De beaux moments encore ce mercredi, tout d’abord une interview très intéressante de l’auteur et illustrateur Lionel Larchevèque puis un coup de coeur / coup de gueule très fort d’Annelise Heurtier. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Lionel Larchevêque
Comment êtes-vous devenu illustrateur ?
C’est venu assez tard ! Je n’ai pas fait d’école d’art. J’ai recommencé à dessiner vers 30 ans, et au départ c’était la bande dessinée qui m’attirait. J’ai suivi quelques cours du soir aux Arts décos de Strasbourg, quelques cours « en ligne » aussi autour de la bande dessinée et de l’illustration. Mais au final, ce qui m’a le plus porté, c’est les possibilités de contacts, de discussions, d’échanges de conseils qu’offraient à ce moment-là certains forums d’amateurs et de passionnés (BDamateur, CaféSalé, La Luciole Masquée, pour en citer quelques uns !…) Au fil du temps, j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à la production en jeunesse, qui me semblait parfois plus « libre », plus « inventive » qu’en BD (ce qui n’est pas le cas du tout, bien sûr !). Au départ, je n’avais pas spécialement prévu d’être « illustrateur jeunesse », moi j’avais juste envie de dessiner, de raconter des histoires, de fabriquer des images.
En tout cas, c’est sur ces forums que j’ai fait des « rencontres » déterminantes qui m’ont vraiment donné envie de continuer à travailler, et de croire que je pourrais peut-être être édité ! Mon tout premier album vient de là, par exemple : Séverine Lambour participait activement à l’un de ces forums, et c’est elle qui m’a proposé le projet de scénario qui avait été accepté par Carabas ! (Je veux un chat) Et la plupart des collaborations qui ont suivi ont démarré à partir d’échanges sur un forum… avec Alice Brière-Hacquet sur CaféSalé (La Princesse qui n’aimait pas les Princes, éd. Actes Sud), avec Séverine Vidal sur le forum de la Luciole Masquée (Arsène veut grandir, Mamythologie)… C’est drôle, parce qu’aujourd’hui que tout ou presque se passe sur facebook, les forums paraissent appartenir à une autre époque !
Que lisiez-vous enfant, adolescent ?
Enfant : bibliothèque verte ! Avec une préférence pour les histoires d’aventure, les énigmes, les histoires policières… Puis beaucoup, beaucoup de bandes dessinées, et pas de la plus raffinée ! Picsou, Mickey, Strange (un magazine de super-héros…), Pif Gadget et les albums de Tintin, Boule et Bill, Lucky Luke, Gaston Lagaffe… Vraiment rien d’original, mais j’ai grandi dans une maison où il y avait des livres. Adolescent, j’étais plus attiré par la science-fiction (j’avais adoré me plonger dans l’univers de Dune, de Franck Herbert) et mes premiers « chocs » avec la bande dessinée sont passés par Métal Hurlant, Moebius, Bilal, Andreas, et aussi Comès, Hugo Pratt… Puis au lycée je suis tombé sur un prof de français qui nous a fait lire, la même année : La Chute d’Albert Camus, Fin de Partie de Samuel Becket et Les Fleurs du Mal de Baudelaire : sacré programme !!! J’ai poussé la porte, et finalement j’ai fait des études de Lettres.
J’adore l’humour un peu décalé que vos dessins ajoutent au texte (je pense par exemple à la mamie qui a d’un coup une trompe quand on parle de sa mémoire d’éléphant dans Mamythologie ou aux lapins, lutins, etc qui accompagnent parfois l’enfant dans Arsène veut grandir), est-ce une demande de l’auteur, une liberté de votre part ?
Merci ! 🙂
Ça dépend ! pour les lutins, il me semble que c’était une idée de Séverine, et pour la trompe de la mamie, c’est le genre d’images qui s’impose on ne sait pas comment, ça vient d’un coup ! En général j’aime bien glisser des petits trucs à moi, des clins d’œil, dans certaines images. Par exemple pour une image de l’Abécédaire pas comme les Autres (avec Anne Loyer et Ingrid Chabbert, éd. Bilboquet), j’avais en tête ce dessin génial de Moebius pour une pochette de disque de Jimi Hendrix. Au final l’image ne ressemble pas vraiment, bien sûr, mais c’est un clin d’œil ! Ou dans un autre genre, je me suis amusé avec les images de Aux quatre coins du Monde (avec Fanny Robin, éd. Alice Jeunesse).
Quelles techniques utilisez-vous ?
Dans la plupart des albums, je dessine au crayon, je scanne le dessin et je fais les couleurs avec la tablette numérique. J’ai fait deux albums en « couleur directe », à l’acrylique + crayon… et j’ai une grosse marge de progression dans ce domaine ! Mais j’adorerais avoir le temps de m’y remettre et d’explorer ces techniques ! En réalité, je travaille de plus en plus en numérique (l’album Aux quatre coins du monde avec Fanny Robin et L’abécédaire pas comme les autres avec Ingrid Chabbert et Anne Loyer ont été entièrement travaillés directement à l’écran, par exemple).
Quels sont vos projets ?
Je viens de finir des illustrations pour un roman jeunesse (à paraître aux éditions du Crayon à Roulettes), et actuellement je fais des illustrations sur le thème du spectacle pour une mallette de jeu (à paraître chez Tourbillon). J’ai aussi écrit le texte d’un album qui paraîtra aux éditions Feuilles de Menthe et dont je ne serai pas l’illustrateur, et ça c’est une première : mais c’est un secret, hein, ne le répétez pas ! Je suis impatient de voir le résultat ! J’ai plusieurs textes qui m’attendent et sur lesquels j’attends de pouvoir travailler : 2 projets d’album, avec des histoires très drôles, et un projet de bandes dessinées, aussi dans un registre humoristique. J’ai des journées bien remplies, en somme.
Bibliographie :
- A la recherche de l’oncle perdu, album, illustration d’un texte de Muriel Zürcher, Le crayon à roulettes (2013).
- L’abécédaire pas comme les autres, album, illustration d’un texte de texte d’Ingrid Chabbert et d’Anne Loyer, Bilboquet (2013).
- Un Tour du Monde, album, illustration d’un texte de Jean-Michel Billioud, Tourbillon (2012).
- Aux quatre coins du monde, album, illustration d’un texte de Fanny Robin, Alice Jeunesse (2012).
- Clémentine et le Graoully, album, texte et illustrations, Feuille de Menthe, (2011).
- Mamythologie, album, illustration d’un texte de Séverine Vidal, Frimousse (2011).
- Arsène veut grandir, bandes dessinées, d’après un scénario de Séverine Vidal, Alice Jeunesse (2010).
- La Princesse qui n’aimait pas les princes, roman, illustration d’un texte d’Alice Brière-Haquet, Actes Sud Junior (2010).
- Petit Crapaud Rouge 2 : Je veux le même !, bande dessinées, d’après un scénario d’Olivier Geets et Lionel Larchevêque, Asteure (2010).
- Petit Crapaud Rouge : Interdit d’Ecole !, bande dessinée, scénario et dessin de Lionel Larchevêque, Asteure (2009).
- Noa et Rawane, l’école de la Paix, album, illustration d’un texte de Yaël Hassan, Siloë (2008).
- Yacoubou, album, texte et illustrations, Asteure (2008).
- Je veux un chat !, bande dessinée, d’après un scénario de Séverine Lambour, Carabas (2007).
Retrouvez Lionel Larchevèque sur son blog.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Annelise Heurtier
Une fois par mois un acteur de l’édition jeunesse (auteur, illustrateur, éditeur,…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché, ému ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé. Cette semaine c’est l’auteur Annelise Heurtier qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Il y a beaucoup de thèmes sur lesquels j’aurais aimé écrire, mais mon insularité actuelle me donne envie d’en retenir un en particulier, qui sera tant l’objet de mon coup de cœur que celui de mon coup de gueule (vive le 2en1, là je sens que Gabriel me remercie du fond du cœur pour avoir divisé la tartine en deux, surtout qu’en plus elle n’est même pas drôle).
Depuis 2003, à Tahiti, le FIFO (Festival International du Film documentaire Océanien) met à l’honneur l’identité culturelle, politique et anthropologique de l’Océanie, via la diffusion de reportages qui ont ceci en commun qu’ils laissent rarement indifférents. Des destins personnels qui s’entrechoquent avec l’Histoire. Des usages et des coutumes dans lesquelles l’Océanie s’enracine. Des horizons qui se dessinent.
Le FIFO est un festival à la programmation riche et accessible. Dommage que ces reportages ne trouvent pas plus d’écho en occident…un peu comme s’ils s’agissaient de cultures anecdotiques, exotiques dans le mauvais sens du terme.
Cette année, les reportages ont été à la fois drôles et émouvants, comme l’histoire de cette troupe [1] de théâtre néo-zélandaise se préparant à aller jouer une pièce de Shakespeare au Globe de Londres, pièce entièrement recomposée en langue maorie (savoureux et émouvant pied-de nez à l’empire britannique qui tenta de bannir la langue « indigène » pour la remplacer par l’anglais).
Ils ont également été infiniment touchants, à l’image de ce vieux photographe au visage de parchemin, qui a capturé dans les années 60 les visages des nombreuses Kuia, ces vieilles femmes maori portant le mau moko (tatouage du menton qui représente les liens de parenté, l’histoire et l’engagement de celui qui le porte) [2].
Ils ont également été extraordinaires, tel « Scarlet Road [3]», un reportage retraçant la vie d’une « travailleuse du sexe » australienne qui défend farouchement le droit à la sexualité pour tous, en particulier les personnes handicapées.
Mais, et c’est tout l’attrait du FIFO, un reportage qui se referme sur une note optimiste ou légère peut facilement être suivi par un autre qui vous laissera un goût amer, un goût de rage, d’impuissance ou de honte.
Je n’ai pas la place ici de vous détailler tous ceux auxquels je pense (les enfants aborigènes de Crocker Island, oubliés par le gouvernement et qui cherchent seuls à fuir les bombardements japonais, en 42 [4] ; la surexploitation thonière qui désorganise et saccage littéralement la Papouasie Nouvelle Guinée [5] …), je ne retiendrai donc que celui qui m’a le plus chamboulée.
“Aux enfants de la bombe” [6] revient sur les essais nucléaires pratiqués en Polynésie de 1966 à 1996. Il fait état de faits que l’on connaît déjà tous, mais ce reportage, par ses images d’archive (filmées par un ingénieur de l’époque, Bernard Esta, mort aujourd’hui d’un cancer radio-induit) et ses témoignages d’une sincérité confondante, est particulièrement remuant.
Quelques images en vrac, que j’utiliserai pour en parler :
– l'”abri” dans lequel on propose aux îliens de s’abriter pendant les essais : un simple hangar bricolé de tôle ondulée, à comparer à l’abri réservé aux militaires, une baie plus loin, véritable blockhaus aux murs épais de 90 centimètres.
– la grande fête préparée pour De Gaulle sur l’île de Mangareva, après un essai atmosphérique. On l’attend comme on attend un chef d’état, les enfants répètent une marseillaise apprise par cœur (image qui m’a particulièrement mise mal à l’aise), les cochons rôtissent sur le feu, le poisson cru marine dans le lait de coco citronné. Les colliers de fleurs oscillent sur les poitrines au son des ukulélés. On se met en quatre pour recevoir le Général. Par chance, quelqu’un sur l’île possède un grand lit : c’est la directrice d’école, qui le prêtera pour la nuit. On attend, il ne devrait pas tarder. On chante et on danse. Il faut qu’il se dépêche, bientôt, les cochons seront trop cuits. On attend encore. Les enfants sont fatigués.
Tard dans la soirée, on apprend finalement qu’il ne viendra pas : il a été rappelé à Paris pour une réunion « importante ».
En réalité, l’état-major lui a déconseillé de se rendre sur place. Les terres sont contaminées.
– les polynésiens qui ramassent les poissons crevés, à mains nues. Les hallucinantes brûlures bleuâtres dont se couvre leur peau ;
– l’iode qu’on a refusé de donner aux habitants et les notes de service le justifiant…En donnant cet oligo-élement, on risque d’instiller le doute au sein des populations ;
– les dosimètres toujours bloqués en deçà de la dose reconnue comme dangereuse pour l’organisme ;
– le paysage de désolation sur les atolls, après les tirs ;
– les polynésiens qui expliquent, face à la caméra, qu’ils ne comprennent pas pourquoi l’Etat leur a fait ça. Pourquoi on les a pris pour des cobayes. Pourquoi on a pensé qu’ils ne comptaient pas ;
– enfin, les médecins qui montrent que la prévalence des cancers (leucémie et thyroïde) est 20 fois plus nombreuse en Polynésie qu’ailleurs. (je ne sais plus s’il s’agit du chiffre exact mais je me rappelle qu’il était très élevé).
Le soir même, au parc, comme je parlais de ce reportage à une amie qui n’avait pas pu venir, un vieux papi tahitien qui m’écoutait nous a interpellées. Il nous a lancé : “Vous comprenez pourquoi parfois, on est tellement en colère contre la France ? A cause de tout ça ? ”
Je n’ai pas su quoi dire. J’ai hoché la tête et j’ai eu honte, parce qu’à cet instant-là, avec ma peau blanche de Popa’a, j’étais juste l’incarnation de cette France qui me faisait mal.
193 essais nucléaires ont été réalisés en Polynésie, de 1966 à 1996. Négligence ou mise en danger délibérée… Quel que soit le cas, je trouve que la dette de l’État français ne s’effacera jamais. Et qu’il aurait tout à gagner à reconnaître sa culpabilité.
La plupart des bandes annonce de ces reportages se trouvent sur youtube.
[1] The Road to the Globe : Troilus and Cressida, (NZ), realisé par Mike Jonathan.
[2] Allan Baldwin in frame, (NZ), réalisé par Tearepa Kahi.
[3] Scarlet Road, (AUS), réalisé par Catherine Scott.
[4] Croker Island : exodus, (AUS) , réalisation Steven McGregor.
[5] Canning Paradise (AUS), réalisation Olivier Pollet.
[6] Aux enfants de la bombe, (PF), réalisation Christine Bonnet et JM Desbordes
Ses derniers livres sortis :
- Sweet Sixteen, Casterman (2013).
- Olaf, le géant mélomane, Benjamins Media (2012).
- On n’a rien vu venir, collectif, Alice Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Mon livre pour épater les grands, collectif, Éditions Fleurus (2012).
- Bertille au chocolat, Alice Jeunesse (2012).
- La fille aux cheveux d’encre, Éditions Casterman (2012) que nous avons chroniqué ici.
- Le carnet rouge, Éditions Casterman (2011), que nous avons chroniqué ici.
- L’ennui a disparu, Éditions Fleurus (2011).
- Le grand concours des sorcières, éditions Rageot, (2010).
- Le mystère des lettres de Noël, éditions Averbode, (2009).
- Les étranges disparitions, Actes Sud Junior (2009).
Retrouvez la bibliographie complète d’Annelise Heurtier sur son blog.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Très émouvant coup de coeur coup de gueule !
Effectivement, on comprend …
Pfiou, Annelise…
J’en suis encore toute retournée, même si tu m’en avais déjà parlé.
Merci Gabriel ! Très émouvant tout ça.
Et c’est chouette d’en savoir plus sur Lionel 🙂
très bon mercredi sur la mare aux mots !
merci Annelise pour ce coup de gueule salutaire, très émouvant
un mercredi qui remue.
Annelise devrait écrire sur ce coup de gueule.
Un mercredi bien émouvant !