Aujourd’hui, c’est Ulysse Malassagne que nous recevons. Le premier tome de sa BD Le collège noir m’a beaucoup plu (je vous en parle bientôt) et j’avais envie d’en savoir plus sur lui. Ensuite, c’est à l’auteure Coline Pierré que j’ai demandé de participer à la rubrique Coup de cœur/Coup de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Ulysse Malassagne
Comment est né Le collège noir ?
Avec Le Collège Noir, j’ai lié deux projets, celui de raconter mes souvenirs de collège, et celui de raconter une histoire de sorcellerie. J’ai toujours beaucoup aimé les nouvelles fantastiques de Lovecraft, ou de Maupassant. Les histoires de cette époque sont souvent écrites à la première personne, avec un souci d’authenticité qui pourrait les faire passer pour des anecdotes réellement vécues par leurs auteurs. L’idée se prêtait donc bien à être mélangée avec des éléments autobiographiques, d’autant que dans la région d’où je viens, encore très rurale, la sorcellerie et les lieux chargés de mysticisme sont encore présents.
L’histoire est assez terrifiante, vous aviez envie de jouer avec les peurs des enfants ?
Oui, je reste persuadé qu’à cet âge là, on ne demande qu’à être effrayé par des monstres, consciemment ou non. La peur et les traumatismes que les enfants rencontrent dans les histoires les font grandir. Bien sûr il faut faire attention à la manière dont on montre des images violentes et effrayantes, mais je crois qu’un enfant est capable d’analyser et de digérer bien plus qu’on ne veut le croire. Dans Le Collège Noir, même s’ils vivent des choses dures et terrifiantes, les jeunes héros sont toujours positifs. Ils surmontent les épreuves avec courage et finissent toujours par triompher. De leur point de vue, ils vivent les événements presque comme un jeu. Je pense que cet aspect me permet de montrer des choses horribles et terrifiantes tout en rappelant aux lecteurs les plus jeunes que ce ne sont que des histoires pour rire et que tout va bien.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Comme pour toutes mes BD, je dessine mes planches à la main, avec des plumes et de l’encre de Chine, puis je les scanne et je les colorise sur un ordinateur. Pour le prochain livre, ce n’est pas moi qui ferais les couleurs, je vais travailler avec Walter, un coloriste très talentueux.
Parlez-nous de votre parcours
J’ai grandi dans les volcans d’Auvergne, une région encore assez sauvage et rurale, et j’ai passé mon collège dans un petit collège de village au pied des montagnes. Tout ça a bien évidemment inspiré le collège de ma BD. À 18 ans, je suis monté à Paris pour faire une école de dessin animé.
Depuis je travaille à la fois dans la BD et dans le cinéma d’animation.
Je ne vis plus à Paris, c’est trop grand et peuplé, mais j’y retourne régulièrement pour travailler.
Le reste du temps, je suis plutôt nomade, je reste rarement plus de quelques semaines au même endroit.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Je n’ai pas lu beaucoup de livres, mais je dévorais des bds et des films.
C’était très varié, Calvin et Hobbes, Donjon, Corto Maltese, Dragon Ball… J’ai lu de tous les styles.
Ma bd préférée reste Bone, de Jeff Smith, elle m’a marqué profondément et à eu une influence énorme sur mon travail.
Quelques mots sur vos projets ?
Mon projet actuel et de développer mon blog perso, sur lequel je mets des BD autobiographiques et des carnets de voyage. C’est ce que j’aime le plus faire, mais c’est aussi ce qui me rapporte le moins, et j’ai du mal à dégager du temps pour y travailler. À côté de ça, je continue de publier Le Collège Noir dans le magazine Géo Ado, et à travailler sur des dessins animés au sein du studio que j’ai monté avec des amis, le Studio La Cachette.
Bibliographie :
- Le collège noir, 1 tome (série en cours), Grafiteen (2016).
- Le jobard, illustration d’un roman de Michel Piquemal, Milan (2015).
- Kokekokko, collectif, Issekinicho (2014).
- Kaïros, 3 tomes (série terminée), scénarios et dessins, Ankama (2013-2015).
- Jade, scénario et dessins, Glénat (2013).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Coline Pierré
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur.e, illustrateur.trice, éditeur.trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché.e, ému.e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il.elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé.e. Cette semaine, c’est Coline Pierré qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Je n’aime pas trop cloisonner, je crois. Et puis surtout, je ne peux pas m’empêcher de dire du bien sans dire un peu de mal. Et inversement. Alors au lieu de proposer un coup de cœur et un coup de gueule, voilà deux coups de cœule formule 2 en 1.
Depuis quelques années, il existe un dispositif qui permet aux écrivain.e.s (même celles et ceux qui ne gagnent pas beaucoup d’argent – c’est un pléonasme – ou qui ont une autre activité à côté) de suivre des formations professionnelles. Cela passe par un organisme de financement : l’AFDAS. Peu d’auteurs.trices en profitent (beaucoup ne sont même pas au courant) et c’est bien dommage. Je voudrais leur dire combien c’est formidable de se retrouver à nouveau sur les bancs de l’école (façon de parler) pour développer sa pratique ou apprendre des choses totalement nouvelles.
L’an dernier, j’ai suivi une formation au chant (longue : une centaine d’heures). J’ai rencontré trois profs, une dizaine d’autres élèves aux parcours très différents, j’ai progressé, j’ai appris à m’écouter (me supporter), j’ai pris confiance, avec à la fois l’enthousiasme de la découverte et la peur de la nouveauté.
Apprendre un nouvel art, même pour soi, même si on n’en fait rien, je crois que ça enrichit toujours son propre travail. Ça nous décale, ça nous fait toucher à d’autres formes de création (plus manuelles, plus corporelles, ou plus collectives par exemple), et j’ai l’impression que ce que j’ai appris infuse désormais dans ce que j’écris. Je ne suis pas devenue chanteuse pour autant, mais j’ai envie de faire des chansons pour enfants, des lectures musicales, d’écrire sur la musique. (C’est la belle malédiction des auteurs.trices : dès que quelque chose nous intéresse, on a envie d’écrire un livre qui en parle.)
En tout cas, j’ai envie de dire à tou.te.s les écrivain.e.s et les illustrateurs.trices : suivez des formations, approfondissez votre pratique, apprenez des choses nouvelles, même des choses très étranges comme parler des langues qui ne sont comprises que par 63 personnes dans le monde ou sculpter des momies en papier mâché (on peut aussi apprendre des choses utiles, mais j’aime l’idée de ce qui est apparemment inutile – parce qu’on finit toujours par en faire quelque chose). C’est joyeux, c’est riche d’enseignement.
Et puis à une époque où les artistes sont de plus en plus précaires, c’est un droit dont il faut profiter tant qu’on peut, avant qu’il soit retiré sous prétexte de coupes budgétaires.
Enfin, c’est aussi une manière de rejeter le cliché de l’écrivain.e solitaire et auto-inspiré.e, qui n’a jamais eu besoin d’apprendre parce que l’art ça ne s’apprend pas, parce que l’inspiration tombe du ciel et que le talent est inné, et qui de toute façon ne sait rien faire d’autre. On retrouve une forme d’humilité quand on débute, quand on a besoin des autres pour s’en sortir. On se rappelle qu’on a été un jour tout petit devant ce qu’on sait faire aujourd’hui, on se rappelle qu’on a encore beaucoup à apprendre et qu’on n’en finit jamais de s’améliorer. Ça fait du bien.
Quand on est écrivain.e et qu’on travaille chez soi, ce n’est pas toujours facile de séparer sa vie familiale de sa vie professionnelle. Ça demande un effort de se mettre au travail plutôt que de feuilleter des livres dans sa bibliothèque, prendre cinq un café sur sa terrasse, écrire des bêtises sur Facebook, gratouiller sa guitare ou son chat. Mais c’est un lieu commun. Et puis surtout on a choisi ce métier, alors on s’accommode plutôt bien de cette situation.
En revanche, dès qu’on a des enfants, la situation se complique. Je crois qu’en France, il y a des places en crèche pour moins de 20 % des enfants. Le taux de chômage avoisine les 10 %, mais au lieu de construire des crèches, on force des parents à prendre des congés parentaux parce qu’ils n’ont pas trouvé de mode de garde satisfaisant. C’est un peu rageant, surtout quand on sait que parmi les critères potentiels de sélection, il y a le fait de harceler une crèche ou de contacter la bonne personne à la mairie. En revanche, quand vous êtes artiste (ou freelance), on ne voit pas pourquoi vous avez besoin d’une crèche puisque vous passez votre journée à la maison. C’est comme ça qu’on se retrouve à tenter d’écrire des bribes de phrases à côté d’un enfant qui escalade une bibliothèque, mange un savon, tartine les murs de compote ou essaie de taper sur notre clavier.
Alors maintenant qu’on a trouvé une crèche, j’envoie un petit coup de cœur aux super puéricultrices de notre crèche, patientes et attentives, sans qui je n’aurais plus rien écrit depuis un an et demi !
Bibliographie :
- La Folle rencontre de Flora et Max, roman coécrit avec Martin Page, l’école des loisirs (2016).
- Ma fugue chez moi, roman, Le Rouergue (2016), que nous avons chroniqué ici.
- L’immeuble qui avait le vertige, roman, Le Rouergue (2015).
- N’essayez pas de changer, le monde restera toujours votre ennemi, roman coécrit avec Martin Page, autoédité (2015).
- Petite encyclopédie des introvertis, roman, autoédité (2015).
- Apprendre à ronronner, roman illustré par José Parrondo, l’école des loisirs (2013).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !