Cette semaine, c’est Patrick Pasques que nous recevons, un auteur-illustrateur hors normes puisqu’il n’utilise pas seulement les crayons ou la peinture, mais il crée tout un univers en volume qu’il prend en photo. J’ai eu envie d’en savoir plus sur lui et sur son travail, je vous propose de lire ses réponses à mes questions. Ensuite, c’est avec Isabelle Wlodarczyk, Hajnalka Cserháti et Isabelle Ayme (des éditions Lirabelle) que nous avons rendez-vous pour la rubrique Parlez-moi de… elles reviennent sur le très bel album Marika. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Patrick Pasques
Parlez-nous de votre parcours
J’ai suivi une longue formation scientifique, je voulais être chercheur en neurophysiologie (la science du cerveau) et, en même temps, être auteur en vulgarisation des sciences. Au final, j’ai rapidement été happé par l’édition et j’ai collaboré pendant… 25 ans (aïe…) à de très nombreux ouvrages (des encyclopédies, des documentaires…). Pas l’ombre d’une école d’art dans mon parcours… À mon grand regret, maintenant ! Mais je me soigne depuis ma reconversion (assez) tardive à l’illustration.
Comment vous est venue cette manie de plier du papier ?
Par hasard, j’ai découvert grâce à ma fille le monde des papertoys, ces espèces de petits personnages qu’on télécharge sur internet, qu’on imprime et qu’on monte soit même. J’ai trouvé ça sympa et très rapidement j’ai trouvé extrêmement intéressant d’en créer moi-même, et d’utiliser cette technique pour faire de l’illustration. D’auteur en sciences, je suis devenu auteur-illustrateur jeunesse !
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la technique et le matériel que vous utilisez ?
Tout commence par des croquis pour bien appréhender ce que je dois faire en papier. Ensuite, pour chaque élément (objet ou personnage), je dessine toutes les pièces qui le composent, soit directement sur le papier, soit à l’aide d’un logiciel vectoriel ou 3D en fonction de sa complexité. Après, je procède au montage (découpage, pliage, collage), le cutter et la colle sont alors mes meilleurs amis.
Combien de temps cela vous prend-il pour réaliser toutes les illustrations d’un album, par exemple le dernier J’ai perdu un truc ?
C’est un travail relativement long avec des étapes bien distinctes : création des éléments en pièces détachées, montage en papier, mise en scène et séance photo, retouche photo si nécessaire. Au final, après ajustements divers, au moins 3 mois pour la partie illustration de ce livre.
Vous créez plusieurs versions d’un même personnage ? Je pense par exemple au héron de ce même album qui n’est pas toujours dans la même position.
Effectivement, je dois souvent monter un personnage dans différentes positions ou expressions. Parfois, pour gagner du temps, je leur fais des parties mobiles ou plus simplement, je modifie les ajustements du papier pour qu’ils s’adaptent à la scène.
Que deviennent ensuite vos créations qui ont servi pour les livres ?
La plupart des modèles ou des saynètes créés pour un livre poursuivent leur carrière dans des expositions qui présentent mon travail d’illustrateur. J’aime bien voir le plaisir dans les yeux des enfants (et des adultes) quand ils découvrent comment sont tous ces objets en vrai.
Est-ce que ce sont vos créations qui amènent l’histoire, pour vos albums, ou l’inverse ?
Les deux sont possibles. La petite fille de Compter avec un monstre et le hibou ont constitué le point de départ et je leur ai écrit une histoire sur mesure. Par contre, pour Le corbeau et les 3 poules le mécanisme a été inverse. Au départ, je voulais illustrer une fable de La Fontaine. Mais, j’y ai renoncé et j’ai décidé d’imaginer un prequel du Corbeau et du renard pour qu’on sache enfin d’où vient ce fameux fromage !
Comment est venue l’histoire de J’ai perdu un truc, on vous a offert un chapeau ridicule ?
Non, quoiqu’on m’ait déjà offert des trucs ridicules… Pour cette histoire, j’ai été inspiré par l’idée qu’on peut parfois faire preuve d’une très grande gentillesse, mais qu’on en soit très mal récompensé par très grande gentillesse aussi…
J’aimerais que vous nous disiez aussi quelques mots sur votre album L’imagier de Patrick sorti à La joie de lire
C’est le premier l’album que j’ai illustré et proposé à une maison d’édition. À cette époque (pas si lointaine), j’étais encore totalement ignorant du monde de l’édition jeunesse et, pour tout dire, j’aurais même été incapable de citer le moindre nom d’illustrateur jeunesse (shame on me*)… Toujours est-il que j’ai pris grand plaisir à créer tous ces petits objets un peu rétro qui composent l’imagier !
Créer des cahiers d’activités comme ceux que vous avez sortis chez Tutti Frutti, c’est un travail totalement différent ?
C’est effectivement un travail un peu différent car je dois créer des modèles en papier qui puissent être montés par tout le monde. Limite que je n’ai pas quand il s’agit d’illustrer un album.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, j’ai peu lu. Les livres étaient assez rares à la maison. Ensuite, j’ai rêvé sur quelques livres documentaires, sur les volcans ou la mer. C’était la grande période d’Haroun Tazieff ou du commandant Cousteau… Adolescent, j’ai vraiment découvert le plaisir de la lecture avec la science-fiction et en particulier avec les Chroniques martiennes de Ray Bradbury.
Et quel.le.s sont les illustrateurs.trices qui vous inspirent aujourd’hui ou dont le travail vous séduit tout simplement.
Plus le temps passe, plus je découvre la richesse et la diversité de l’illustration jeunesse. J’adore le trait et l’humour de Gilles Bachelet ou d’Olivier Tallec. Je suis fasciné par le travail au crayon de Florent Chavouet, le style épuré de Janik Coat ou les compositions de Béatrice Alemagna. J’ai aussi une tendresse particulière pour les illustrations de Véronique Mazière. Mais, je pourrais citer plein d’autres illustrateurs.trices dont j’apprécie beaucoup le travail !
Quels sont vos projets ?
Je suis en train de terminer un album sur les véhicules originaux (pour l’Atelier du Poisson Soluble). Un volumineux projet, mais passionnant ! J’ai aussi quelques petites choses parties rejoindre la pile des projets reçus par les éditeurs… Just wait and see**…
Une dernière question, si quelqu’un qui ne vous connaît pas lit cette interview et veut vous découvrir avec un seul de vos ouvrages, lequel lui conseilleriez-vous ?
J’avoue avoir un petit faible pour Le corbeau et les trois poules paru chez Points de Suspension.
*Honte sur moi
** Attendez et vous verrez
Retrouvez Patrick Pasques sur son blog : http://3pbook.blogspot.fr.
Bibliographie :
- J’ai perdu un truc, texte et illustrations, Points de suspension (2015).
- 14-18 La grande guerre, textes et illustrations, Tutti Frutti (2015).
- Princesses du monde, textes et illustrations, Tutti Frutti (2015).
- Les dinosaures, textes et illustrations, Tutti Frutti (2014).
- Le corbeau et les trois poules, texte et illustrations, Points de suspension (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Animaux de la savane, textes et illustrations, Tutti Frutti (2013).
- L’imagier de Patrick, texte et illustrations, La joie de lire (2013).
- Compter avec un monstre, texte et illustrations, Points de suspension (2012).
- Robots, textes et illustrations, Tutti Frutti (2012).
- Voitures de course, textes et illustrations, Tutti Frutti (2012).
- Les animaux de la ferme, textes et illustrations, Tutti Frutti (2011).
- Les animaux menacés, textes et illustrations, Tutti Frutti (2010).
Parlez-moi de… Marika
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur, son illustrateur.trice et/ou son éditeur.trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a plu. Cette fois-ci, c’est sur Marika (chroniqué ici), un très bel album qui parle d’une jeune fille sans papiers. Son auteure (Isabelle Wlodarczyk), son illustratrice (Hajnalka Cserháti) et son éditrice (Isabelle Ayme, des éditions Lirabelle) ont accepté de nous en parler. Hajnalka Cserháti est hongroise, mais elle parle le français. Nous vous proposons donc de découvrir ses propos en français.
Isabelle Wlodarczyk : Marika est une histoire que j’ai écrite pour Hajnalka. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais depuis plusieurs années, nous nous écrivons plusieurs fois par semaine. On s’envoie des tas de petites choses et on est devenues amies. Je fais très peu de binômes. C’est une aventure à part d’écrire pour quelqu’un. Celle-ci compte particulièrement.
Marika est un clin d’œil à cette amitié et aux valeurs qui nous animent. Deux petites filles séparées par les lois des grands, par les barrières et les murs qui s’érigent… comme celui qui a poussé récemment en Hongrie – là où Hajnalka réside.
Le texte est très court, très simple aussi, et j’espère, je crois, que cela fait sa force. Je l’ai écrit d’un seul jet, comme une évidence. Il y a un peu de mon enfance dans ce texte. Des parties de billes endiablées avec les copains, les souvenirs de jeux partagés. Des morceaux de vie qui ont nourri ma conception de l’amitié.
Les illustrations qu’Haknalka a réalisées en première intention étaient particulièrement enfantines. J’adorais leur naïveté et la tendresse qui s’en dégageait. Le texte s’adressait à des enfants plus grands et l’éditeur a donc souhaité des illustrations adaptées à la tranche d’âge des lecteurs. Hajnalka a réalisé un travail incroyable aux crayons de couleur. Quand j’interviens dans les écoles, je les montre toujours comme une prouesse !
Nous avons choisi d’envoyer ce projet aux éditions Lirabelle parce que nous savions qu’ils seraient sensibles au sujet délicat qui est abordé dans ce livre : la question des sans-papiers. Mais c’est aussi un choix esthétique : leurs livres sont particulièrement soignés et élégants. C’est enfin, un choix personnel : nous souhaitions partager ce projet, comme une aventure humaine, pas seulement, éditoriale.
En quelques mots :
Marika, comme une mer lointaine.
Un autre pays où je n’avais jamais mis les pieds et où je voudrais toujours rester.
Hajnalka Cserháti : Ce projet me signifie la tendresse, l’amitié, l’entre-aide, les liens qui me sont chers ; directement, mais indirectement aussi.
C’était mon premier projet d’album avec Isabelle, c’est grâce à Marika que j’ai eu son amitié, la liaison sans pareille avec la maison d’édition Lirabelle.
Pendant la création du story-board, de premières illustrations en âme j’étais petite fille près de ma petite amie enfantine que j’aimais beaucoup, mais en temps en temps je devais manquer son amitié. Les filles sont comme ça. Côté positif ; ces souvenirs douloureux m’ont aidé d’être à la place de nos protagonistes. Par la technique molle, par les couleurs douces accompagnées au noir, par les lumières, par les reflets d’automne je voulais visualiser l’ambiance d’une folle danse puis d’un triste vertige.
Au-delà de l’amitié nous devons aussi parler des thèmes plus actuels et plus durs.
J’ai toutes mes admirations qu’en France ces discours sont possibles et soutenus, qu’il y a des éditeurs qui ont la volonté, le courage de publier des livres pour sensibiliser les petits cœurs d’enfants. Je suis très heureuse d’avoir pu y contribuer avec mes crayons et avec mon nom hongrois.
Isabelle Ayme : Isabelle Wlodarczyk nous adresse régulièrement des textes.
À chaque nouveau texte, nous découvrons un peu plus sa sensibilité et apprécions son humanisme, son engagement citoyen, sa justesse de propos.
C’est particulièrement vrai avec Marika qui, au-delà du texte, fait écho à l’histoire de notre petite structure éditoriale.
En effet, Lirabelle est née d’un engagement citoyen, un acte de résistance culturel face à la montée de l’extrême droite depuis deux décennies dans la ville d’Orange.
Nous y avons milité, organisé des fêtes de la parole, rencontré des auteurs, des conteurs, et Lirabelle en est aujourd’hui le prolongement.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvions rester insensibles à ce récit. Il n’y a ici aucun opportunisme, même si l’actualité nous rattrape chaque jour.
Simplement le désir d’éveiller les consciences, de partager avec les plus jeunes, d’ouvrir peut-être modestement à notre niveau le débat.
On peut y voir la question des Roms, éternels exilés, celle des migrants, brûlante d’actualité, le choc des quotas face aux réalités de vies humaines, ou encore une simple amitié qui ne demande qu’à s’épanouir.
Marika, c’est tout cela et c’est aussi une aventure humaine, la rencontre entre trois univers, auteure-illustratrice-éditeurs, et au final l’espoir d’avoir semé une petite graine.
À l’heure où, d’élection en élection, la montée significative du vote pour les partis extrémistes se confirme partout en Europe, n’est-ce pas notre responsabilité d’adulte, de citoyen ?
![]() Marika d’Isabelle Wlodarczyk, illustré par Hajnalka Cserháti Sorti chez Lirabelle (2015) Chroniqué ici. |

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
J’adore le pliage papier. C’est superbe!
Merci pour cette découverte, c’est magnifique !!!!
Quel travail que celui de Patrick Pasques ! Chapeau.
Quant à Marika et ses deux mamans Isabelle et Ojni (c’est sous ce nom que je l’ai connu en même temps qu’Isabelle je crois) ! Un énorme bravo à elles et Lirabelle pour publier un album fort.
Des découvertes cette semaine encore ! Merci !!