Avec Marie Mirgaine et Jacques Goldstyn, prenons le temps d’écouter, d’accueillir, de comprendre et d’accepter. Les deux albums du jour sont, chacun à leur manière, un concentré d’humanité indispensable.
La rencontre entre Mouche et sa maison a été un coup de foudre. Elles vivent ensemble dans une harmonie parfaite jusqu’à ce qu’un jour, au retour d’une promenade, Mouche trouve dix chien·nes abandonné·es devant sa porte. Pas besoin de réfléchir, elle les fait entrer : « Dix de plus, dix de moins, il y a toujours de la place à la maison. » Un nouvel équilibre heureux se crée, jusqu’à ce qu’une nuit dix plantes fragiles à la recherche de chaleur se présentent à la porte de Mouche. Puis dix créatures marines, suivies de dix chauves-souris, dix hiboux, dix tortues, dix araignées… Dans le cœur de Mouche, il y a toujours de la place, mais la maison sera-t-elle capable d’accueillir toujours plus d’habitant·es ?
Dix de plus, dix de moins de l’autrice et illustratrice Marie Mirgaine est une fable aussi fine qu’engagée sur l’accueil, la curiosité de l’autre, la générosité et, finalement, l’humanité. Alors que Mouche ouvre grand sa porte à quiconque s’y présente, qu’il s’agisse de chien·nes, de tortues ou même de poux, la maison s’étire de plus en plus jusqu’à finalement se mettre à trembler, grimacer puis exploser de colère : il n’y a plus de place. Tout le monde est alors forcé de quitter tristement les lieux. Mais c’était sans compter la formidable capacité d’adaptation de la maison. Si elle a décidé de mettre les habitant·es dehors, c’est pour mieux se métamorphoser, s’agrandir, s’étendre et créer plus d’espace pour que chacun·e soit à son aise. La phrase « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » résonne évidemment pendant cette lecture et révèle, sous la plume de Marie Mirgaine, tout son fatalisme et son hypocrisie. Avec ses magnifiques collages, l’artiste met en avant l’importance de la solidarité et surtout de l’adaptabilité des lieux d’accueil, qu’il s’agisse d’une maison individuelle… ou d’un pays. À bon·ne entendeur·euse !
À la naissance de Croki, tout est normal. Pourtant, les médecins grimacent. L’enfant est en bonne santé mais il n’est pas dessiné comme tout le monde. Pour ses parents, cela ne change rien, évidemment, ils l’aiment à la folie. En grandissant, Croki s’avère être plus vif que les autres enfants de son âge, parfois très spontané et surtout vraiment très drôle. Dans un monde où tout est droit, carré, régulé, normé, sortir des clous ne passe pas inaperçu. Les autres parents ne veulent pas laisser leurs enfants jouer avec lui, le directeur de l’école décide de le garder à l’œil, la maîtresse le somme d’être « comme tout le monde ». Alors que Croki pense être destiné à rester dans sa solitude, c’est l’amitié et la créativité qui lui permettront finalement d’exploiter tout son potentiel.
On connaissait déjà la sensibilité et la délicatesse de l’auteur et illustrateur québécois Jacques Goldstyn avec, notamment, Azadah chroniqué ici par Lucas. Son dernier ouvrage, Croki, ne fait pas exception et m’a énormément émue (pas loin des larmes, je dois le dire). On peut voir en Croki tous·tes les enfants singulier·ères, atypiques (neuro ou non), celles et ceux que l’on a été ou que l’on a connu·es. Des enfants bien trop amples dans leur complexité pour entrer dans les cases. Ici, la différence est mise en scène par le dessin : Croki ressemble à un croquis, alors que tous·tes les autres ont des contours bien nets. Sauf sa bande d’ami·es qui, comme lui, sort du lot : Eskisse la fille diaphane, Barbo le gribouillé, Doudeule l’anguleux onduleux. Ensemble iels apprennent à se soutenir, à déborder, à laisser parler dans le vent celles et ceux qui ne cherchent pas à les comprendre et surtout à déteindre sur le monde pour lui apporter plus de nuances. Un album qui réchauffe le cœur et qui donne envie de se replonger dans toute l’œuvre de Jacques Goldstyn.
Dix de plus, dix de moins  de Marie MirgaineAlbin Michel Jeunesse 19,90 €, 217 x 315 mm, 48 pages, imprimé en Italie, 2021. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
| Croki de Jacques Goldstyn La Pastèque 17 €, 222 x 325 mm, 80 pages, imprimé en Pologne, 2024. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Aime tellement parler des livres qu’elle en a fait son métier et son hobby ! Libraire généraliste la semaine, Manon écrit pour plusieurs médias le week-end et monte sur des volcans endormis en Auvergne dès qu’il lui reste cinq minutes.