Cette semaine, c’est l’auteure Mim que nous recevons. J’ai beaucoup aimé il y a peu L’orthophoniste (chroniqué lundi), j’avais envie de savoir qui se cachait derrière ce nom énigmatique. Ensuite, on retrouve une rubrique habituelle, le coup de cœur/coup de gueule. Régulièrement, nous aimons demander à une personnalité de la littérature jeunesse de nous parler de ce qui fait battre son cœur et ce qui l’énerve un peu. Cette fois-ci, c’est l’auteure Christine Palluy qui a accepté de nous répondre. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Mim
Comment êtes-vous devenue auteure ? Parlez-nous de votre parcours et surtout… d’où vient ce nom « Mim » ?
Je n’aurais jamais imaginé devenir auteure, même si petite fille, je passais mon temps à écrire des histoires. Après des études de littérature anglophone, j’ai commencé ma carrière comme assistante d’édition, chez Grasset, au service de littérature étrangère, où je suis restée dix ans. Parallèlement, je suis devenue traductrice en littérature jeunesse, un univers qui m’a toujours plu car il est très riche, et surtout très libre. Pour signer mes traductions chez d’autres éditeurs, j’ai choisi un pseudonyme, Mim, qui était aussi le surnom que me donnaient ma famille et mes amis… C’était sans doute une façon de me sentir un peu chez moi en littérature jeunesse ! Et puis, Madame Mim, c’est la sorcière de Merlin l’enchanteur… et j’aime bien les personnages un peu ingrats ! À l’époque je traduisais beaucoup d’albums pour Milan, mais j’ai mis quelques années à leur proposer un texte en tant qu’auteure parce que je n’étais pas persuadée d’avoir des choses intéressantes à raconter. Et d’ailleurs, je continue à me faire cette réflexion régulièrement ! La traduction est un exercice d’écriture, souvent difficile, mais on est au service d’un auteur et de ses mots, sur lesquels on s’appuie… Quand on est auteur, on est vraiment seul face à son histoire et on ne sait pas forcément par quel bout la prendre. Mais Alice Aschero, qui était éditrice chez Milan à l’époque, m’a encouragée et a lu mon premier texte… qu’elle a pris !
Parlez-nous de la série Noé et Azote, comment est-elle née ?
C’est l’histoire d’une belle rencontre… non pas avec un troll des montagnes, comme Azote, mais avec Benoit Bajon, mon co-auteur ! On m’avait proposé à plusieurs reprises d’écrire pour les lecteurs débutants. Mais je suis une grande bavarde et j’étais un peu effrayée par l’économie de mots… qui n’est pas ma spécialité ! Comme Benoit est orthophoniste, je lui ai proposé de m’aider sur les contraintes du début de lecture. Mais en fait, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça ! Parce qu’à force de discuter, d’échanger nos idées et de boire des cafés, finalement, on a conçu la série ensemble, et puis on a basculé dans l’écriture à quatre mains, ce qui est une sacrée aventure ! Pour Benoit, l’écriture était une découverte, et je pense que notre travail commun lui apporte sans doute un autre regard sur le langage, qui est au cœur de son métier. Pour ma part, j’avais toujours écrit seule, et ça ne m’a pas semblé tout de suite évident de partager ma plume ! Il faut se mettre d’accord, laisser la place à l’autre sans avoir l’impression d’abandonner sa propre écriture… Mais c’est aussi une formidable occasion d’aller sur d’autres terrains que les siens, de bousculer ses marottes, de sortir de chemins rassurants car déjà empruntés… En ce moment, on écrit le 9e tome, et on ne pensait pas qu’on aurait autant d’histoires à raconter… Mais on s’est drôlement attaché à nos personnages ! Et puis il y a quelques semaines, un autre aspect de notre projet a vu le jour : une édition en « lecture aidée » des premiers tomes de Noé et Azote est parue, avec des syllabes en couleurs, destinées à faciliter le déchiffrage des lecteurs débutants. Le texte et les illustrations sont rigoureusement identiques à l’édition originale, mais ce découpage des mots permet d’accompagner des lecteurs hésitants ou en difficulté. Cette idée de « lecture aidée » était au cœur de notre association dès le départ, et c’est ainsi que nous l’avions présenté à Magnard en leur proposant notre série. C’était important pour nous de trouver un éditeur qui veuille s’engager à nos côtés sur cette démarche : apporter un petit coup de pouce à des enfants qui veulent se lancer dans un roman, mais peinent encore à lire de manière fluide… Benoit a aussi conçu des petits jeux autour des mots et du langage pour aider à la compréhension de l’histoire. D’une certaine manière, ça concrétise le lien entre nos métiers respectifs d’auteure jeunesse et d’orthophoniste.
« L’orthophoniste », c’est le titre d’un de vos derniers livres ! Du coup, c’est Benoit Bajon qui a vécu cette histoire d’orthophoniste qui rencontre un dragon ?
Ah, ça aurait pu, mais en fait non ! J’ai commencé à écrire L’orthophoniste avant ma rencontre avec Benoit… Mais cela dit, il y a quand même un petit lien ! Je voulais raconter une histoire autour de ce qui se passe dans un cabinet d’orthophonie… mais en prenant le point de vue de l’orthophoniste. Travailler sur ses difficultés de langage, ce n’est pas une démarche évidente pour un enfant (ni pour un adulte d’ailleurs) : il va trouver une aide nécessaire auprès de son orthophoniste, mais cela implique aussi de prendre du temps pour surmonter ses problèmes, au lieu d’aller jouer par exemple… Mais de son côté, peut-être que le soignant ressent lui aussi une appréhension à prendre en charge un nouveau patient ? Alors j’ai voulu interviewer un orthophoniste pour qu’il me parle de son métier, de sa relation avec les patients, de ses doutes et de ses échecs parfois… et c’est comme ça que j’ai atterri dans le cabinet de Benoit, qui m’a raconté tout cela avec beaucoup de sincérité. Quand je lui ai présenté mon roman, où il est question de se pencher sur les problèmes d’élocution d’un dragon, il a considéré cette rééducation avec beaucoup de sérieux. Je ne m’attendais pas à ce qu’il réfléchisse à l’anatomie de la gueule d’un petit dragon, ni au type d’exercices susceptibles de l’aider à prononcer le son « R » sans cracher du feu ! Là, je me suis dit que même si on évoluait dans des univers très différents, on avait quand même quelques points qui nous rapprochaient ! C’est ainsi qu’est née l’envie de travailler ensemble… Magnard a tout de suite pris L’orthophoniste pour sa collection de premiers romans, mais pour des raisons de plannings, Noé et Azote sont parus avant.
J’aimerais aussi profiter de cette interview pour reparler d’un album que j’avais adoré, Puisque c’est comme ça, je m’en vais !, pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce superbe album ?
Je pourrais déjà vous dire que c’est du vécu, et que j’ai un Émile à la maison qui a fait ses valises un soir (il peut m’arriver d’être une maman contrariante) ! Bon, heureusement, il est resté… et m’a inspirée cette histoire ! J’aime beaucoup cet album car Alexandra Pichard lui a donné une tonalité tendre et chaleureuse avec un dessin très sobre et élégant. Cette histoire parle différemment aux enfants selon leur âge. Je crois que les petits aiment se faire un peu frissonner en pensant qu’Émile va vraiment partir. Les plus grands décodent l’humour et la tendresse de la maman, qui n’a bien sûr aucune intention de le laisser s’en aller ! Quant aux adultes, ils me disent souvent que c’est le portrait d’une maman idéale, car elle désamorce les conflits sans s’énerver. Ce qu’on devrait toujours essayer de faire… mais en ce qui me concerne, ça relève souvent de la fiction ! Je suis très attachée à cet album, parce que c’est aussi à travers cette histoire que j’ai rencontré Mélanie Edwards, chez Magnard Jeunesse, qui est une éditrice précieuse !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’aimais beaucoup les histoires qui m’entraînaient ailleurs, vers des mondes imaginaires, ou inconnus. Je crois que le premier album qui m’a marquée et que mes parents ont dû me lire des dizaines de fois, c’est Croc Epic, le mangeur de rêves de Michael Ende, qui n’est probablement plus disponible aujourd’hui. Je ne sais plus vraiment ce que racontait cette histoire, mais je sais qu’elle m’a accompagnée un bon nombre de fois avant d’aller me coucher ! Plus grande, j’ai lu et relu les Roald Dahl, et j’adore les redécouvrir aujourd’hui avec mes enfants. J’aime la manière loyale dont cet auteur s’adresse aux enfants, sans concession, ni facilité, et en faisant toujours appel à leur intelligence. On ne le prend jamais en flagrant délit de mièvrerie ! Adolescente, j’ai assez vite basculé vers les classiques, car la « littérature ado » était moins riche que maintenant. J’ai des souvenirs émus de ma découverte de Jack London, ou dans un autre style, d’Alexandre Dumas…
Quels sont vos projets ?
Poursuivre les aventures de Noé et Azote avec Benoit, mais aussi raconter mes propres histoires, toute seule, et n’en faire qu’à ma tête ! Se mettre d’accord avec soi-même, c’est parfois plus compliqué qu’avec un co-auteur ! Mon prochain album, Le déménagement de Maryse Cocotte sort avant l’été chez P’tit Glénat, avec de très belles illustrations de Sébastien Pelon. Et sinon, j’écris beaucoup pour la radio, qui est un univers que j’adore, parce que particulièrement propice à l’imagination : à la radio, tout est possible, il suffit de tendre l’oreille pour voyager très loin ! Sous mon vrai nom, Camille Kohler, je suis auteure d’une série humoristique sur la vie de famille, La vie trépidante de Brigitte Tornade, diffusée sur France Culture. Je travaille actuellement sur les épisodes 41 à 50, qu’on enregistrera à la rentrée… et je trépigne à l’idée de retrouver toute la joyeuse équipe !
Une dernière question, si quelqu’un qui ne vous connaît pas lit cette interview et veut vous découvrir avec un seul de vos ouvrages, lequel lui conseilleriez-vous ?
C’est difficile de répondre à cette question, parce que le point de vue de l’auteur n’est pas forcément ce qui devrait influencer le lecteur… J’aime beaucoup L’orthophoniste, qui reprend un thème qui m’est cher : celui de la rencontre avec un être différent, vaguement inquiétant. Si on surmonte ses appréhensions pour aller vers l’autre, même dans notre monde pas très réjouissant, il y a de grandes chances pour qu’on fasse une rencontre magique ! En y réfléchissant, je crois que ce thème traverse la plupart de mes textes, comme Noé et Azote, Le Mystère Ferdinand ou Le petit monstre d’Adèle. C’était déjà le cas dans mon premier album, « Un loup à la maison », qui n’est malheureusement plus disponible. J’ai une tendresse particulière pour ce livre, parce que c’était un saut dans l’inconnu. C’est comme ça que j’ai rencontré Sébastien Pelon, qui l’a illustré… et qui est devenu un bon copain ! Finalement, je me dis que je vous ai beaucoup parlé de rencontres dans cette interview… C’est vrai que c’est important, et peut-être même que c’est ce qui compte le plus dans la vie ! Mais un bon livre, c’est aussi ça : partir à la rencontre des autres, d’un univers différent, inconnu, en acceptant ses bons côtés et ses aspérités… pour vivre une expérience unique !
Bibliographie :
- Le déménagement de Maryse Cocotte, album illustré par Sébastien Pelon, P’tit Glénat (prochainement).
- L’Orthophoniste, roman illustré par Jess Pauwels, Magnard (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Ouvre la porte de mon école, album illustré par Nathalie Choux, Albin Michel (2015).
- Série Noé et Azote, romans coécrits avec Benoit Bajon et illustrés par Aurélie Guillerey, Magnard Jeunesse (2015-2016), que nous avons chroniqués ici.
- Ouvre la porte, album illustré par Nathalie Choux, Albin Michel (2015).
- Le petit monstre d’Adèle, album illustré par Baptiste Amsallem, Milan (2014).
- Puisque c’est comme ça, je m’en vais !, album illustré par Alexandra Pichard, Magnard Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le mystère Ferdinand, album illustré par Rémi Courgeon, Milan (2011).
- Un loup à la maison, album illustré par Sébastien Pelon, Milan (2010).
On peut aussi retrouver La vie trépidante de Brigitte Tornade en podcasts sur le site de France Culture.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Christine Palluy
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur.e, illustrateur.trice, éditeur.trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché, ému ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il.elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé.e. Cette semaine, c’est Christine Palluy qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Coup de cœur :
Le jour d’une intervention scolaire, les plus jeunes arrivent rangés par deux et me lancent des regards mi-charmeurs, mi-intimidés. Quatre syllabes prononcées en bloc sautillent dans leur rang : « christinepalluy… christinepalluy… » ! Plus grands, les élèves me repèrent dans la cour et engagent la conversation, histoire d’avoir parlé à « l’auteure » avant les autres. Les collégiens, eux, feignent l’indifférence, mais sont parfois trahis par leurs coups d’œil à la dérobée.
Nous entrons, nous nous installons, nous faisons connaissance. D’abord viennent les premières questions, les classiques, les habituelles, celles que l’on pose juste pour déclarer la rencontre ouverte, les « combien de livres avez-vous écrits ? », « depuis quel âge êtes-vous auteure ? », « d’où vous vient l’inspiration ? ». Dociles, les voix égrainent une liste soigneusement préparée en classe jusqu’à ce que, soudain, l’une d’elles s’échappe du carcan : « Si tu écris pour nous, et pas pour les adultes, c’est que tu restes une enfant dans ta tête, non ? » « Dans ton histoire, c’est comme en vrai : pourquoi les mamans s’inquiètent autant pour leurs enfants ? », « Toi, tu es comme moi, tu es une rêveuse. Tu n’aimais pas l’école, je suis sûre ! », « Moi, quand je lis, c’est drôle, j’ai un petit film dans la tête ! ».
Alors, à ce moment-là, l’ambiance bascule. De préréglée, la rencontre s’allume et devient sincérité, partages, la liberté toute neuve fait pousser des ailes à chacun. La vraie rencontre, celle qui donne des coups au cœur, c’est celle-là. Bien sûr, la magie n’est pas toujours au rendez-vous, étouffée par 25 questions numérotées posées par 25 enfants crispés sur leurs papiers (ça sonne… vite, Lily, pose la dernière question ! chuuuut, on écoute Lily !).
Moi, c’est pour happer ce moment privilégié que je reprends avec enthousiasme le train et ma valise, pour ce petit Baptiste qui un jour m’a abordée dans la rue : « Il y a trois ans, j’étais en CE1 et tu es venue dans ma classe et on a écrit une histoire. Depuis, je veux être écrivain. »
Coup de gueule :
Des chaînes de textos insultants, des commentaires Facebook assassins, des images volées via Snapchat ou relayées sur des forums… les nouvelles technologies décuplent la violence dans les rapports entre adolescents. Comment ne pas avoir de haut-le-cœur face aux ravages du cyber-harcèlement ? Aujourd’hui, quand on a 17, 15 ou même 12 ans, on est à la merci d’une diffusion instantanée, rebondissante et indélébile de vos secrets les plus intimes, de railleries ou de mensonges. Sans répit, chez vous, partout, jour et nuit, les bourreaux immatures et masqués vous blessent puis balancent du sel sur votre souffrance. Au collège, au lycée, inutile d’être musclé ou courageux pour affronter sa victime à la sortie des cours : on peut la mettre à mort socialement tout en croquant des fraises Tagada derrière son écran. La cruauté se lâche d’autant plus qu’on ne voit pas souffrir sa victime. Combien d’adolescents abîmés, blessés, combien d’humiliations et de suicides faut-il déplorer pour que le problème cède enfin du terrain ? Un coup de gueule ne sert à rien. Éduquer, montrer, expliquer ces dangers aux enfants, aux ados victimes et bourreaux, aux parents et aux enseignants est le seul chemin. Heureusement, on commence à le prendre : des romans paraissent, des clips sont diffusés, des associations se créent et des adultes enfin, y mettent les pieds.
Bibliographie sélective :
- Série Tip-Top, romans illustrés par Cyrielle, Hatier Jeunesse (2014-2016), que nous avons chroniqué ici et là.
- La moufle, album illustré par Samuel Ribeyron, Didier Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Histoires d’aventurières, album illustré par un collectif, Lito (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Princesses d’Afrique, album illustré par un collectif, Lito (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Princesses de la cour de Versailles aux palais de Vienne, album illustré par un collectif, Lito (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Il était une bergère, roman illustré par Grégoire Mabire, SEDRAP jeunesse (2012).
- Ulysse, BD illustrée par Benjamin Adam, Milan (2011).
- Princesses de tous les pays, album illustré par un collectif, Lito (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Jason et les Argonautes, roman illustré par Giorgio Baroni, Milan (2011).
- Histoires de Cavalières, album illustré par un collectif, Lito (2010).
- Il était une fois le père Noël, album illustré par Évelyne Faivre, Lito (2009).
- Arthur et Dagobert n’ont pas peur de la nuit, album illustré par Hervé Le Goff, Milan (2009).
- Histoires de Sorcières, album illustré par un collectif, Lito (2009).
Retrouvez Christine Palluy sur son site : http://www.christine-palluy.fr.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Bonjour,
“L’Orthophoniste” a offrir à tous les enfants ! A ceux qui vont chez l’orthophoniste et à ceux qui n’y vont pas.
Et puis pourquoi ne pas l’offrir à son orthophoniste aussi !
Merci la Mare aux Mots
Mercredi au top !