Avec son L’homme qui rêvait d’être une girafe (que nous avons chroniqué ici), Tom Poisson a signé un des meilleurs contes musicaux pour enfants sortis ces dernières années. Tant pour la qualité de ses textes et de ses mélodies que pour l’univers qu’il a créé, j’ai eu envie d’en parler avec lui. Pour nos coup de cœur et coup de gueule mensuels j’ai voulu inviter Charlotte Bousquet car, pour avoir discuté avec elle et l’avoir lue (sur papier et sur internet), je savais qu’elle aurait des choses intéressantes à dire… je ne m’étais pas trompé ! Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Tom Poisson
Comment est né le projet L’homme qui rêvait d’être une girafe?
Au départ, tout simplement pour explorer une forme nouvelle et dépasser le format chanson que j’ai l’habitude de manipuler. Je souhaitais surtout travailler depuis longtemps avec les illustrateurs italiens ALE+ALE dont j’ai découvert le travail par hasard, sur internet, il y a quelques années. Alessandro et Alessandra mélangent plusieurs techniques : le collage, la peinture, la photo, le numérique. Ils sont de grands enfants et ont énormément de talent.
Beaucoup de chanteurs « adultes » se tournent vers la chanson pour enfants mais avec des chansons plus « festives », vous, vous avez écrit un vrai conte qui ne s’adresse pas aux tout-petits, pourquoi ce choix ?
Chacun fait en fonction de ses penchants. Je souhaitais trouver une forme poétique dans laquelle tout n’est pas raconté. J’aime que l’auditeur soit actif dans l’interprétation d’une histoire. J’ai tenté de privilégier le mystère et la poésie et ainsi, laisser le champ libre à l’imagination. J’espère avoir réussi mon cou (de girafe).
Comment est accueilli ce spectacle auprès des enfants ?
Le ton du spectacle est plus dynamique que celui du livre-disque. La mise en scène est enjouée. Nous sommes trois personnages à porter l’histoire : tour à tour narrateurs, comédiens, musiciens, chanteurs, manipulateurs d’objets… Les enfants se régalent ! Nous finissons le spectacle en éclairant nos visages avec de simples lampes électriques mais les enfants restent captifs. Quant aux grands, leurs sourires attendris parlent d’eux-mêmes !
Est-ce différent de chanter devant des enfants que devant des adultes ?
Les « points de rencontre » varient en fonction des âges, bien entendu. Les enfants, les ados, les adultes sont des publics différents. Ce qui est appréciable avec notre GIRAFE c’est que plusieurs degrés de lecture sont possibles.
Allez-vous continuer d’écrire des contes pour enfants ?
Difficile à dire… Je fonctionne à l’instinct et à l’envie donc je ne peux pas vous répondre aujourd’hui sur mes envies d’après-demain. Cette aventure de girafe est une parenthèse joyeuse et inattendue, je compte en profiter le mieux possible et porter ce joli projet pendant quelques temps.
Quels sont vos projets ?
Le spectacle tiré du livre L’homme qui rêvait d’être une girafe sera en tournée la saison prochaine, beaucoup de dates sont signées et donc j’ai beaucoup de paires d’yeux écarquillés à rencontrer ! Je serai aussi en tournée avec mes amis Les fouteurs de joie. Quoi d’autre … L’enregistrement d’un nouvel album (pour les grands), l’écriture d’une nouvelle, et surtout je veux trouver, au milieu de tout cela, du temps pour m’occuper de ma petite fille de 2 ans et demi !
Vous pouvez suivre l’actualité de Tom Poisson (date de tournées,…) sur sa page facebook et sur son site : http://www.tompoisson.fr.
Une vidéo sur le spectacle
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Charlotte Bousquet
Une fois par mois un acteur de l’édition jeunesse (auteur, illustrateur, éditeur,…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché, ému ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé. Cette semaine c’est l’auteur Charlotte Bousquet qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Je termine tout juste Une page de pub, de Jean-Michel Billioud et Manu Boisteaud, dernier-né de la collection Et toc! chez Gulf Stream éditeur. Un abécédaire percutant et drôle sur… la publicité. Un abécédaire qui dévoile, d’Annonceur à Femme-objet et autres clichés, en passant par Mad Men, USA ou Obèse, les dessous parfois (souvent ?) peu reluisants de ces marques qui nous gouvernent… parce qu’il s’agit bien de gouvernance, via des campagnes d’affichages, des slogans, des modes artificiellement créées, des spots ciblant – et non par hasard – des enfants (plus influençables), de la frontière ténue entre politique et média, des vraies-fausses valeurs qui ne sont que le reflet de notre société. S’il est très critique à l’égard de la pub (et pour cause : l’auteur et l’illustrateur en viennent), cet ouvrage en dresse aussi un portrait historique (les premières affiches, le rôle des artistes, etc.) et évoque en outre ses utilisations plus “nobles” (faire connaître une ONG, par exemple… ou Une page de pub, cet excellent abécédaire de la collection Et toc ! chez Gulf Stream, qui est mon coup de cœur du moment….)
Un indispensable, donc, intelligent, bien écrit, qui donne à réfléchir : à mettre en bonne place dans sa bibliothèque et à offrir – quel que soit l’âge du destinataire.
Beaucoup de choses me mettent en colère, en ce moment, parmi lesquelles, bien sûr les débordement nauséeux des homophobes et transphobes de tout poil, que l’on entend un peu trop en ce moment – et ce, malgré le fait que la loi soit passée. Je n’arrive pas à savoir ce qui m’énerve le plus : le battage médiatique que l’on a fait autour, à grand renfort de titres-choc genre “feront-ils reculer l’Assemblée?” ou “les CRS sont-ils allés trop loin ?” (à propos de gaz lacrymogène sur des manifestants agressifs : des questions que ces même journalistes ne se posent pas, au demeurant, quand il s’agit de manifestations pour protester contre des expulsions de sans-papiers, par exemple)… ou la bêtise navrante des manifestants, pour lesquels l’homosexualité est visiblement une maladie, voire un crime plus grave que… la traite des femmes, par exemple ou le viol (véridique, après une discussion au salon du livre à ce propos). Ces gens, qui s’arrogent le droit de juger de la vie privée d’autrui, de ses “bonnes mœurs” (à la mode vichyste), me mettent réellement hors de moi. La loi est passée, oui, mais cet étalage de haine et de bassesse me reste en travers de la gorge. Et je ne peux m’empêcher de penser que cela recommencera, avec des arguments plus écœurants encore, quand il s’agira d’autoriser la PMA pour les couples de femmes.
J’espère que dans dix ans, on pourra comme dans ce collège hollandais assister à des scènes comme celle décrite par Laurent Chambon dans son article sur rue 89:
C’était un lundi matin, au lycée où j’enseigne le français, au lendemain de l’énorme cortège des opposants à l’égalité entre hétéros et homos (il faut bien appeler ça par son nom) avec des slogans haineux et des serre-tête bleu marine. La télévision néerlandaise avait ouvert le journal du dimanche soir sur des images spectaculaires et un commentaire ahuri de la correspondante à Paris, du style « des centaines de milliers de Français refusent l’égalité pour les homos ».
Ma classe de cinquième (première classe de collège ici) est un peu nerveuse et je leur demande ce qui ne va pas.
« Monsieur, pourquoi les gens étaient dans la rue en France pour refuser le mariage des gays ? »
Je leur explique donc que le gouvernement de gauche, formé après l’élection présidentielle de l’année dernière (tout le pays l’avait suivie et commentée), a lancé un débat sur l’ouverture du mariage aux couples du même sexe. J’essaye d’en profiter pour parler de l’opposition droite/gauche et du nom des différents partis. Mais je sens la classe fébrile.
« Mais monsieur, on ne comprend pas pourquoi ils sont contre. »
J’essaye de leur expliquer le poids de l’Eglise, les problèmes de l’opposition à se rassembler, tout ça. Ça n’arrange rien, ça bavarde, je sens que ça va finir par des punitions.
Finalement une fille un peu plus verbale que les autres se décide…
« Non mais monsieur, on ne comprend pas pourquoi ça les dérange que d’autres personnes se marient. Cela ne les concerne pas. On ne va pas les obliger à se marier avec un autre homme s’ils sont des hommes, ou avec une autre femme s’ils sont des femmes. »
Charlotte Bousquet est auteur.
Bibliographie jeunesse sélective :
- Cycle de La Peau des rêves (Nuit tatouée, Nuit brûlée, Les Chimères de l’aube et L’ Aube des cendres), Galapagos / L’Archipel (2011-2013).
- Rouge tagada, roman graphique illustré par Stéphanie Rubini, Gulf stream (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Proie idéale, roman, Rageot (2013).
- Venenum, roman, Gulf stream (2012).
- Le Dernier ours, roman, Rageot (2012).
- Incontournables de la Fantasy, nouvelles, collectif, Flammarion (2012).
- Précieuses, pas ridicules, documentaire illustré par Stéphanie Rubini, Gulf stream (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Princesses des os, roman, Gulf stream (2010).
- Noire Lagune, roman, Gulf stream (2010).
- Croquemitaines, album illustré par Fabien Fernandez, éditions du Mont (2010).
A paraître
- Ce que tu cherches, tu trouveras, illustré par Fabien Fernandez, Rageot.
Retrouvez la bibliographie complète de Charlotte Bousquet sur son site : http://www.charlottebousquet.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Quel bonheur de lire ces mots d’adultes en devenir !!! merci pour ce matin égayé car leur incompréhension est tellement juste à mes yeux : oui pourquoi des personnes prennent du temps, de l’argent et de l’énergie à se battre contre le droit pour d’autres … et qui ne vont pas regarder à côté d’eux la misère quotidienne et lever le pouce. Oui pourquoi ?
Message pour Charlotte Boursquet : Je vous aime ! Après un passage bref et néanmoins traumatisant au travers de la manif vichyste, ça fait du bien de lire des gens bien 🙂
oups désolée pour la faute Charlotte Bousquet
Tom Poisson, comptez-vous toujours « finir ma vie éleveur de yacks en Mongolie » ? (cf sa chanson Pédalo)