Aujourd’hui, je vous propose deux albums poétiques qui célèbrent, chacun à leur manière, le vivant. Le premier nous conte la relation qui unit une salade à son jardinier tandis que le second, recueil d’haïkus arabes, est une méditation sur le quotidien dans laquelle on plonge avec joie…
Tout commence par elle : la salade. Au marché, elle attend tranquillement que quelqu’un la choisisse. Et c’est chose faite lorsqu’un·e jardinier·ère mystérieux·se s’en empare et la conduit jusqu’à son potager. Délicatement iel s’en occupe quotidiennement et suit les conseils prodigués par la vendeuse. Mais rien n’y fait, la salade ne pousse pas. Jusqu’à ce qu’iel dépose des larmes de rosée dans la terre.
Deuxième ouvrage de la collection Matière Vivante de CotCotCot Éditions, Larmes de rosée est un petit bijou que l’on prend plaisir d’abord à manipuler, pour son format de poche, la qualité de son papier et sa reliure faite main. On est ensuite happé·e par les illustrations de Chloé Pince, oniriques et sensibles dans les tons vert-brun qui subliment l’héroïne de ce bel album : la salade. Puis, le texte de François David nous immerge par son rythme et sa fantaisie. C’est un ouvrage immensément poétique qui nous est ici présenté. L’histoire, donc, d’une salade qui se révèle au départ timide et ne parvient pas à s’épanouir pleinement, malgré les soins excessifs que lui dispense le·la jardinier·ère qui se révèle trop « froid·e » et pas assez impliqué·e dans sa relation avec le vivant. Au moment où iel semble désespéré·e et souhaite jeter l’éponge, quelques-unes de ses larmes viennent se déposer sur la terre. Soudain, la salade déplie ses feuilles et se révèle délicatement au monde. Ce processus est raconté avec simplicité et émotion. Page après page on suit l’éveil de la salade avec émerveillement et gourmandise. Dans un monde saturé par le productivisme agricole et l’obsession de la rentabilité, l’ouvrage se veut à contre-courant : un éloge de la lenteur et de la patience. Rien ne sert de se presser sous peine de tout gâcher, semblent nous dire l’auteur et l’illustratrice. Bien au contraire, pour espérer créer un lien avec le vivant, il faut déjà le comprendre, le regarder, le désirer, être ému par lui. Alors seulement, une relation pourra se nouer.
Que l’on regarde par une fenêtre, au fond d’une tasse de thé ou bien dans la paume de sa main, c’est tout un monde qui se déploie : une étoile, un horizon incertain ou bien une ombre. Autant de trésors quotidiens que révèlent ces petits haïkus.
C’est un ouvrage hybride que ce Thoulathiyat. Hybride d’abord par sa forme originale. Car ces petits poèmes écrits par Christian Tortel sont un mélange entre les haïkus (tercets d’origine japonaise) et les roubaiyat (quatrains issus de la poésie arabo-perse). Ainsi, nous voici face à de petits poèmes savoureux, chimériques qui se moquent des frontières et tissent des liens entre différentes traditions. L’album nous propose donc une série de thoulathiyat (en français et arabe), contemplatifs et sensuels, qui racontent les petits plaisirs du quotidien : une poussière dorée dans une lumière rasante, une goutte de citron au fond d’une tasse de thé qui déploie et ouvre un monde, un horizon qui s’esquisse derrière une fenêtre. Walid Taher met en couleur et en lumière ces petites créations littéraires par des compositions liant des objets matériels et des formes abstraites. Celles-ci sont suffisamment fantasmagoriques pour donner tout loisir aux lecteurs et lectrices d’imaginer elleux-mêmes un univers qui se cache derrière les mots de Christian Tortel.
Larmes de rosées ![]() ![]() Texte de François David, illustré par Chloé Pince CotCotCot Éditions 10,90 €, 125×176 mm, 20 pages, imprimées en France, 2023. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Thoulathiyat![]() ![]() Texte de Christian Tortel, illustré par Walid Taher Le port a Jauni 9 €, 170×220 mm, 24 pages, imprimé en France, 2021. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.
Une belle mise en valeurs de ces deux superbes ouvrages. J’ai une affection particulière pour ces deux belles maisons d’édition. Merci pour ce très beau choix Sarah.