Aujourd’hui c’est un savoureux duo qui répond à nos questions : Morgane de Cadier et Florian Pigé. On découvre ensuite le coup de cœur et le coup de gueule de Marine Carteron, qui nous a notamment régalés avec sa trilogie des Autodafeurs ! Bon mercredi !
L’interview du mercredi : Morgane de Cadier et Florian Pigé
Parlez-nous de votre dernier album, Chut ! sorti aux éditions HongFei Cultures.
Florian : Le texte est né d’une idée de Morgane, un lapin ronchon qui n’aime rien. Comme pour tous nos livres, nous avons enrichi cette histoire en sirotant une Piña Colada. L’idée des cabanes haut-perchées, du voisin, de l’oiseau, sont venues au bout de quelques verres. (Rires)
Au début, l’oiseau géant devait juste emporter les protagonistes au loin, mais on a trouvé ça plus intéressant de faire grossir l’oiseau, comme une métaphore de la haine de Monsieur Franklin.
Morgane : Je tenais aussi énormément à ce que l’on reste dans le même décor, à ce que l’on ne quitte pas ces deux cabanes et leurs petits habitants. Au final, c’est un livre qui parle de solidarité et d’ouverture au monde sans avoir à s’aventurer très loin.
Je pense que c’est un des albums dont on est le plus fier. On a tous les deux beaucoup évolué en le réalisant.
Quelques mots sur votre parcours ?
Florian : Quand vous dites parcours j’ai l’impression d’avoir 150 ans et des années d’expérience derrière moi. Au final, on est assez « jeunes » dans le milieu de l’édition.
Morgane : J’ai commencé mon « parcours » à l’École Émile Cohl, tout de suite après le bac. Je voulais faire du dessin animé, mais j’ai vite compris que c’était long (et un peu chiant), du coup je me suis dit que j’allais plutôt faire de l’illustration. C’est là-bas que j’ai rencontré Florian, à une soirée entre étudiants.
Au final, j’ai arrêté Émile Cohl en cours de route. L’année suivante, je me suis mise à écrire avec Florian et à travailler sur Tout là-haut (notre premier album). Maintenant, j’ai repris des études en Concept Art à l’École Bellecour, tout en continuant à écrire. Pour tout dire, je dois passer mon diplôme à la fin de l’année.
Florian : Comme tous les illustrateurs, j’ai commencé par un IUT de gestion après le bac. (Rires) Après mon diplôme, j’ai directement enchainé avec l’École Émile Cohl à Lyon. Je ne me voyais pas faire un métier sans création, j’y ai passé quatre années géniales. La quasi-totalité de mes potes sont des ressortissants de l’école.
À Cohl, je ne me voyais pas du tout faire de la jeunesse, j’avais plutôt envie de faire de la BD sombre en noir et blanc. Ce sont les professeurs en dernière année qui m’ont poussé dans cette direction.
Une fois diplômé, j’ai commencé à travailler sur Tout-là haut avec Morgane. Notre complicité était déjà évidente avant, on a le même sens de l’humour, les mêmes goûts et cela nous aide beaucoup à travailler ensemble.
Comment se passe votre collaboration ? Morgane, vous qui êtes aussi illustratrice, intervenez-vous sur le travail de Florian ? (qui décide, par exemple, de l’espèce à laquelle appartiendront les personnages, ou le type de décors ?)
Morgane : Comme on travaille souvent ensemble et qu’on se demande régulièrement notre avis, on finit forcément par s’influencer l’un l’autre. Mais c’est davantage de l’ordre du conseil que de l’intervention. Et puis comme on parle tout le temps de nos différents projets (au restaurant, en voiture, jusque sur la plage), on en arrive à construire nos idées ensemble.
Florian : Pour les espèces d’animaux, c’est assez logique au final. Par exemple, pour Une île sous la pluie il nous fallait des habitants qui n’aiment pas l’eau alors on a évidemment pensé aux chats.
Il arrive aussi que ce soit arbitraire, comme pour Monsieur Franklin dans Chut !
Morgane : Ayant un gout prononcé pour le minimalisme, si Florian m’écoutait, la moitié de nos livres se passeraient sur fond blanc, sans décors ou dans la neige. (Rires)
Florian : Les décors et les cadrages sont des éléments très importants pour moi. Dans Chut ! le décor comme le cadrage sont porteurs de sens. Ils opposent directement les deux personnages, notamment par la séparation de la page.
Vos albums évoquent souvent l’ouverture à l’autre, au monde, est-ce un thème cher à vos yeux ?
Morgane : Pour tout dire, on ne pense jamais vraiment au sous-texte de nos albums. Je n’essaye pas d’inclure une morale ou un message dans mes textes. Cela dit, je suis toujours très touchée quand on me le fait remarquer. Ce sont des thèmes qui me semblent importants, surtout par les temps qui courent. Et je suis flattée de pouvoir faire passer ces valeurs aux lecteurs, même si ce n’était pas intentionnel au départ.
Florian, pourriez-vous nous parler de vos/votre technique(s) d’illustration ?
Florian : Je pars toujours d’un croquis sur feuille, je le scanne et j’ajoute des couleurs et des matières par ordinateur. J’aime bien mixer plusieurs techniques : aquarelle, crayon, craie, stylo…
Le mélange des textures donne un côté organique que j’aime bien.
Je fais en général plus de recherches sur l’ambiance générale. Pour moi, l’impression que laisse une illustration est plus importante que la justesse du dessin.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent.e ? Y’a-t-il des auteurs.trices et illustrateur.trice.s qui ont particulièrement influencé votre travail ?
Morgane : Pour être tout à fait honnête, je ne lisais pas beaucoup d’albums étant enfant. Mes parents avaient plutôt l’habitude de me lire des petites nouvelles avant d’aller dormir. Je pense avoir grandi en étant entourée davantage de mots que d’images.
Quand j’ai commencé à lire, j’ai dévoré les albums de La Famille Passiflore (illustrés par Loïc Jouannigot) et les histoires de Beatrix Potter. Plus tard, j’ai aussi été très marquée par Max et les Maximonstres (de Maurice Sendak).
Florian : Je ne lisais pas d’albums jeunesse non plus. J’ai surtout collectionné des comics et regardé BEAUCOUP de films. J’essayais régulièrement d’adapter les films que je voyais en BD mais je m’arrêtais au bout de quelques pages.
J’ai découvert les albums jeunesse durant ma dernière année à Cohl et depuis j’en achète au moins
deux par mois.
Auriez-vous quelques coups de cœur à nous faire partager ?
Florian : Alors alors… cet été j’ai lu Léo le fantôme de Mac Barnett et Christian Robinson. Je trouve qu’ils ont tout compris, tant au niveau de l’histoire que de l’illustration.
Plus récemment j’ai beaucoup aimé : Un grand jour de rien de Béatrice Alemagna et Sur mon fil de Séverine Vidal et Louis Thomas.
Morgane : Mon premier coup de cœur a sans doute été Mon Meilleur Ami de Satoe Tone, que j’ai découvert à Bologne en 2014.
Dans un autre style, Shackleton’s Journey de William Grill m’a beaucoup marquée. Pour la petite histoire, c’est un livre documentaire que j’ai trouvé en anglais dans une librairie à Amsterdam. Je ne sais pas s’il a été traduit en français depuis, mais il vaut vraiment le détour. (NDLR : il est en effet publié chez Casterman !)
Plus récemment, j’ai aussi beaucoup aimé Troisième Branche à Gauche d’Alexandra Pichard.
Peut-on en savoir plus sur vos futurs projets ? (seul.e ou ensemble !)
Morgane : Trouver du travail après mon diplôme ? (Rires) Plus sérieusement, on a plusieurs projets ensemble sur le feu. Si tout se passe bien, notre prochain album devrait sortir en fin d’année chez HongFei Cultures, il s’appellera Le Secret du Loup. On continue également à monter des projets avec Balivernes éditions.
Florian : Je suis en train d’écrire ma première série de livres pour tout-petits. Le premier de cette série s’appelle Si petit et parle d’un girafon. Je les illustre avec des tampons que je sculpte dans de la gomme. Le style graphique diffère un peu de ce que je fais d’habitude.
Je travaille aussi sur un projet avec Séverine Vidal, que j’ai contactée après avoir lu Sur mon fil.
Bibliographie :
- Chut !, HongFei Cultures (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Une maison à hanter, Balivernes (2016).
- Une île sous la pluie, Balivernes (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Tout là-haut, HongFei Cultures (2015). que nous avons chroniqué ici.
Le site de Florian Pigé : https://www.florianpige.com et celui de Morgane de Cadier : https://www.morganedecadier.com.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Marine Carteron
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur.trice, illustrateur.trice, éditeur.trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché.e, ému.e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il.elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé.e. Cette semaine, c’est Marine Carteron qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Mon coup de gueule
Je profite de cette tribune que m’offre généreusement Anaïs pour porter la voix de mes amis Alice Brière-Haquet, Vincent Villeminot et Cécile Roumiguière, pour pousser un coup de gueule collectif contre la nouvelle gestion du droit de lecture.
Alors, vous me direz, « Le droit de quoi ? On doit payer pour lire des livres ? Même si on le fait gratuitement, même si on est bénévole, même si nous avons écrit le texte nous-même ? »
Oui, je sais, ça paraît idiot mais la réponse est OUI !
Comme l’expliquent très bien Alice, Vincent et Cécile la lecture à haute voix de livres, en totalité ou sous forme d’extraits, est considérée comme une « représentation », et tombe de facto sous le coup du « droit de représentation ». Jusque-là, ce droit était géré par une société d’auteurs, la SACD, mais depuis le 1er janvier 2016, et sans que grand monde en ait été informé, la gestion du droit de lecture est passée dans l’escarcelle de la SCELF, une société d’éditeurs.
Or, celle-ci a décidé d’appliquer à la lettre le barème de la SACD : trente euros minimum, même sans billetterie ! Y compris pour les « heures du conte », les associations de lecteurs bénévoles, ou les auteurs lisant leurs propres textes…
L’affaire est ubuesque et contre-productive !
Alors nous, auteurs, bibliothécaires, médiathécaires, lecteurs bénévoles, simples amateurs de lecture ou parents d’enfants à qui on lit des livres, avons décidé de dire NON :
NON à l’usine à gaz pour les bibliothécaires qui organisent les « heures du conte »,
NON à ce que la lecture coûte aux bénévoles qui offrent leur voix et leur temps,
NON à la ponction des salons qui contribuent à la vie des livres et des auteurs,
NON aux prélèvements sur les auteurs eux-mêmes lorsqu’ils lisent leurs livres !
Les livres ont besoin de médiateurs, et les lectures offertes au public en font partie. Notamment les lectures faites aux enfants, à tous les enfants, pas seulement ceux qui ont la chance de lire et d’entendre lire dans leur famille : ce sont eux qui feront vivre demain la littérature !
Plusieurs collectifs d’auteurs, dont la Charte et la SGDL, se sont rassemblés pour signer en mars une lettre pour interroger la SCELF… qui a immédiatement botté en touche en leur donnant rendez-vous à l’automne ! Une manière à peine diplomate de renvoyer les auteurs jouer avec leurs crayons, et de laisser les autres, bibliothécaires, bénévoles, se débrouiller pour payer ou se mettre hors la loi !
Nous, auteurs, sommes vigilants sur la façon dont on dispose de nos droits. Et l’un des droits de l’auteur est justement celui de dire « non » à l’incohérence d’une mesure qui va à l’encontre de ce pour quoi nous écrivons. La lecture offerte n’est pas un spectacle comme les autres, revoyons sa place au sein du droit de représentation !
Nous, auteurs signataires de cette pétition, demandons l’exonération de prélèvement SCELF sur les lectures à voix haute proposées dans un cadre non marchand sans billetterie.
Quant à nous, lecteurs, bénévoles, bibliothécaires, amateurs de lecture, soucieux de protéger le droit des lecteurs mais aussi celui des auteurs, nous nous félicitons de l’opposition des auteurs au prélèvement SCELF sur les lectures gratuites dans un cadre non-marchand. Et nous entendons ainsi pouvoir continuer à lire les livres qui nous réunissent.
Vive la lecture à haute voix ! Et vive ceux qui lisent !
Si, comme nous vous souhaitez vous élever contre cette affaire ubuesque vous pouvez vous joindre à nous en signant cette pétition sur Change.org.
Mon coup de cœur
Mon coup de cœur va aller à Mark Zuckerberg, enfin, plutôt à sa création : Facebook.
Oui, je sais c’est étrange de la part d’une prof, auteure jeunesse et maman de deux garçons de 10 et 17 ans. Sur le papier je devrais plutôt faire partie de ceux qui critiquent, de celles qui dénoncent les excès, mettent en garde contre les dangers de ce réseau social planétaire, mais pourtant c’est bien mon coup de cœur.
Mais pour que vous compreniez mieux pourquoi il faut que je vous parle un peu de moi (rassurez-vous, j’ai dit « un peu »). Je fais partie de ces personnes qui quittent rarement leur domicile (la foule me fait peur, les transports en commun me tétanisent et l’inconnu me paralyse). En plus, j’habite en province… genre en province de la province ; genre une ville sans gare TGV où personne ne vient de son plein gré (je vais me faire des amis dans la ville en question, je le sens…). Du coup, Facebook pour moi c’est le lieu où je rencontre des gens.
Car c’est surtout ça Facebook : des gens drôles, énervés, râleurs, amoureux, timides, excédés, imaginatifs, fatigués, explosifs, débordants de talent. Tout un tas d’inconnus qui pour certains, au fil du temps, sont devenus mes amis.
Je vous entends déjà murmurer en rigolant : « la pauvre meuf qui croit qu’elle a des vrais amis sur Facebook, c’est pathétique… ». Peut-être, mais tant pis, j’assume et je répète : Oui, je me suis fait des amis sur Facebook, des vrais potes avec qui je me marre, j’échange, je rêve, je procrastine, je râle. Des ami(e)s qui me donnent des conseils qui sont là quand j’ai un coup de blues ou une bonne nouvelle à partager, qui m’apprennent des trucs hyper utiles (comment transformer un dinosaure en plastique en bougeoir par exemple).
Bref, je sais que c’est à la mode de se plaindre de Facebook, mais je n’ai jamais été à la mode alors merci Mark Zuckerberg d’avoir amené tous ces gens formidables dans ma vie, tu es mon coup de cœur du jour. 🙂
Bibliographie :
- Génération K, tome 2, Le Rouergue, (2017).
- Génération K, tome 1, Le Rouergue, (2016).
- Les autodafeurs, tome 3 – Nous sommes tous des propagateurs, Le Rouergue (2015).
- Les autodafeurs, tome 2 – Ma sœur est une artiste de guerre, Le Rouergue (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les autodafeurs, tome 1 – Mon frère est un gardien, Le Rouergue (2014), que nous avons chroniqué ici.
Vous pouvez retrouver les héroïnes des romans de Marine Carteron sur Facebook : ici celui de Césarine Mars des Autodafeurs et ici celui Kassandre Bathory de Kapolna de Génération K !
Aime les crêpes et les animaux rigolos.
Coup de gueule partagé pour ma part. Affaire ubuesque effectivement.
une ile sous la pluie… un hymne magnifique à la tolérance et à l’acceptation de l’autre même s’il est différent