Et nous revoilà pour une nouvelle saison des invités du mercredi, rubrique que vous êtes nombreux à aimer. Comme les deux années précédentes, chaque mercredi on continuera cette année à vous proposer de mieux connaître les auteurs, illustrateurs et autres acteurs de la littérature jeunesse par le biais d’une interview. Comme l’année dernière quatre “bonus” en alternance : Le coup de coeur / coup de gueule, En vacances avec, Parlez moi de… et La chronique de… (dont le principe sera légèrement modifié) viendront compléter l’interview. Pour commencer cette nouvelle saison, un auteur dont un livre m’a bluffé cet été, Isabelle Wlodarczyk. J’avais envie d’en savoir plus sur elle et qu’elle nous parle un peu du roman en question, La petite disparue. Ensuite l’auteur d’un des plus beaux romans sortis ces derniers mois, Là où je vais, Fred Paronuzzi viendra nous parler de ses coups de coeur et coups de gueule ! Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Isabelle Wlodarczyk
Quel a été votre parcours ?
J’ai grandi dans un quartier de banlieue pas vraiment chic, et je me suis accrochée à tout ce que l’école a bien voulu me donner : j’y ai puisé l’envie d’apprendre et la nausée des HLM et des inégalités. À l’époque, très naïvement, je m’exprimais avec un pinceau et je peignais dans l’espoir de devenir artiste. Au final, bac en poche, j’ai fait des études de philo et de russe qui ne m’ont pas donné de métier, mais qui m’ont beaucoup apporté. J’ai passé l’agrégation de lettres et enseigné le français et le théâtre. On ne peut pas dire que j’étais fan de l’institution. Alors j’ai changé de boulot et j’ai décidé d’écrire à plein temps !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Le premier « roman » que j’ai terminé s’appelait Mickey et son bolide, j’étais très fière de l’avoir lu en entier, je ne sais pas du tout de quoi ça parlait ! Enfant, j’ai beaucoup pleuré en lisant Croc Blanc, je l’ai relu souvent en cachette, le soir sous ma couverture. En primaire, j’aimais beaucoup les BD et tout ce que je trouvais en farfouillant dans la bibliothèque de ma sœur — même si je préférais jouer dehors au ballon plutôt que de bouquiner ! Au collège, j’ai été bouleversée par Ruy Blas, puis j’ai découvert Dostoïevski et je suis tombée en amour avec son œuvre que j’ai dévorée pendant des années (c’est très snob, dit comme cela). En terminale, avec la philo, j’ai commencé à lire plus de philo que de littérature, surtout la philo du 17ème que j’aime toujours autant.
Comment est né La petite disparue ?
La petite disparue est un roman né d’un métier : j’adore les noms de vieux métiers. Une petite écosseuse de pois. C’est aussi un roman qui parle de la relation d’un père à sa fille, un thème qui me touche particulièrement.
C’est typiquement le genre de texte qui m’est venu au fil de la plume, sans réfléchir. Assez instinctivement. Sauf la fin : pendant six mois, je l’ai laissé reposé, parce que j’hésitais entre deux trames narratives possibles pour la dernière partie du texte. L’idée du « papier brouillard » a surgi en écrivant.
Je me suis vraiment régalée en travaillant sur ce texte. Et je suis ravie qu’Oskar l’ait publié. Ce livre a été mon premier « oui » d’un éditeur jeunesse, même s’il n’est pas sorti le premier.
Quelles ont été vos inspirations ?
Le texte doit beaucoup au roman picaresque. Certains titres de chapitres sont proches de ce qu’on peut trouver dans Don Quichotte, ou chez Scarron : « Chapitre dans lequel il ne se passe rien ». (sans le génie de Don Quichotte et de Scarron, évidemment).
Le personnage de Paolo s’inspire des Larmes de l’assassin d’Anne-Laure Bondoux, dont j’aime particulièrement la plume. C’est un clin d’œil à ce personnage au visage acéré.
Le livre est aussi directement lié à un roman que j’ai écrit précédemment (et qui cherche son éditeur), un roman plus long, pour les ados, qui parle aussi de « papier brouillard », et dans lequel on retrouve exactement le même univers, celui de mots du 17ème (puisé dans le dictionnaire de Furetière qui est ma Bible). Il s’appelle L’allée du bout du monde et fonctionne par tableaux allégoriques.
J’ai été étonné de ce mélange de très réel (comme le nom des villes par exemple) et le côté purement fantastique (comme l’araignée qui parle). N’avez-vous pas eu peur de dérouter ?
J’ai pris toutes les libertés en effet avec ce roman (c’est ce que j’aime dans le roman, l’absence de forme). J’apprécie les romans un peu farfelus qui déroutent par leurs trames narratives, du roman médiéval en passant par le picaresque. Mais honnêtement, je n’ai pas vraiment réfléchi, tout cela est un univers spontané, un peu fou qui me correspond bien… Le texte est ancré dans une certaine réalité, il y a peu d’éléments sur l’époque à laquelle se déroule le texte, le lieu est plus précis, même si je me suis amusée à donner des noms de rues d’une autre ville. Le texte est assez proche du conte, avec des sorcières, des sorts, et des ressorts propres au conte. L’araignée parle et fait basculer le texte dans le fantastique : je tenais absolument à ce que ce personnage ait un rôle directeur dans l’ouvrage. L’araignée est une métaphore (appuyée) de l’écriture, et le livre se tisse au fil de ses hésitations. C’est une histoire qui s’écrit aussi devant les yeux du jeune lecteur. Le papier brouillard, à la fin, fait passer l’écrit des pattes de l’araignée, aux mains de la petite fille. Tout un symbole !
J’ai testé sur ma fille qui n’a pas été gênée à la lecture. (je ne sais pas si c’est rassurant)
J’ai été très frustré que cette aventure ne soit pas plus longue, verrons-nous une suite ?
C’est adorable ! Je suis en train d’écrire ce qui précède… La vie de Jean et de son double ! On peut appeler cela une suite… ou pas !
Quels sont vos projets ?
Une foultitude ! Tout d’abord les textes qui paraîtront dans les mois à venir : Les Bleuets du dragon bleu, admirablement illustré par Minji Lee-Diebold, aux éditions Amaterra. C’est un album qui parle d’un dragon peu ordinaire. Son goût pour les bleuets m’a permis de travailler autour des représentations de la couleur bleue.
Viendront ensuite des romans chez Oskar (Surtout ne prends pas froid, qui parle d’une petite fille déportée) (Les cuisines de Barbe-Noire un roman d’aventures à quatre mains), de la philo chez le même éditeur, — c’est passionnant à écrire aussi les documentaires — et des albums très différents les uns des autres, chez d’autres éditeurs.
J’aime aussi construire des projets en binômes, surtout avec Thanh Portal et Hajnalka Cserhàti qui sont pour moi de vraies rencontres (j’aime aussi mes autres binômes, qu’ils ne se vexent pas). Nos livres sortiront surtout l’année prochaine.
Enfin, je travaille sur un projet de roman qui s’appelle le Fils de l’ours et qui prend au fil des mois, des formes différentes.
Bibliographie jeunesse :
- Renardot et le souvenir volé, album illustré par Thanh Portal, éditions du Caïman (2013).
- Sur mon arbre perché, album illustré par Thanh Portal, Edition Vert Pomme (2013).
- Cœur de hibou, album illustré par Anne-Lise Boutin, Rue du monde (2013).
- La petite disparue, roman, Oskar Editeur (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Pirates et corsaires pour réfléchir, documentaire de philosophie co-écrit avec Christine Richard, Oskar Editeur ( 2012).
- L’arbre aux fruits amers, roman, Oskar Editeur (2012).
- Histoires de monstres pour réfléchir, documentaire de philosophie co-écrit avec Christine Richard, Oskar Editeur (2012) .
Retrouvez la bibliographie complète d’Isabelle Wlodarczyk sur son blog.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Fred Paronuzzi
Une fois par mois un acteur de l’édition jeunesse (auteur, illustrateur, éditeur,…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché, ému ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé. Cette semaine c’est l’auteur Fred Paronuzzi qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Mon coup de cœur sera multiple et protéiforme (je ne suis pas sûr du sens de ce mot, mais ça fait mec-qui-a-du-vocabulaire alors je le garde).
Il y aura un roman, La peau et les os de Georges Hyvernaud, un des plus grands romanciers du XXème siècle selon moi. Injustement oublié, puis fort bien republié par l’excellente maison d’édition le Dilettante.
Il y aura un manga, genre pour lequel je nourrissais un profond et très bête mépris avant de le découvrir. Le sommet des dieux, de Taniguchi (éditions Kana, 5 volumes). C’est plein de virtuosité et d’humanité. C’est beau. Fort. Puissant. Un homme obsédé par la montagne ça me parle bigrement après deux mois passés sur les sommets !
Il y aura une BD (ou roman graphique, c’est plus classe). Les pieds dans le béton de Wouters et Ross, aux très chouettes éditions Sarbacane. Le dessin est bluffant. L’histoire – une amitié sur fond de punk – prenante et sans faiblesse. Ayant été moi-même No Future du temps où j’avais encore assez de cheveux pour faire une crête, j’ai adoré !
Il y aura enfin un vieux groupe dont tout le monde se foutait à l’époque et dont tout le monde se fout aujourd’hui, le Velvet Underground, parce que c’est classieux, indémodable (car au delà des modes) et que je ne m’en lasse pas (en plus, Lou Reed a mauvaise mine ces derniers temps, courage Lou !).
Mon coup de gueule n’en est pas un. Un coup de lassitude, plutôt, devant cette énième rentrée littéraire. Combien cette année ? 500 romans ? 700 ? 1000 ? Qui dit mieux ? Avec les mêmes tronches qui squatteront le poste de télé (je me suis débarrassé du mien il y a longtemps, Dieu merci). Les mêmes passages de pommade. Les mêmes petits arrangements entre amis.
Et au milieu du ras-de-marée d’excellents livres noyés, broyés, oubliés, lus par personne ou presque… beurk, nausée.
Bibliographie sélective :
- Là où je vais, roman, Thierry Magnier (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Mon père est américain, roman, Thierry Magnier (2012), qu’Ingrid Chabbert a chroniqué pour nous ici.
- Un Cargo pour Berlin, roman, Thierry Magnier (2011).
- Terrains Minés, recueil de nouvelles, Thierry Magnier (2010).
- La Lettre de Flora, roman, éditions Robert Laffont (2007).
- Comme s’ils étaient beaux, éditions Le Dilettante (2005).
- 10 ans 3/4, éditions Le Dilettante (2003).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Vive le mercredi !
Chouette d’en découvrir un peu plus sur Isabelle. J’ai aussi beaucoup aimé son roman “la petite disparue” . Isabelle a très bien tissée son histoire vraiment. Et idem, comme une impression de trop court car on en redemande.
Sinon je partage un peu la nausée de Fred face aux livres broyés, oubliés, noyés de la rentrée littéraire.
C’est bien simple depuis que je lis La mare aux mots, je n’ai plus envie de lire de livres pour adultes 😉
Bonjour
Je crois que je vais encore me laisser tenter !!
Merci, je ne connaissais ni l’un ni l’autre…
Fred Paronuzzi, je vous aime