploc, album illustré par Benjamin Charbit, Kilowatt (2009).
- Et me voilà !, album illustré par Cyril Hahn, Bayard (2008).
- Le nuage de Tim, album illustré par Muriel Kerba, Mila Éditions (1998).
Quand je crée… Magali Attiogbé
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Magali Attiogbé qui nous parle de quand elle crée.
Lorsque je me lance dans un projet de création souvent je commence par écrire et faire des petits schémas au fil de ma pensée et de mes idées. Parfois je sors me balader et divaguer une heure ou deux. D’autres fois je me pause une pile de livres inspirants, ou je collecte de la doc sur internet. Je crois que ça me permet aussi de laisser mijoter et de retarder le moment de confrontation avec « la page blanche ». Ce n’est que dans un second temps je prends mon crayon pour entamer la partie dessin et préciser au fur et à mesure le contenu, le cadrage, l’enchainement des images s’il s’agit d’un livre, etc. …. Parfois je reste indécise sur la technique que je vais utiliser jusqu’au dernier moment.
J’aime bien être dans ma bulle et me concentrer sans être trop coupée, parfois j’éteins mon téléphone et mes mails, quelques heures pour me plonger totalement dans mon sujet. Je ne suis pas une dessinatrice « tout terrain », toujours dans cette idée de faire une chose à la fois. Quand je voyage, je voyage, quand je me promène ou visite un lieu, je regarde, je m’imprègne mais je n’en fais pas un dessin. J’utilise des médiums variés alors j’aime avoir à ma disposition tout un tas de crayons, feutres, papiers et aussi mon ordinateur, ma table lumineuse, etc. Tout ça n’est pas facile à trimbaler…
À midi je déjeune régulièrement avec des voisin·e·s d’atelier, ou des ami·e·s. J’ai le sentiment que cette pause m’apporte des nouvelles perspectives, juste en parlant de tout et de rien, en observant et écoutant les autres c’est souvent très rafraichissant.
Selon les étapes de travail il m’arrive de mettre un fond musical ou d’écouter une émission radio si je suis dans la phase « mise en couleur » par exemple. Je travaille beaucoup et je n’ai pas toujours le temps de lire chez moi, surtout quand j’ai la tête un peu farcie le soir ce n’est pas évident. J’avoue que la radio me sauve, me permet de rester un peu connectée au monde du dehors. J’ai connu pas mal d’auteur·e·s, artistes, philosophes, personnalités, en les entendant d’abord parler avant de voir/lire leurs œuvres… j’aime bien faire connaissance avec eux comme cela.
Je ne travaille pas la nuit mais il m’arrive de finir à une heure tardive quand j’ai beaucoup de projets qui se juxtaposent, ou que l’échéance des rendus approche. D’autant que mon atelier est juste à côté de chez moi, je n’ai qu’à descendre quelques marches et j’y suis ! (même pas besoin de traverser la rue pour trouver du travail 😉 )
Magali Attiogbé est illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Babel Africa, illustrations de contes recueillis par Muriel Bloch, Gallimard Giboulés (2020).
- Simone Veil, illustration d’un texte d’Isabelle Motrot, Gallimard (2020).
- Le hérisson, texte et illustrations, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Le caméléon qui se trouvait moche, illustration d’un texte de Souleymane Mbodj, Les éditions des éléphants (2019).
- Les animaux en couleur, texte et illustrations, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- La souris, texte et illustrations, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- L’abécédaire d’Afrique, texte et illustration, Lito (2019).
- Ma maison de 1 à 10, texte et illustrations, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Imagier d’Amérique Latine, texte et illustrations, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Le chat, texte et illustrations, Amaterra (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le rideau de Mrs Lugton, illustration d’un texte de Virginia Woolf, Seghers (2018).
- Rue des quatre-vents, illustration d’un texte de Jessie Magana, Les éditions des éléphants (2018).
- Dis, comment fonctionne mon corps ?, illustration d’un texte de Sophie Ducharme, De La Martinière Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Fabuleux animaux de la préhistoire, illustration d’un texte d’Isabelle Frachet, De la Martinière Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- L’escargot, texte et illustrations, Amaterra (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La feuille, texte et illustrations, Amaterra (2016), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Magali Attiogbé sur son site et sur Instagram.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !