J’ai eu un très gros coup de cœur sur les illustrations de Mona Lisa — Ma vie avec Léonard qui vient de sortir chez Amaterra, j’ai eu envie d’en savoir plus sur celui qui les a réalisées, Pierre-Emmanuel Lyet. Il a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, je voulais remettre en avant un ouvrage essentiel, fort, beau, Enfants du monde : Stop aux violences ! sorti chez Actes Sud Junior. Avec son éditrice, son autrice et son illustrateur on revient sur cet ouvrage que toutes les bibliothèques et tous les CDI devraient avoir. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Pierre-Emmanuel Lyet
Vous venez d’illustrer (superbement) Mona Lisa — Ma vie avec Léonard, j’aimerais que vous nous parliez de ce bel album.
Il s’agit d’un projet qui a été proposé par Eva Bensard aux Éditions Amaterra. Eva a écrit ce texte qui est à la fois léger, drôle et décalé. Quand Amaterra me l’a proposé, j’y ai vu une love story entre Mona Lisa et Léonard de Vinci et j’ai trouvé ça très amusant… et émouvant. C’est une très belle idée de considérer que le tableau est vivant et qu’il a ses propres émotions, son propre point de vue. C’est d’ailleurs le concept de la collection L’autre Histoire chez Amaterra : regarder un évènement de l’Histoire du point de vue d’un détail ou d’un objet… Pour un illustrateur, c’est un concept très stimulant !
Avez-vous fait des recherches pour ce livre ?
Nous nous sommes rencontrés avec Eva et nous avons discuté. Elle m’a parlé de beaucoup de choses car elle est très calée sur le sujet et sur l’histoire de l’art en général. Elle m’a aussi donné beaucoup de documentation, ce qui m’a permis de comprendre des choses que je ne savais pas, comme par exemple que la Joconde est un tableau inachevé. J’étais cependant plutôt à l’aise car j’ai toujours été fasciné par Léonard de Vinci et son œuvre : ses peintures sont mystérieuses, il y a toujours quelque chose de magique, qui dépasse un peu l’art.
Quand on traite un sujet historique, il faut faire attention aux anachronismes et cela peut être très pointu. Eva avait vraiment ce rôle de consultante historique. Par exemple, lorsque Léonard découvre le plafond de la Chapelle Sixtine, je ne savais pas que la fresque du Jugement dernier avait été réalisée dans un deuxième temps… et qu’il n’avait pas pu la voir ! j’ai dû gommer un peu…
Après, il y a eu aussi des hasards heureux : en septembre dernier je me baladais à la Fête de l’Huma et je vois un pavillon du Clos Lucé qui donnait des brochures sur la cour de François premier : j’y ai récupéré un tas d’informations sur les vêtements, ce qui n’est pas toujours facile à trouver.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Pour le dessin, j’utilise des crayons de couleur essentiellement et je dessine sur des grands carnets Moleskine. Les crayons, j’en glane un peu partout, sans avoir de marques de prédilection. Les pigments ne sont jamais les mêmes et j’adore travailler la couleur comme si c’était de la peinture, en mixant des teintes. Je me sers aussi d’un iPad pour faire les esquisses ce qui permet d’être très rapide, mais après c’est du vrai, du dur. J’avais besoin de revenir à quelque chose d’organique, sur papier, qui prend en compte la lumière.
Vous aviez aussi travaillé sur le projet Pierre & le Loup, dans un « style » totalement différent, pouvez-vous nous en parler ?
Il s’agit d’une autre « écriture », qui se sert de la typographie pour dessiner des personnages ou des décors. La typographie m’a toujours fasciné et je m’en sers comme du sampling en musique : je prends des lettres et je les combine, les modifie légèrement, je crée des associations de formes et de sens… à la fin ça crée un morceau, comme en musique. C’est un exercice très différent du crayon, que je qualifierais peut-être de plus cérébral, alors que mon travail au crayon de couleur est clairement guidé par une émotion avant tout.
Parlez-nous de votre parcours
J’ai fait les Arts Décoratifs de Paris et je suis passé par la section Cinéma d’Animation et Design Graphique. Ce que j’aimais aux Arts Décos, c’était la possibilité de tout faire et tout expérimenter, c’était génial. J’ai eu mon diplôme avec mon film de fin d’études, Parade, qui a très bien marché en festival. Suite à ça j’ai travaillé pendant dix ans à réaliser des films de commandes où j’expérimentais différentes formes animées, comme la typographie avec Le droit de suite et cela m’a amené au projet de Pierre & le Loup pour lequel j’ai réalisé un film, une application et des livres chez Hélium. L’appli a remporté le Grand Prix à Bologne, c’était super ! La même année j’ai réalisé un court métrage qui s’appelle La Nuit Américaine d’Angélique qui a été nommé aux Césars.
J’aime beaucoup l’idée d’être touche-à-tout et ne pas avoir qu’une casquette — j’envisage d’ailleurs souvent mes travaux comme un directeur artistique.
L’année dernière, on m’a proposé d’exposer au Havre pour le Festival Une Saison Graphique et ce fut pour moi l’occasion de mettre en scène tout mon travail, tout en expérimentant de nouvelles choses comme la réalité augmentée ou le design en créant des objets… Il me semble qu’apprendre de nouvelles choses permet de progresser partout ailleurs. L’expo s’appelait Dessinons l’invisible ! et j’ai pu en montrer une partie au Centre Pompidou en septembre, c’était assez fou et inattendu !
Depuis quelques années je me suis remis au dessin. Je suis parti en voyage à New York et j’avais besoin d’une technique facilement transportable. Le crayon de couleur s’est imposé tout seul. J’ai continué et j’ai eu la chance d’exposer mon travail à la Slow Galerie à Paris qui a déclenché des propositions de la presse et de l’édition. Ça s’est fait assez naturellement et je continue à travailler sur des projets d’animation en parallèle.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Ma fille vient d’avoir un an et cela me permet de redécouvrir avec joie tous les classiques qui m’ont marqué enfant, comme Porculus d’Arnold Lobel, Michka illustré par Feodor Rojankovsky ou Le Plus Grand Livre du Monde ! de Richard Scarry… Je me rends aussi compte de l’influence de dessinateurs comme Quentin Blake et Sempé sur mon travail.
Sinon je lisais beaucoup Astrapi, et j’étais fan des aventures de Picsou dessinées par Carl Barks ou Keno Don Rosa. C’est avec eux et Hergé que j’ai compris la notion de « style » et que l’on pouvait raconter des histoires très différentes grâce au dessin. Je piquais aussi les Agrippine de mon frère… j’adorais le dessin de Bretécher, ça me faisait bien marrer.
Des ouvrages en préparation ?
Oui, j’ai illustré un livre qui s’appelle Mon Chat Sauvage écrit par Yann Coridian aux Éditions du Neuf chez l’École des Loisirs, il sort le 25 mars. Les originaux sont d’ailleurs exposés avec ceux de Mona Lisa dans une exposition autour de mon travail qui a lieu à la Médiathèque de Saint-Herblain près de Nantes. C’est un très joli récit, très touchant.
Je termine aussi actuellement un autre roman jeunesse pour le Seuil qui s’intitule Quand les escargots montent au ciel, écrit par Delphine Valette. C’est aussi un super texte, qui aborde avec beaucoup de justesse des sujets complexes. Il sortira à la rentrée de septembre je crois.
J’ai moi-même aussi des idées pour des albums… à suivre !
Bibliographie :
- Mona Lisa, ma vie avec Léonard, illustration d’un texte d’Eva Bensard, Amaterra (2020).
- Le Retour du loup, illustration d’un texte de Nicolas Vannier, avec Gordon, Hélium (2016).
- Pierre & le loup, illustration d’un texte de Sergueï Prokofiev, avec Gordon, Hélium (2014).
Retrouvez Pierre-Emmanuel Lyet sur son site : https://pierre-emmanuel-lyet.fr.
Parlez-moi de… Enfants du monde : Stop aux violences !
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Enfants du monde : Stop aux violences ! que nous revenons avec Isabelle Pehourticq, son éditrice, Cécile Benoist, son autrice, et Olivier Charpentier, son illustrateur.
Isabelle Pehourticq, éditrice :
Ce projet est arrivé dans mes mains par l’intermédiaire d’une personne de la direction d’Actes Sud qui connaissait l’ONG Vision du monde. J’ai rencontré la responsable de la communication qui souhaitait une publication de qualité qui permettrait d’aborder les thématiques proches de l’action de Vision du Monde en s’adressant à un large public.
Nous avons réfléchi ensemble à la structure du livre : une dizaine d’histoires vraies racontées sur le mode de la fiction. Chaque histoire devait représenter une question particulière : excision, violence familiale, enfants-soldats, etc. dans un pays particulier.
J’ai contacté une autrice-journaliste avec qui j’ai déjà souvent collaboré, Cécile Benoist. Celle-ci a recueilli les histoires vraies et les a écrites et légèrement adaptées. Elle les a également complétées avec des notions plus documentaires. Nous avons ensuite cherché un illustrateur en ayant en tête des images qui ne seraient pas strictement réalistes et redondantes en violence, celle-ci étant déjà bien présente dans les récits. Olivier Charpentier a trouvé le « ton » juste et une gamme de couleurs lumineuse qui donne une note d’espoir pendant la lecture. C’est un livre dont cette lecture par les enfants mérite d’être accompagnée par les parents ou les éducateurs car les situations racontées sont bouleversantes.
Cécile Benoist, autrice :
C’est Isabelle Pehourticq, mon éditrice, qui m’a contactée pour participer à ce projet. Parler aux enfants des violences qu’on fait subir à des enfants, à l’occasion des 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant : l’idée m’a touchée, forcément. Mais je tremblais déjà à l’idée de tout ce que j’allais lire pour me documenter. Et puis comment écrire sur ces violences avec sensibilité et justesse, sans être froide ou distante ?
Le livre était un projet sollicité par l’association Vision du Monde. Leurs équipes sur le terrain dans différents pays collectent régulièrement des témoignages d’enfants victimes de violence. Leur lecture m’a bouleversée. Des enfants, des adolescent·es, qui racontent avec leurs mots ce qu’ils et elles ont subi, comment ils et elles ont continué à avancer malgré ça. Je n’étais pas naïve sur le sujet, mais ces textes bruts, lourds de réalisme… impossible de les lire à la suite, j’avais besoin de souffler entre chacun. Parfois plusieurs jours. Mais ils étaient toujours là, dans un coin de la tête, du cœur, des tripes…
Et les questions me taraudaient. Comment allais-je pouvoir rédiger ce livre ? De quelle manière utiliser les paroles recueillies sans trahir celles et ceux qui les avaient énoncées ? Sous quelle forme écrire ce qu’aucun enfant ne devrait subir ? Il faudrait mettre en avant la force de la résilience, sans occulter les aspects les plus durs — je respecte trop les jeunes lecteurs et lectrices pour cela.
Mon éditrice m’avait déjà mise sur la piste en me suggérant de restituer les différentes formes de violences à travers des portraits d’enfants. Alors je m’y suis attelée. Imprégnée des témoignages et documentée sur les situations socio-politiques, j’ai commencé à écrire. J’ai reconstitué des fils manquants, j’ai imaginé des mises en scène, j’ai parfois créé un portrait en utilisant plusieurs témoignages, en essayant de toujours veiller à garder une sensibilité respectueuse de celles et ceux qui avaient eu le courage de parler de leur vie et de celles et ceux qui liraient ces textes.
Olivier Charpentier, illustrateur :
Lorsque les éditions Actes Sud m’ont proposé ce projet, je suis resté un moment à me demander quelles images pouvaient accompagner des témoignages si dramatiques, et dont la lecture m’avait profondément remué. J’ai eu besoin de savoir à quel public le livre s’adressait, et dans quelles conditions de lecture, accompagnée par exemple, il allait être reçu. Il était exclu pour moi de représenter en image toutes les douloureuses expériences décrites dans les témoignages, aussi j’ai tenté de trouver pour chacun des personnages une possibilité de lumière dans leur obscurité. Soit dans des moments heureux de leur passé, soit dans des moments où ils ont pu reprendre pied et retrouver espoir en l’humanité, en un avenir possible. J’ai donc illustré des instants fugaces où les choses ont pu être positives, par des images dépouillées de tout décor. Une grosse part de mon travail a également consisté à créer par la gamme de couleurs une ambiance particulière à chaque cas pour évoquer des latitudes différentes sans avoir recours à un environnement anecdotique.
Enfants du monde : Stop aux violences ! de Cécile Benoist, illustré par Olivier Charpentier sorti aux éditions Actes Sud Junior (2020), chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !