Lire les albums de Renaud Dillies, c’est s’offrir une part de poésie dont on peut ensuite difficilement se passer. Découvert avec le sublime Abélard (en collaboration avec Régis Hautière), il fait désormais partie des auteurs qu’il me tarde de lire à chaque nouvelle publication. La plupart de ses albums, hautement mélancoliques et terriblement nostalgiques mettent en scène des animaux tourmentés par leurs liens d’amitié ou d’amour dévastateurs qui ne sont pas sans rappeler ces histoires douloureuses qui ont un jour fait battre furieusement nos cœurs.
L’interview du mercredi : Renaud Dillies
Quel est ton parcours avant de vivre la publication de ta première BD ?
Je suis passé par l’école Saint-Luc (en Belgique) pour mes études secondaires puis les beaux-arts en supérieur. En tout, huit années d’études artistiques, cela m’a permis d’aborder sérieusement la question du dessin qui m’a depuis toujours passionné. C’est aux Beaux-Arts de Tournai, dans la section BD et Illustration que mes envies se sont précisées car si le dessin me plaisait beaucoup, l’envie de raconter des histoires se faisait plus prenante encore et quelques années plus tard est arrivé Betty Blues, un récit qui me taraudait tant dans la tête que je me suis mis à l’exécuter d’un seul jet, sans découpage, un peu comme pour m’en débarrasser, beaucoup pour me prouver à moi-même que je pouvais être capable de réaliser un album au scénario et au dessin, seul… Et apparemment, malgré quelques disgrâces — oui puisqu’aujourd’hui cet album déjà vieux d’une quinzaine d’années continue d’exister — des personnes viennent régulièrement m’en parler encore comme si cette histoire était sortie hier… C’est vraiment touchant.
Quelles sont les lectures qui ont marqué ton enfance/adolescence ?
En BD, ceux de mes parents tout d’abord avec les classiques Tintin, Quick et Flupke, les hebdomadaires Tintin et Spirou… Puis ceux de mes grands frères Charlie, Pilote, Fluide Glacial, À suivre… Je me souviens d’avoir lu des Corto Maltese en me disant : « Je ne comprends pas tout, mais qu’est-ce que j’aime bien ! ». Bref, en termes de BD, ma nourriture fut très riche. Aussi, une grande tendresse pour les contes de Grimm à Andersen etc.
Petite anecdote… Je me souviens, pour un anniversaire je crois, mes parents m’ont demandé ce que je désirerai comme cadeau : « L’intégrale d’Arthur Conan Doyle, de Molière et de Jules Verne… plutôt qu’un 45t. de X-Or le shérif de l’espace… » (Véridique !) Ce n’est que plus tard que je découvris la poésie, Shakespeare et les autres… Et pour ceux qui me connaissent aujourd’hui, mon amour immodéré pour les écrits de Fernando Pessoa.
Quelques mots sur ta série jeunesse publiée aux Éditions de la Gouttière ?
C’est par l’intermédiaire de Régis Hautière, qui m’avait proposé d’envoyer un projet à « la Gouttière » dont je connaissais peu la production mais appréciais déjà beaucoup leur ligne éditoriale jeunesse. Le format à l’italienne m’a tout de suite séduit et rapidement j’ai eu l’idée de raconter l’histoire, sous forme de conte, d’un épouvantail incapable d’effrayer les oiseaux. Alors que j’étais en train de travailler sur le découpage, une personne de mon entourage m’a demandé sur quoi je bossais et alors que je pensais lui répondre que c’était l’histoire d’un épouvantail émouvant parce qu’il n’effrayait personne, j’ai dit : « C’est l’histoire d’un émouvantail… ».
Et voilà… Un lapsus, et le personnage eut un nom : l’Émouvantail.
Nombreux sont tes albums profondément liés à la musique. Un titre (ou quelques titres) à suggérer pour accompagner la lecture de l’Émouvantail ?
Il est vrai que, majoritairement dans ma production, on y retrouve des musiciens. L’Émouvantail est l’un des rares, et peut-être même le seul, à ne pas l’être. (Ceci dit, je crois qu’à l’avenir, il va s’y mettre…)
Difficile de s’arrêter sur tel ou tel titre musical tant j’entends une musique différente pour chaque séquence… Mais s’il fallait ne garder qu’un seul titre — qui pour moi est un chef-d’œuvre — pour accompagner la séquence où L’Émouvantail regarde la lune, sans conteste, ce serait An Ending (Ascent) de l’album Apollo de Brian Eno.
Bien que tu portes souvent la double-casquette du scénariste et du dessinateur — en dehors de tes collaborations avec Régis Hautière par exemple — y a-t-il des scénaristes avec lesquels tu aimerais/rêverais de travailler ?
Le souci est qu’aujourd’hui, on trouve énormément de dessinateurs et trop peu de scénaristes qui sont le plus souvent très demandés au point que, même s’ils sont doués et prolixes, doivent enchaîner scénario sur scénario parfois même au détriment de la qualité, ou tout du moins d’un manque de profondeur. De ce fait, difficile pour moi d’aller vers eux tant je sais qu’en général ils préfèreraient, s’ils le pouvaient, élaguer dans leur production plutôt que continuer à empiler collaboration sur collaboration. Maintenant, et pour répondre à la question, cela pourrait être n’importe qui, mais pas n’importe quoi… Pourvu que l’histoire lui tienne à cœur, ce serait déjà un bon point de départ…
Est-il plus facile pour toi de raconter des histoires à un lectorat adulte ou enfant ?
Pour moi, je dirais que c’est la même chose, si ce n’est peut-être qu’avec L’Émouvantail je dois faire un peu plus attention encore à la clarté en essayant à la fois de rester simple et tout en gardant malgré tout de la profondeur. C’est compliqué de rester simple parce qu’il est tellement simple de faire compliqué.
Des projets en tête après L’Émouvantail ?
Un autre Émouvantail… Un troisième opus sort en mars et s’intitulera Un… Deux… Trois… Soleil !
Avec Régis Hautière, après Abélard et Alvin, nous allons remettre le couvert et c’est en cours d’écriture… Puis d’autres choses vont venir, mais bon, gardons la surprise d’autant que ce n’est pas pour tout de suite…
Bibliographie sélective :
- L’Émouvantail, scénario et illustration, La Gouttière (2018-2019) que nous avons chroniqué ici.
- Alvin, illustration d’un scénario de Régis Hautière, Dargaud (2015-2016).
- Abélard, illustration d’un scénario de Régis Hautière, Dargaud (2012).
- Bulles et nacelles, scénario et illustration, Dargaud (2009).
- Sumato, scénario et illustration, Paquet (2004).
- Betty Blues, scénario et illustration, Paquet (2003).
Ce livre-là… Soizic Bihel
Ce livre-là… Un livre qui touche particulièrement, qui marque, qu’on conseille souvent ou tout simplement le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense « un livre jeunesse ». Voilà la question qu’on avait envie de poser à des personnes qui ne sont pas auteur·trice, éditeur·trice… des libraires, des bibliothécaires, des enseignant·e·s ou tout simplement des gens que l’on aime mais qui sont sans lien avec la littérature jeunesse. Cette fois, notre invitée est Soizic Bihel, libraire jeunesse à la Librairie Pages d’encre à Amiens qui a choisi de nous partager son dernier coup de cœur pour un roman fraîchement primé au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, Sans foi ni loi, de Marion Brunet.
Lorsque Ab Stenson le prend en otage, Garett, fils d’un pasteur aussi pieux que violent, ne se doute pas que cette femme hors-la-loi (qu’il prend d’abord pour un homme) va changer sa vie pour toujours. En faisant de lui son prisonnier, la jeune femme va lui offrir le plus précieux des cadeaux. Mais ce cadeau a un prix. Et quelqu’un va devoir payer…
Un western un peu cru, rugueux et poussiéreux écrit par la fantastique Marion Brunet !
Soizic Bihel est libraire à la librairie Pages d’encre, 1 Rue des Chaudronniers à Amiens. Retrouvez cette librairie sur Facebook.
J’aime les gens qui doutent, aller voir ailleurs si j’y suis, oublier le temps dans une librairie, boire du vin et du thé, entretenir mon goût démesuré pour les petites listes… Amoureuse du cinéma de Miyazaki, des chansons de Pierre Lapointe, des pinceaux de Mélanie Rutten, des BD de Renaud Dillies, de la poésie de Vinau, des livres illustrés et des romans qui bousculent avec de jolis mots.
1 thoughts on “Les invité·e·s du mercredi : Renaud Dillies et Soizic Bihel”