Dès son premier album, j’ai été touché par le travail de Marianne Ferrer. J’ai eu la chance de voir en avant-première son prochain ouvrage, et je le trouve encore plus réussi. J’ai donc eu envie d’en savoir plus sur elle, ses influences, son travail. Ensuite, j’ai voulu savoir comment Annelise Heurtier écrit et surtout où, on a donc rendez-vous chez elle. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Marianne Ferrer
Comment est né votre album Racines qui vient de sortir chez Monsieur Ed
Racines est un projet qui a résidé en moi pendant plusieurs années, attendant le bon moment et la bonne place pour naître. Quand j’étais petite, au Vénézuéla, j’étais souvent frustrée, car les enfants se moquaient de mon prénom français. J’ai demandé à ma mère pourquoi je m’appelais ainsi et elle m’a raconté l’histoire de comment « Marianne » vient de mon grand-père qui est décédé lorsqu’elle avait 7-8 ans. Mon grand-père avait voulu donner le prénom Marianne à sa fille, ma mère donc, née le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille, date symbolique en France. Pour lui, la Marianne de la nation française incarnait la force et le courage. Il l’a finalement nommée Maria Liliana… Il est mort alors que ma mère n’était encore qu’une enfant, laissant un vide énorme. Mais celle-ci m’a alors nommée Marianne pour me transmettre l’esprit sensible et créatif de mon grand-père. Mon nom est un héritage familial, mais c’est aussi l’histoire de ceux qui sont venus avant moi et qui vient se tisser avec la mienne. Et j’ai pu explorer tout cela lors de mon dernier projet à l’université et cela a donné Racines (qui s’appelait Identité à l’époque).
Monsieur Ed est un tout nouvel éditeur québécois, comment s’est passée la collaboration ?
Ce projet a tout de suite plu à Monsieur Ed, mais je le trouvais trop intime et trop personnel, je pensais que cela ne parlerait pas aux gens. Mais, alors que je travaillais sur un autre projet pour Monsieur Ed (Le jardin invisible qui sortira au printemps), Alice et Valérie m’ont reparlé de Racines et qu’elles voulaient vraiment le publier, qu’elles pensaient que ce livre toucherait les lecteurs. J’ai dit « oui » et, depuis, on collabore ! J’étais très excitée de publier Racines, nous avons fait quelques ajustements au niveau du texte et des illustrations. Les filles ont été si gentilles avec moi, me donnant tellement de liberté et d’espace pour grandir en tant qu’artiste.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
J’aime essayer de tout ! Il y a tellement de techniques et d’outils que c’est difficile de décider ce que je vais explorer comme technique. Je commence souvent mon travail avec l’aquarelle, le crayon, la gouache, l’encre, etc., car j’aime la chaleur et la texture de ces outils traditionnels. Et je finis le tout sur ordinateur pour pouvoir profiter de ⌘Z [NDLR : ⌘Z est un raccourci clavier qui permet, sur un mac, d’annuler la dernière action].
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’avais 3 ans lorsque j’ai pris un crayon pour la première fois et j’ai su, même à cet âge, que je voulais passer ma vie à dessiner. Mes parents m’ont toujours encouragée à suivre ce rêve, surtout ma mère. Quand j’avais 11-12 ans, elle était en train de compléter son BAC en Design Graphique à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal). Ses cours préférés étaient ceux de Michèle Lemieux et j’allais souvent avec elle et je dessinais dans ses classes. Ma mère me rappelle souvent de la fois où elle a demandé à Michèle comment je pourrais suivre une carrière d’artiste. Michèle lui a dit de faire attention, que la majorité des gens arrête de dessiner lorsqu’ils deviennent ados et qu’ils laissent alors l’art dans l’enfance, mais que si on n’arrête pas, on dessine pour la vie. Alors c’est exactement ce que j’ai fait.
J’ai donc dessiné tout le temps et partout : dans tous mes cahiers de notes, sur des pupitres, etc., et au secondaire, j’avais toujours un cahier d’esquisses avec moi, dans tous mes cours. J’ai construit tout mon parcours pour étudier dans un programme d’art pour perfectionner ma technique. J’ai donc fait le programme d’Illustration et Design au collège Dawson, mais je savais qu’il me manquait encore une étape avant de devenir une vraie illustratrice. Alors je suis allée à l’UQÀM dans le cours de Michèle Lemieux pour continuer à développer mon propre talent et ma passion.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai toujours été attirée par les albums illustrés. Même à l’adolescence. Lorsque moi et ma sœur allions flâner à la librairie, elle allait vers les romans, mais moi j’allais dans la section pour enfants ou dans les romans graphiques. Je prenais les œuvres avec la couverture dont l’art m’intéressait le plus et j’admirais les illustrations sur chaque page !
Quels sont les artistes qui vous inspirent ?
Évidemment, je suis toujours inspirée par le travail de grands illustrateurs/illustratrices qui ont aussi été mes professeurs, incluant Jules Prud’homme, Michèle Lemieux, Pol Turgeon, Janice Nadeau, et Gérard Dubois. Je suis aussi une énorme fan d’Isabelle Arsenault, Carson Ellis, Marion Arbona, Violeta Lopiz, Mar Hernandez, Gosia Herba, Yelena Bryksenkova, Benoît Tardif, Patrick Doyon, Brecht Evens, Chuck Groenink, Owen Gent… La liste est infinie, je passe mon temps libre à regarder sur internet le travail des artistes et de ceux qui les inspirent à leur tour !
Que lisez-vous en ce moment ?
En ce moment je suis en train de terminer un livre qui m’a été recommandé par mon copain, The Brief Wondrous Life of Oscar Wao, de Junot Díazt. ll me l’a suggéré, car j’avais tellement aimé Le tragique destin de Pépito, de Pierre Lapointe et Catherine Lepage. Et depuis quelques mois, je relis aussi souvent, au lit, Parfois les ennuis mettent un chapeau, de José Parrondo.
Quels sont vos projets ?
Il y a plusieurs projets d’albums sur lesquels je travaille avec différentes maisons d’édition. Je me sens très chanceuse d’être si occupée ! Monsieur Ed m’a également donné l’opportunité de publier un deuxième projet personnel, Le jardin invisible, qui sera raconté par Valérie Picard et qui paraîtra au printemps. En fait, lorsque j’ai rencontré Alice et Valérie, j’avais amené avec moi un de mes travaux, un jardin dessiné sur un petit mouchoir et Valérie m’a proposé d’explorer plus avant cela. J’ai toujours été une personne silencieuse et introspective. Petite, je passais beaucoup de mon temps à observer les détails autour de moi. Cette habitude s’est transformée en curiosité, en des questionnements. Je m’interroge sur ce que cela représente « exister » et comment, nous, les humains faisons partie de l’univers. Le Jardin Invisible touche à ce sujet. C’est un livre qui évoque notre place dans l’échelle de l’univers, que nous sommes des témoins de cet univers. L’album montre aussi qu’en changeant de perspective, on peut admirer à quel point nous sommes incroyablement grands et terriblement petits dans l’infini.
Bibliographie :
- Le jardin invisible, raconté par Valérie Picard, Monsieur Ed (à paraître au printemps).
- Racines, Monsieur Ed (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Les carnets de Rhubarbe, avec Stéphanie Labelle, Cyril Doisneau et Ohara Hale, La Pastèque (2015).
Quand je crée… Annelise Heurtier
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur.trice.s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur.e.s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur.trice.s dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur.e.s et/ou illustrateur.trice.s que nous aimons de nous parler de comment et où ils créent. Cette semaine, c’est Annelise Heurtier qui nous parle de quand elle crée.
Spontanément, j’associe deux grands types de « lieux » à mon activité d’auteur.
D’abord, les chemins, les rues et les sentiers que je traverse lorsque je cours. Depuis quelques années, la course à pied est vraiment devenue un besoin. Et j’ai remarqué que souvent, une bonne séance peut m’aider à débloquer un point d’un scénario, voire même faire naitre une idée. En tous cas ce qui est sûr, c’est que les idées de fond n’arrivent pas souvent devant mon ordi, pendant la phase d’écriture. Elles naissent un peu spontanément, n’importe où, n’importe quand, car par définition, on ne peut pas vraiment provoquer leur apparition…Mais je suis persuadée que l’activité physique stimule la créativité…et je ne suis pas la seule : c’est scientifiquement prouvé !
Ensuite, bien sûr, il y a l’endroit où je m’installe pour travailler avec mon ordinateur. Là je ne peux pas courir. Enfin je crois.
J’ai eu de nombreux bureaux car avec mon compagnon, nous avons beaucoup déménagé ! Je suis récemment passée d’un bureau tahitien à un bureau…bourguignon. C’est sûr, quand on regarde par la fenêtre, ce n’est pas le même décor.
Je ne suis pas forcément toujours assise à une table, d’ailleurs. Il est important que je puisse avoir une pièce-bureau (même petite) pour y laisser mes affaires, mais souvent, je prends mon ordinateur et je vais m’installer ailleurs. Dehors (enfin ça c’était le bon temps, quand j’étais au chaud sous les tropiques !), sur le canapé avec une couverture (ça c’est ici), ou debout, en posant l’ordi sur une table haute… J’aime bien travailler debout. Et il parait que ça se développe de plus en plus !
Celui-là fait un peu hamster mais bon… j’aime bien l’idée !
Source image magazette.fr
Annelise Heurtier est auteure.
Bibliographie sélective :
- Envole moi, roman, Casterman (sortie mars 2017).
- Trois frères pour un seul trésor, album illustré par Judith Gueyfier, Rue du Monde (2016).
- La couronne, album illustré par Andrea Alemanno, Alice Jeunesse (2016).
- Le complexe du papillon, roman, Casterman (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Danse Hinatea !, album illustré par Élice, Au vent des îles (2015).
- Refuges, roman, Casterman (2015)
- Série Charly Tempête, romans, Casterman (2013-2014), que nous avons chroniqués ici, là et ici.
- Là où naissent les nuages, roman, Casterman (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Combien de terre faut-il à un homme ?, album illustré par Raphaël Urwiller, Thierry Magnier (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Babakunde, album illustré par Mariona Cabassa, (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Sweet Sixteen, roman, Casterman (2013), que nous avons chroniqué ici.
- On n’a rien vu venir, roman collectif, Alice Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Bertille au chocolat, roman illustré par Élice, Alice Jeunesse (2012).
- La fille aux cheveux d’encre, roman illustré par Princesse Camcam, Éditions Casterman (2012) que nous avons chroniqué ici.
- Le carnet rouge, roman, Casterman (2011), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez la bibliographie complète d’Annelise Heurtier sur son blog.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Je viens d’avoir un énorme coup de cœur pour Marianne Ferrer que je ne connaissais pas. J’ai envie de voir en vrai (de toucher un de ses livres en gros) ce que ça donne. Merci pour cette découverte. La mare est vraiment une source inépuisable de belles découvertes.
Mercredi au top avec la 2è partie puisque découvrir un peu plus de mon auteure jeunesse (grands ados) préférée est toujours agréable.