J’ai eu un énorme coup de cœur pour le magnifique Les cailloux, le premier album d’Eléa Dos Santos aussi j’ai eu envie d’en savoir plus sur son autrice/illustratrice, elle a accepté de répondre à mes questions. Puis j’ai proposé à l’autrice Jessie Magana, à l’illustrateur Sébastien Vassant et à l’éditrice Charlotte Goure de revenir sur le très beau et très fort roman illustré D’espoir et d’acier : Henri Gautier, métallo et Résistant. Il et elles nous racontent ce projet passionnant. Bonne lecture à vous et bon mercredi !
L’interview du mercredi : Eléa Dos Santos
Parlez-nous du magnifique « Les cailloux », comment est née cette histoire ?
L’histoire des Cailloux est une combinaison de deux habitudes que j’ai depuis longtemps, à savoir travailler la roche en dessin et raconter une histoire courte et simple avec des petits bonshommes. L’histoire quant à elle est un mélange de souvenirs, d’altercations dans les cours de récréation, de témoignages ou d’articles de journaux, le thème brasse très large. J’avais déjà travaillé sur l’altérité et le rejet pendant mes études, le scénario s’est donc mis en place tout seul. Cela dit j’ai eu plus de mal à préciser le dénouement, l’idée du pardon ne m’est pas venue tout de suite je suis bien plus pessimiste que mes personnages !
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai grandi à l’orée de la forêt de Fontainebleau, c’est un détail mais il explique en grande partie mes bonshommes timides et la présence de rochers et d’arbres comme seuls éléments de décor dans mes illustrations. J’ai fait deux années aux Beaux arts de Versailles qui m’ont formée aux techniques traditionnelles de dessin et de peinture, et j’ai fini mon cursus à L’École Supérieure d’Arts et de Design d’Orléans pour initialement devenir graphiste. J’allie depuis mon diplôme, des emplois à temps partiel et mon travail de dessin en atelier.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
J’ai toujours travaillé à la main, et je suis devenue très routinière après avoir trouvé mon univers. J’utilise de la pierre noire pour le noir et blanc et de la gouache pour la couleur. Je me suis permis une excentricité l’année dernière en travaillant sur un projet aux crayons de couleur, ça ne se reproduira plus !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant, et encore aujourd’hui, j’avais une affection particulière pour les livres de Claude Ponti et Grégoire Solotareff, La tempête et Le diable des rochers en tête, ils me touchent toujours autant. J’ai toujours lu un peu de tout, en grandissant je naviguais entre Harry Potter et les bandes dessinées de Fluide Glacial, puis mes lectures ont glissé vers le fantastique, et le polar très noir ! Je suis une lectrice assidue mais je suis surtout cinéphile, les films et les émissions sur la mise en scène me sont très utiles, Les cailloux a été pensé comme une séquence animée par exemple.
On trouve sur votre site de magnifiques illustrations, est-ce que ce sont des débuts d’histoires ?
Mes séries de dessins sont assemblées par thème, quand j’ai une idée je fais toujours en sorte d’en sortir 3 images pour dire la même chose de 3 manières différentes, c’est une manière de symboliser et synthétiser mon propos. Ils sont la plupart du temps destinés à être autonomes et ne restent qu’un pur travail de dessin, ce sont des formats assez grands (50x65cm) ils me servent aussi de références comme palette de couleurs quand je cherche des nuances pour une histoire.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur deux éditions, l’une sera un livre textile pour les petits imprimé en sérigraphie, et l’autre sera assez proche des Cailloux, avec des décors bien plus fournis, et beaucoup de végétaux !
Les cailloux est sorti chez Chandeigne, nous l’avons chroniqué ici.
Le site d’Eléa Dos Santos : http://eleadossantos.tumblr.com.
Parlez-moi de… D’espoir et d’acier : Henri Gautier, métallo et Résistant
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et/ou son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur D’espoir et d’acier : Henri Gautier, métallo et Résistant que nous revenons avec son éditrice Charlotte Goure, son autrice Jessie Magana et son illustrateur Sébastien Vassant.
Charlotte Goure, éditrice aux éditions de l’Atelier :
La première fois que j’entends parler d’Henri Gautier aux Éditions de l’Atelier, c’est par Allain Malherbe, en octobre 2013. Allain est membre de l’institut CGT d’histoire sociale (IHS-CGT), et nous avons déjà travaillé ensemble. Il m’envoie des lettres qu’un métallo, un certain Henri Gautier, a écrites de 1940 à 1943 pendant ses périodes d’internement. Je parcours les courriers, les crayonnés en marge et les surnoms affectueux (« Ma Goulette ») de-ci de-là donnés à sa fille Michèle. C’est un document émouvant. Mais, à l’époque, je ne crois pas que quiconque sache à l’Atelier ou à l’IHS sous quelle forme on peut s’emparer de ce trésor.
Trois ans après, en 2016, à mon retour de congé maternité, nouvelle étape : le projet a mûri, du côté de l’IHS qui donne son accord pour se lancer dans un projet éditorial un peu atypique, avec l’accord de Michèle, la fille d’Henri Gautier. Et je reprends le flambeau à la suite de l’éditrice Anne Jouve qui m’a remplacée.
L’intuition d’Anne était juste : Jessie avait toute sa place aux Éditions de l’Atelier. D’instinct s’est confirmée une jolie connivence entre elle et notre catalogue et Jessie a manifesté un attachement très fort à cette figure méconnue qu’est Henri Gautier.
Le livre est sorti en août 2018… Cinq ans avaient passé. Cinq ans pour que le projet mûrisse : du côté de Michèle et de l’IHS pour faire le deuil d’une biographie sérieuse et volumineuse ; pour que ce livre trouve sa forme de roman graphique illustré ; pour passer de photos noir et blanc transportées dans l’incroyable caddie de Michèle, à un roman dense, illustré, dramatique.
Temps long de l’édition, mais temps court aussi !
C’est bien moins de cinq ans, mais plutôt un an, qu’il a fallu à Émeric, archiviste à l’IHS, pour rassembler à l’attention de Jessie les témoignages des gens qui ont connu Henri Gautier, les documents historiques. Quelques mois seulement à Jessie aussi pour l’écrire, mais aussi pour que s’établisse la confiance entre elle et Michèle. Pour que Michèle accepte que quelqu’un s’approprie l’histoire de son père. Jessie a toujours à juste titre exigé d’être libre de ses choix littéraires, tout en respectant le contexte historique ‒ je salue d’ailleurs à ce sujet l’apport très précieux de Julien Lucchini qui a travaillé aux Éditions sur cet ouvrage avec la rigueur de l’historien. J’ai vu Michèle se détendre, et s’épanouir de mois en mois au fil de l’avancement du projet.
Sébastien, nous avions fait sa rencontre lors d’une précédente aventure éditoriale à l’Atelier : un ouvrage jeunesse qui se passait dans le Saint-Nazaire de l’après-guerre (Jules des chantiers). Je connaissais son talent, sa capacité à s’immerger dans un univers différent chaque fois à partir d’images d’archives, son attachement à l’histoire, à la culture ouvrière. Je connaissais son mélange de grande tranquillité et de puissance de travail. Quand par exemple, à quelques semaines de la remise de ses images, il décide de changer complètement de technique… je sais qu’il faut lui faire confiance !
Pour terminer, je dirais que l’intérêt et la force de ce type d’ouvrage, c’est non seulement de (re)découvrir des histoires sensibles mais aussi d’interroger nos engagements aujourd’hui.
Jessie Magana, autrice :
Il y a deux ans, une amie éditrice, Anne Jouve, me contacte. Elle remplace Charlotte Goure en congé maternité aux éditions de l’Atelier. Elle me parle d’un certain Henri Gautier, métallo, syndicaliste des années 1930, dont la fille, Michèle, a conservé nombre de lettres. Les éditions de l’Atelier sont en lien étroit avec le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Ils cherchent le moyen de faire connaître au grand public les centaines de vies détaillées dans cet ouvrage monumental, aujourd’hui en ligne ici. Ils ont publié un premier roman illustré sur Jules Durand, un syndicaliste du Havre et envisagent de transformer l’essai.
Je me plonge dans la biographie d’Henri Gautier, dans ses lettres (plusieurs dizaines). Je découvre un monde assez peu connu de moi jusqu’alors : celui des ouvriers de l’entre-deux-guerres, marqué par les grandes luttes sociales qui aboutiront au Front populaire. Je prends conscience de l’impact qu’ont eu, sur cette génération, les horreurs de la Grande Guerre, l’espoir suscité par la révolution russe, l’expérience communiste. Surtout, je découvre un homme discret mais déterminé, rigoureux dans son rôle de trésorier du syndicat mais capable de se dépasser aux moments les plus sombres de son histoire. Un homme qui a assisté à tant de tragédies : la répression de la grande grève du Havre en 1922 (qui a fait quatre morts), l’internement à Châteaubriant avec la fusillade de ses camarades en 1941, la déportation. Mais aussi un homme qui, avant-guerre, a été au cœur des négociations du Front populaire, qui a construit les réalisations sociales des métallos, achetant pour les ouvriers la clinique des Bluets ou le parc de loisirs de Baillet. Un homme capable d’écrire, dans l’une de ses dernières lettres, en 1942 : « J’ai une confiance absolue en l’avenir, il faut être courageux et patients ». Un père, un mari, souvent tendre et drôle. J’aurais aimé le rencontrer, j’ai décidé de le faire revivre.
Écrire ce roman, c’était aussi s’inscrire dans la lignée de mon travail sur les oubliés de l’histoire, amorcé avec la collection « Les Héroïques », que je dirige, chez Talents Hauts. L’idée que chacun, dans sa vie quotidienne, peut agir, à son niveau, sur le cours de l’histoire. Et donc redonner une vie à ceux que les manuels ne citent jamais.
Enfin, la forme du livre, le roman illustré, m’a immédiatement séduite. Cela m’a permis de travailler sur un rythme différent, puisque chaque chapitre est ouvert par une pleine page d’illustration, que des double-pages de dessins viennent parfois ponctuer le récit. J’ai pu alléger certaines descriptions, certains éléments de contexte. Cela m’a également permis d’écrire le dernier chapitre, le plus difficile, qui se passe dans le camp de concentration de Mauthausen. Nous avons voulu, avec Sébastien, aller vers l’épure, dans le style comme dans le trait, pour toucher à l’indicible et ne pas sombrer dans le pathos (qu’Henri Gautier aurait détesté). J’espère que ce livre lui ressemble.
Sébastien Vassant, illustrateur :
Je ne connaissais pas Henri Gaultier avant d’être sollicité par Charlotte Goure des éditions de l’Atelier. J’avais quelques neurones qui s’allumaient pourtant quand on me parlait de Jean-Pierre Timbaud ou Cécile Rol-Tanguy. C’est la curiosité et évidemment la description du personnage et de son rôle dans l’histoire ouvrière qui m’a poussé à m’y intéresser un peu plus et à lire le texte de Jessie.
Ce qui m’interpella, pendant cette lecture, c’est l’aspect humain que Jessie privilégiait dans son récit, servant à rendre dans ce parcours historique une dimension sensible et à faire revivre Henri Gaultier. Le personnage historique redevenait l’homme, soumis aux atrocités d’une époque, à des conflits idéologiques, et à sa manière non pas de voir une vie, mais sa vie.
Ayant un dessin narratif, je ne pouvais qu’adhérer à cette approche en essayant d’y apporter tout autant de sensibilité, en multipliant les non-dits, les hors-champs… avec de la pudeur si possible. Cela permettait de mettre en relief certains points plus factuels pour que le texte de Jessie puisse respirer et se soustraire de descriptions qui auraient pu alourdir le récit et que le dessin pouvait illustrer sans un mot.
C’est toujours un grand accomplissement de voir ce type de livre exister : avoir le sentiment, à notre niveau, d’avoir pu contribuer à maintenir l’histoire dans les mémoires, de manière sensible et engagée.
D’espoir et d’acier : Henri Gautier, métallo et Résistant, texte de Jessie Magana, illustré par Sébastien Vassant, sorti aux Éditions de l’atelier (2018), chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !