Chez lui c’est pas là, c’est pas dans la nouvelle maison de ses parents qui sent encore la peinture et le plastique, chez lui ça ne sent pas ça, ça sent bon, c’est pas neuf, ça a vécu, c’est pas un de ces endroits sans histoire. Chez lui c’est pas une maison qui ressemble tellement aux autres qu’on se trompe et qu’on arrive dans la chambre d’un inconnu. Chez lui c’est chez son arrière-grand-mère, là où il a grandi, là où il a fait ses premiers pas, pas dans cette maison sans âme. Alors Émile va se créer un chez lui, une cabane où il apportera ses propres objets, une cabane à lui, un chez lui. En attendant la nuit Émile patiente, il attend le matin pour retourner chez lui avec l’impression d’être dans le dortoir d’une colonie de vacances. Et puis Émile rencontre un autre comme lui, qui a perdu son chez lui (sauf que lui il a gardé un petit bout de chez lui qui était resté collé sur sa langue, son accent russe).
Anne-Gaëlle Balpe parle du déménagement, du changement d’environnement… et elle en parle bien. On sent à quel point cet enfant n’est plus chez lui, à quel point tout ça n’est plus son univers, à quel point il s’y sent étranger. Elle parle aussi de la mort, du deuil, de l’amitié. C’est un roman très touchant, qui sonne juste. Sans fioriture, mais avec un beau style, un très beau roman sur l’enfance.
Estelle, Lisa, Nicolas et les autres se souviennent de leur année de seconde. C’était il y a dix ans. Il y avait la fille qui se la joue et qui faisait craquer tous les garçons, la fille trop sérieuse, le garçon insignifiant, le caïd… et il y avait Jonas, Jonas qui est mort poignardé suite à une mauvaise blague. Alors tour à tour tous se souviennent de cette année un peu particulière, le genre d’année qui marque.
Je le dis encore, parfois, aux personnes nouvelles que je rencontre : « quand j’étais en seconde un garçon de ma classe a été tué. »
Les gens s’arrêtent, écoutent.
C’est ça, ça fait un trou dans la phrase.
Dans la vie.
Construit sous forme de suite de témoignages, Ce crime est un livre passionnant, prenant et écrit avec justesse par la talentueuse Catherine Leblanc. Décidément Catherine Leblanc est une belle plume. Elle nous parle ici d’un crime mais chacun reconnaîtra les personnages qui peuplent les lycées, de la bande de caïds aux filles qui se la pètent un peu, en passant par les souffre-douleur évidemment, ceux qui passent des années à raser les murs, à penser au pire. La galerie de personnages est parfaitement croquée, jamais caricaturale, et montre aussi la vision qu’ont les gens dix ans après un tel drame. De ceux qui en rient encore à ceux qui ne s’en sont jamais remis ou encore ceux qui culpabilisent. Il y a une vraie réflexion sur des tas de choses : est-on a 15 ans la personne qu’on sera plus tard, est-ce bon de remémorer le passé, de retrouver ses camarades de classe, ce que l’on fait pour suivre le groupe, pour être intégré quitte à aller contre ses propres envies, ses propres convictions,… Je trouve que c’est une très bonne idée (et ça m’intéresserai de savoir si c’est une idée de l’auteur, de l’éditeur ou de l’illustrateur) la couverture avec cette photo de classe dont les têtes seront reprises au début de chaque témoignage. Bref un roman captivant sur l’adolescence et sur le dérapage (le livre a d’ailleurs obtenu de nombreux prix)
Quelques pas de plus…
D’autres livres sur le déménagement : Anatole et le chêne centenaire, Alors on a déménagé, Là-bas et La maison qui ne voulait pas.
Beaucoup d’autres livres sur la mort et le deuil dans notre fiche thématique.
Nous avons interviewé Anne-Gaëlle Balpe et chroniqué plusieurs de ses livres : Mon cartable, De vrais amis, Le grand n’importe quoi, Rouge Bitume, Noël en juillet, On n’a rien vu venir, Bonhomme et le caillou bleu, Quand je serai grand, je serai… Grand Méchant Loup ! et Les potions de Papi-guérit-tout.
Nous avons également interviewé Catherine Leblanc et chroniqué plusieurs de ses livres : Ma couleur, Au lit, Ludo !, Le goût d’être un loup, Les petites personnes, Au revoir, bonjour, Lulu et Moussu, Ah ! Si j’étais président ! et Comment ratatiner les monstres ?.
Chez moi d’Anne-Gaëlle Balpe Oskar éditeur dans la collection La vie 8,95€, 130×210 mm, 56 pages, imprimé en Europe, 2012. |
Ce crime de Catherine Leblanc Balivernes éditions 7€50, 130×180 mm, 56 pages, imprimé en Espagne, 2010. |
A part ça ?
Et puisqu’on parle d’Anne-Gaëlle Balpe, je ne résiste pas à vous conseiller son excellent blog Ma vie d’auteur jeunesse en gif.
Gabriel
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
2 romans qui m’intéressent.
Le blog d’Anne-Gaëlle est en effet à se tordre de rire.