Aujourd’hui, on reçoit tout d’abord Thomas Gornet, un auteur rare et précieux dont le roman À l’écoute vient de paraître au Rouergue. Ensuite, c’est Sophie Nanteuil, autrice qu’on aime énormément, qui vient nous livrer ses coup de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Thomas Gornet
Pouvez-vous nous parler de À l’écoute, votre roman qui vient de sortir au Rouergue ?
Oui, je peux en parler. Enfin. Je peux essayer. Je ne sais pas si je suis le mieux placé, en fait.
Ça parle d’un enfant qui n’est pas très ouvert aux autres. Il est un peu sombre, aussi. Et ça parle de comment il va réussir à ouvrir une petite porte sur autre chose que son petit monde. Et ça fera entrer un courant d’air frais bienvenu.
J’aimerais que vous nous parliez de la construction narrative de ce roman, le fait qu’on lise les notes vocales d’Ilyès. Comment est née cette idée ?
Au départ, ce texte est une commande d’écriture, passée par Simon Fleury, le alors-directeur du théâtre l’Éclat de Pont-Audemer. Il a voulu, avec Simon Delattre et Sandrine Weishaar, créer un podcast jeunesse intitulé « Studio Panache ».
Ils et elle ont donc contacté des auteurs et des autrices qu’ils et elle connaissaient. La demande était assez libre : pas de contrainte de thématique, de durée, de nombre de personnages… Ensuite, des équipes de théâtre ont mis en son chaque texte. Le tout est écoutable ici : https://www.ville-pont-audemer.fr/culture/theatre-leclat/podcast-jeunesse-studio-panache/.
De mon côté, j’ai tout de suite été bloqué sur le format, le support. C’est-à-dire que je n’ai tout de suite pas eu envie d’écrire une histoire qui allait simplement être lue. Ou jouée. En tout cas « entendue ». Je n’avais pas envie d’un « livre-audio ».
J’ai eu envie de m’amuser avec le fait que j’allais avoir à faire à un auditeur ou une auditrice et pas un lecteur ou une lectrice.
Très vite je me suis dit que ce serait un enfant qui parlerait. Et qu’on l’écouterait nous parler.
Mais alors, il fallait que je trouve une raison pour laquelle cet enfant parle dans un micro et qu’il s’enregistre.
C’est comme ça qu’est née cette idée de l’enfant renfermé sur lui-même, et de sa relation avec son psy qui lui suggère cette idée d’enregistrement.
L’écriture n’a en tout cas pas du tout été motivée par l’envie de dénoncer le danger de la surconsommation des « écrans ».
La thématique est donc arrivée bien après la forme.
(J’avais déjà un peu travaillé comme ça sur Sept jours à l’envers. J’avais envie d’écrire une histoire à rebours et j’ai ensuite cherché quelle histoire s’y prêterait le mieux.)
Et puis ensuite, une fois passée l’aventure de ce podcast, je me suis demandé si ce texte pouvait devenir un roman.
J’avais un doute. Je pensais que je devrais le remanier. Et puis, finalement, « mon » éditeur (Olivier Pillé, du Rouergue) l’a accepté quasi tel quel.
J’ai donc été ravi que, dix ans après mon dernier roman, un nouveau sorte.
Est-ce que ce principe vous a causé des soucis parfois (vu qu’on doit se contenter que de ce qu’Ilyès raconte) ?
Pas tellement. J’ai écrit quelques romans, déjà, mais je travaille surtout au théâtre. Et, quand on écrit une pièce, on ne se contente que de ce que les personnages racontent (bon, il y a les didascalies. mais je n’en utilise quasi jamais).
Et puis ce n’est pas tellement différent d’un roman à la première personne, finalement. Dans ce cas-là aussi, on ne se contente que de ce que le narrateur ou la narratrice raconte.
Le personnage d’Olia m’a énormément touché, pouvez-vous en parler (sans trop en dire) et dire comment il est né ?
Alors là, je ne me souviens pas très bien. Je pense qu’elle est née parce que je cherchais un personnage qui pourrait intriguer Ilyès. Et quoi de plus intrigant que quelqu’un d’encore plus renfermé que lui-même ?
Et j’ai toujours été attiré, comme comédien, lecteur ou spectateur, par les personnages classés dans la catégorie « différent·e·s ».
Parlez-nous de votre processus d’écriture. Comment naissent vos histoires ? Quelle est la part de vous dans ce que vous écrivez ?
Elles naissent parfois, comme vous l’avez vu, de façon un peu bizarre.
J’ai, en fait, rarement une histoire qui fait « pop » dans ma tête. J’ai plutôt une contrainte (Sept jours à l’envers, dont j’ai déjà parlé ; Je porte la culotte/Le jour du slip que j’ai écrit avec Anne Percin : la contrainte d’écrire une histoire tête-bêche à deux) ou une envie un peu militante (Qui suis-je ?, L’amour me fuit).
Et puis après, ça vient un peu au fur et à mesure. Certains personnages sont là dès le départ. D’autres arrivent pendant. Certains, aussi, comme ici Boulmir, me paraissaient secondaires et terminent indispensables.
Il y a de moi partout parce que ce sont mes mots et je convoque, inconsciemment, mon état enfantin. État qui, au fur et à mesure que je vieillis, est de plus en plus loin de moi. Mais je le convoque quand même, peut-être déformé.
Et puis, de la même manière qu’un personnage de théâtre ressemble à son interprète (ou l’inverse), si le personnage que je fais parler est amusé, triste ou en colère, il le sera sans doute « comme » moi.
Parlez-nous de votre parcours.
Si vous voulez parler de mon parcours d’auteur, ça va être vite fait. Je ne m’y destinais pas du tout. Je suis avant tout comédien. J’ai commencé à écrire des petits trucs à jouer par nécessité. Puis par plaisir. Mais jamais du fait d’une vocation profonde.
D’un autre côté, je lisais, en étant jeune adulte, pas mal de romans jeunesse (notamment ceux édités par Geneviève Brisac à L’école des loisirs). Et, un jour, j’ai eu une idée d’histoire et j’ai eu la prétention de l’écrire. Et là encore plus grande prétention de l’envoyer à des maisons d’édition. Et j’ai eu la super chance que ça devienne un livre.
Après, j’ai encore eu des idées, alors je les ai écrites. Et puis, aussi, je me suis mis à écrire des pièces de théâtre. Pour moi ou pour des compagnies qui m’en faisaient la demande.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, j’étais abonné au Journal de Mickey puis à Spirou. Je lisais les BD de l’époque : Boule & Bill, Les Schtroumpfs, Gaston Lagaffe, Astérix, Lucky Luke, etc.
En termes de roman, je crois que je suis passé directement de Oui-oui, que j’adorais comme premières lectures, aux lectures de ce qu’on nous donnait à lire au collège.
J’ai un vague souvenir d’avoir lu, quand j’avais dans les 10 ans, des romans d’Odile Weulersse. Je suis obligé de la googliser au moment où je vous réponds pour être certain : je revois des couvertures de ses livres et, oui, j’aimais beaucoup !
Plus tard, j’ai surtout lu Tout contre Léo, de Christophe Honoré, qui m’a fracassé le crâne. Je n’avais encore jamais pleuré en lisant un livre.
J’aime beaucoup votre écriture et j’ai dû patienter longtemps pour découvrir ce nouveau roman (rééditions mises à part, votre précédent roman date de 2013 !). Rassurez-nous, on n’attendra pas aussi longtemps pour lire le prochain ? Des projets en cours ?
Je ne sais pas… En tout cas, je travaille — un peu — sur un roman que j’ai commencé en 2008. J’espère le terminer pour ses 20 ans, soit en 2028 ! C’est une histoire d’amour et de meurtre, qui se situe dans la France d’après le PACS et d’avant le mariage pour toustes.
Et un projet (dont je n’ai encore écrit aucune ligne donc la sortie est prévue pour 2044) autour de la thématique de la co-parentalité.
Bibliographie :
- À l’écoute, roman, Rouergue (2024).
- Mercredi, c’est sport (nouvelle édition), roman illustré par Clotilde Delacroix, Rouergue (2024).
- Qui suis-je ? (nouvelle édition), Rouergue (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Sept jours à l’envers, Rouergue (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Je porte la culotte/Le jour du slip, coécrit avec Anne Percin, Rouergue (2013), que nous avons chroniqué ici.
- À bas les bisous, Rouergue (2012).
- Mercredi, c’est sport, Rouergue (2011).
- L’amour me fuit, l’école des loisirs (2010).
- Je n’ai plus dix ans, l’école des loisirs (2008).
- Qui suis-je ?, l’école des loisirs (2006), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Sophie Nanteuil
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Sophie Nanteuil qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Coup de gueule
Quand Lucas m’a demandé d’écrire un coup de gueule, j’avais plein d’idées et je me suis trouvée vite déstabilisée par l’ambition de la tâche tellement j’avais de choses à dire.
Mais il a fallu choisir et c’est une soirée d’été qui a fait pencher la balance.
J’ai rencontré ce soir-là un auteur de littérature générale et lorsqu’il m’a demandé ce que j’écrivais, j’ai répondu : « des livres pour la jeunesse et pour les parents ». J’ai vu son sourcil droit se lever, sa bouche faire une moue. Cela a duré un quart de seconde.
Il y a plus de quinze ans, je m’étais trouvée lors d’un salon dans un taxi avec deux autrices « adultes » qui ne m’avaient plus adressé la parole une fois qu’elles avaient appris que j’étais éditrice jeunesse. Elles avaient eu la même réaction que mon interlocuteur de cet été, sauf qu’une des deux, sans filtre, avait réagi : « Cela doit être tellement amusant et distrayant de faire des petits livres comme ça. » Jeune éditrice, maladroitement, j’avais précisé : « Je fais de la fiction, vous savez, des romans ». J’avais eu le droit à un « des romans, mais oui. » Je m’étais renfoncée dans mon siège et le silence s’était fait.
Quinze ans plus tard, je ne suis plus éditrice, je suis autrice, je ne fais pas que de la fiction, mais aussi du documentaire, du parascolaire et du guide pratique, des essais de témoignages…
Plusieurs options s’offrent à moi pour réagir à la moue 2024. Soit je me tais, soit je lui rentre dedans, soit…
Je décide de m’étonner : « Vos lectrices et lecteurs sont des adultes ?
– Oui, évidemment.
– Les miens aussi !
– Oui, les parents, c’est cela ?
– Pas seulement, toustes sont adultes. La plupart en devenir. Pour que vos lectrices et lecteurs soient adeptes de vos romans, souvent elles et ils nous lisent avant.
Tiens, il lève les yeux au ciel. Qui fait encore ça en 2024 ?
– Je vois où vous voulez en venir. Mais vous ne m’enlèverez pas l’idée qu’écrire pour des enfants est plus facile.
– Je ne rentrerai pas dans ce débat, car ce serait dénigrer le métier de l’un ou de l’autre. Je vous dirai simplement que ce travail de sensibilisation à la lecture, de familiarisation avec l’objet livre, de transmission, d’éveil à l’imaginaire/l’imagination, d’ouverture sur le monde, ce sont les auteurices jeunesse, mais aussi les libraires, les enseignant·es, les parents, les médiathécaires qui le font. Ce sont toutes ces personnes qui créent la route, pas toujours droite, qui va mener un jour à ce qu’une personne achète un de vos livres. C’est peut-être là où vous vous trompez, de vouloir comparer des écritures ou la charge de travail, de vouloir opposer apprenti·e lecteurice et lecteurice aguerri·e. Mais soyez serein, vous avez une armée derrière vous qui œuvre depuis des années pour que vous puissiez être lu.
– …
– Et une information importante : la littérature jeunesse, c’est peut-être Tchoupi, Martine, Julio (formidable petit dinosaure illustré par Marion Billet et écrit par moi — jamais mieux servi…), mais c’est aussi Anne Loyer, Isabelle Pandazopoulos, Pauline Martin, Jean-Michel Billioud, Charline Vermont, Ingrid Chabbert, Yves-Marie Clément, Robin, Rémi Chaurand, Marie Spénale, Hubert Ben Kemoun, Jo Hoestlandt, Clémentine Beauvais, Kathie Fagundez, Anne-Laure Bondoux, Marie-Aude Murail… Pour n’en citer que quelques-un·es…. Ne nous remerciez pas, on ne saurait pas quoi en faire. Mais votre mépris, gardez-le pour vous. »
Écrire pour la jeunesse, pour des enfants, ce n’est pas écrire des petites histoires, des petits livres. Je ne pensais pas qu’en 2024, il faudrait encore le dire.
Coup de cœur
Là encore, j’avais pas mal d’idées, mais je voudrais d’abord parler de reines dont je suis fan, certaines enchantent mes étés depuis deux ans à la télé, sur France TV, d’autres lisent des histoires à mes enfants : les drag queens. Derrière le maquillage et les costumes pailletés se cachent de vrais artistes : iels dansent, chantent, jouent la comédie ou ne savent rien faire de tout ça et le font avec humour et talent ! À Toulouse, deux d’elles lisent des histoires pour les enfants et c’est un bonheur d’assister à la performance de ces conteuses particulières, même si des associations tentent de les faire interdire. Dans une période anxiogène post-élections qui n’en finit pas, leur légèreté, leurs paillettes accompagnées le plus souvent d’un réel engagement politique me font du bien.
Si je parle de drag queen, c’est également parce que j’ai commandé un livre sorti cette semaine, que je n’ai pas encore reçu — rassurez-vous, je ne vais pas faire semblant de l’avoir lu : Lady Papa d’Émilie Chazerand et Diglee, à la Ville brûle. Cet album raconte l’histoire d’une famille où le père est une drag queen. J’ai tellement hâte de le lire avec mes fils. Je suis sûre que nous allons l’adorer, comme nous avons adoré la série Suzon, L’ours qui ne rentrait plus dans son slip, La société des pépés à adopter ou bien encore Autant de familles que d’étoiles dans le ciel. Émilie Chazerand nous fait rire ou nous émeut, elle parvient toujours à nous toucher. Elle possède une justesse d’écriture qui fait d’elle aussi une reine.
Sophie Nanteuil est autrice. Outre sa série Julio illustrée par Marion Billet (publié chez Lito), elle est la co-autrice (avec Jean-Michel Billioud) du documentaire Ensemble contre le harcèlement scolaire. Victime, témoin, complice, harceleur·euse. Cet ouvrage illustré par Zelda Zonk et Terkel Risbjerg vient de paraître chez Casterman.
Bibliographie sélective :
- Ensemble contre le harcèlement scolaire. Victime, témoin, complice, harceleur·euse, album coécrit avec Jean-Michel Billioud, illustré par Zelda Zonk et Terkel Risbjerg, Casterman (2024).
- Série Julio, albums illustrés par Marion Billet, Lito (3 tomes actuellement, 2024).
- La journée de bébé en signes, album illustré par Marion Billet, Lito (2024).
- Ma petite encyclopédie Père Castor, album illustré par Madeleine Brunelet, Père Castor (2023).
- 10 idées reçues sur Internet. Et comment les décrypter pour être mieux connecté, co-écrit avec Camille Bonneau, illustré par Zelda Zonk, Glénat (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Histoires de coming-out, co-écrit avec Baptiste Beaulieu, Albin Michel (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Mon imagier pour signer avec bébé, illustré par Sang Mi Cha, Larousse (2022).
- Série Louca, co-écrite avec Marie Euverte, illustrée par Bruno Dequier, Rageot (4 tomes, 2021-2022).
- Corps, amour, sexualité. Les 100 questions que vos enfants vont vous poser, accompagnement, écrit par Charline Vermont, Albin Michel Jeunesse (2021).
- Combattre pour être soi. Les conseils d’une championne, accompagnement, écrit par Clarisse Agbégnénou, illustré par Oriol Vidal, Rageot (2021).
- Série Tourne la roue et dessine !, illustrée par Zelda Zonk et Éric Veillé, Larousse (2019).
- Je suis qui ? Je suis quoi ?, conception, écrit par Jean-Michel Billioud, illustré par Zelda Zonk et Terkel Risbjerg, Casterman (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Croire en ses rêves !. Le journal d’une championne, accompagnement, écrit par Amandine Henry, Rageot (2019).
Retrouvez Sophie Nanteuil sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !