Chaque mois, nous mettons un coup de projecteur sur un·e auteur·rice, un·e illustrateur·rice ou une maison d’édition. Ce mois-ci, c’est à Amélie Fléchais que nous consacrons cette rubrique.
« Je ne cherche pas à tout prix à faire passer un message, mais j’essaye de me mettre à la place de mes personnages, et de créer une ambiance et un environnement qui les rendent plausibles » (interview Le Crayon Papote)
Aquarelles nébuleuses et forêts touffues, montagnes escarpées, inspirations folkloriques nippones et nordiques… Bienvenue dans l’univers d’Amélie Fléchais. Autrice et illustratrice d’albums et de bandes dessinées jeunesse, elle possède un style graphique à la beauté onirique et un talent pour construire des récits qui nous emportent très loin, comme dans autant de rêves éveillés dont on voudrait qu’ils durent toujours.
Caroline
Elliot, Charlie et Arthur se lancent dans une chasse au trésor au cœur d’un bois sans fin, sur lequel court une légende mystérieuse. Aidés par leur carte des copinoux, les trois enfants sont bien décidés à rafler le premier prix et n’hésitent pas à s’enfoncer au plus profond de cette forêt, quitte à prendre un raccourci plutôt hasardeux. L’un est persuadé d’être un robot aux super pouvoirs, son grand frère est vantard et même affabulateur sur les bords, tandis que le troisième, plus habitué aux chemins forestiers, se rend vite compte qu’ils sont bel et bien égarés. Que penser lorsqu’ils croisent le chemin d’un renard en pardessus ou encore d’un hibou en mocassins ? Et qui peut bien être ce personnage à la chevelure faite de brindilles et de branchages, ce gardien taiseux qui semble crouler sous le poids d’un lourd souvenir ?
La forêt se presse autour des trois aventuriers, les encercle et les perd un peu plus à chaque pas. Et il paraitrait même que jadis, un couple heureux s’est fait aspirer et digérer par ces frondaisons, qui semblent renfermer d’étranges pouvoirs et de sombres desseins.
Chemin perdu est un livre enchanteur et dépaysant, où l’autrice alterne des passages dessinés à l’encre de Chine et des planches réalisées à l’aquarelle, où des couleurs ondoyantes se superposent en jeu de transparence. Son travail graphique est incroyable et magnétique, inspiré par le Japon, mais aussi par le folklore scandinave. L’ambiance particulière et pleine de nostalgie qui en découle rappelle celle d’un conte traditionnel et ancestral, où pointent des thématiques fortes comme l’attachement familial, le rapport au mensonge ou encore le déni.
Il existe un magnifique trailer que je ne peux que vous inviter à visionner.
Caroline
Il était une fois … Un petit loup vêtu d’une cape rouge vit au cœur de la forêt avec son père et sa mère. Cette dernière l’envoie chez sa grand-mère, lui porter un lapin, tout en le mettant bien en garde : traverser la forêt n’est pas sans danger, le chasseur et sa fille rôdent. Le louveteau oublie vite les recommandations et erre gaiement. Il finit par se perdre ; et affamé, mange le lapin destiné à son aïeul. La rancune et le chagrin l’envahissent. Heureusement (ou pas), une fillette, comme sortie de nulle part, vient lui proposer son aide ; mais pour cela, il va devoir la suivre. En chemin, la demoiselle fredonne une chanson, où il est question d’hommes et de loups. Elle ne la termine pas, s’arrête brutalement ; les voilà arrivés. Où se trouvent les personnages ? Il semble que le petit loup va l’apprendre à ses dépens.
Vous l’aurez deviné ; Amélie Fléchais s’est librement inspirée du conte du petit chaperon rouge, de Charles Perrault, pour le détourner à sa façon. La mise en page, les chapitres, la typographie, les personnages du loup et de la fillette, nous plongent bien vite dans l’univers du conte. Mais ne nous y trompons pas ; le grand méchant ne sera pas celui auquel on s’attend. L’autrice joue beaucoup avec cette question des points de vue : à travers les chansonnettes, d’abord, dont le sens différent selon la personne qui les fredonne ; à travers les personnages, aussi, avec cet homme à l’allure de loup ou cette femme-louve. Où se situe la limite entre les un·es et les autres ? L’un·e ne serait-il·elle pas le·la méchant·e de l’autre, et inversement ? Les illustrations renforcent l’effet. De manière générale, les planches sont d’une grande beauté ; elles nous mènent dans un univers onirique. Une végétation luxuriante au premier plan semble servir de cadre. Des jeux de lumière nous plongent tour à tour dans un monde rayonnant ou dans une atmosphère sombre et brumeuse. En milieu de livre, on se trouve saisi par une illustration de la fillette, nous regardant, nous lecteur·rices, droits dans les yeux et nous interpellant : c’est d’une effrayante beauté !
Amélie Fléchais réussit à détourner avec succès le conte du petit chaperon rouge, en y apportant sa touche, en accentuant le côté noir, pour le plaisir des plus grand·es.
Carole
Il suffira de fermer les yeux et de se laisser porter par la douce brise qui deviendra bourrasque quand l’heure sera venue. Tout en haut de la montagne, il t’attend. Tout en bas, il sait que ce voyage en appellera tant d’autres… Il ne sera plus le grand-père de tes souvenirs, mais il sera là, niché précieusement dans ton esprit, enrobé de mélancolie, prêt à surgir quand le besoin s’en fera sentir. Alors grimpe petit homme. Va conquérir ce sommet-là sans délaisser totalement cette part de ton enfance qui s’échappera avec lui. Suis donc ce guide familier dont la voix se mêle une dernière fois au vent…
L’Homme Montagne est un voyage métaphorique et poétique dans les méandres de l’esprit d’un petit garçon. Séverine Gauthier signe ici un merveilleux récit d’apprentissage. Celui qui mène chacun de nos pas vers les premiers coups durs, le premier adieu entre deux générations qui s’aiment mais qui n’auront hélas que trop peu de temps à vivre ensemble. Et quand le trait d’Amélie Fléchais s’en mêle, l’histoire prend aussitôt une dimension onirique fascinante. C’est incroyablement beau. Le monde qui s’éveille sous nos yeux dans une explosion végétale automnale est une nature aux reliefs vertigineux, parfois voilée par une brume envoûtante. Cailloux et pierres, chutes, rencontres fortuites. La vie est faite d’instants grisants et déchirants et le chemin vers l’au-revoir peut être sinueux, comme pour mieux dompter la douleur. Et si des bosses apparaissent sur le front du héros entre deux roulades, elles sont une parade du corps face aux peines et aux angoisses à venir. Mais durant ce cheminement initiatique, insidieusement, de belles racines se fraient aussi un chemin et l’attachent — éternellement — à celui qui lui est si cher, faisant de chaque instant vécu ensemble un trésor précieux.
MokaMilla
Il y a dix ans, les hommes ont quitté le village pour partir à la guerre, une guerre dont les femmes restées ici ne savent rien. Molly fait partie des dernières nées dans le village, elle a donc désormais dix ans. Avec ses amies, la nonchalante Abbie et la timorée Erin, elle intègrera bientôt l’ordre des Bergères Guerrières, un groupe de combattantes qui défendent le village. Son ami Liam aimerait lui aussi faire partie de l’ordre, mais il est un garçon et c’est réservé aux filles.
La Malbête a attaqué et a fait des victimes. Elle attaquera encore, c’est certain. Les femmes du village décident de partir chercher l’aide des sorcier·ères afin de guérir les blessé·es et de savoir comment combattre le monstre. Molly, Liam et leurs amies seront du voyage.
Une bataille a eu lieu et il y a des blessé·es. Une décision est prise, il faut se rendre en Terres Mortes. Le voyage ne sera pas facile, loin de là, mais c’est sans doute là-bas que des solutions seront trouvées.
La magnifique série Bergères Guerrières compte pour l’instant trois tomes (on attend avec impatience le prochain qui devrait sortir au printemps 2021… d’autant que ça sera le dernier !). On y suit donc les aventures de Molly 10 ans, de ses ami·es et des adultes de son village. Cette histoire de village composé quasiment uniquement de femmes est bien entendu l’occasion de mettre en avant des personnages féminins forts (et un personnage masculin qui aimerait être lui aussi une bergère guerrière), de lutter contre les stéréotypes sexistes. C’est extrêmement bien écrit et les illustrations d’Amélie Fléchais sont magnifiques. Tome après tome, elle crée un univers extrêmement fouillé (et les décors sont chaque fois plus somptueux), un monde dans lequel on aime plonger. C’est à la fois bourré d’intrigue et de suspense, mais aussi drôle par moment (sans tomber dans la grosse poilade, la juste dose qu’il faut pour alléger l’histoire) et chaque tome se termine par un suspense qui rend insoutenable l’attente de la suite ! Voilà une magnifique série qui va autant séduire les enfants que leurs parents (et tout ceux et toutes celles qui aiment l’illustration). On a vraiment hâte de lire la fin de cette grande aventure.
Gabriel
Chemin perdu![]() Scénario de Jonathan Garnier, dessins d’Amélie Fléchais Éditions Soleil, dans la collection Métamorphose BD 17,95 €, 210 x 295 mm, 70 pages, imprimé en Italie, 2013. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Le petit loup rouge![]() ![]() d’Amélie Fléchais Éditions Ankama, dans la collection Étincelle 15, 90 €, 195 x 280 mm, 70 pages, imprimé en Belgique, 2014. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
L’homme montagne![]() ![]() Scénario de Séverine Gauthier, dessins d’Amélie Fléchais Éditions Delcourt 10,95 €, 225 x 229 mm, 40 pages, imprimé en France, 2015. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Bergères guerrières – T.1![]() ![]() Scénario de Jonathan Garnier, dessins d’Amélie Fléchais Éditions Glénat dans la collection Tchô ! 14,95 €, 240 x 320 mm, 70 pages, imprimé en France chez un imprimeur éco-responsable, 2017. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Bergères guerrières – T.2![]() ![]() Scénario de Jonathan Garnier, dessins d’Amélie Fléchais Éditions Glénat dans la collection Tchô ! 14,95 €, 240 x 320 mm, 70 pages, imprimé en France chez un imprimeur éco-responsable, 2018. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Bergères guerrières – T.3![]() ![]() Scénario de Jonathan Garnier, dessins d’Amélie Fléchais Éditions Glénat dans la collection Tchô ! 14,95 €, 240 x 320 mm, 70 pages, imprimé en France chez un imprimeur éco-responsable, 2019. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Approche de la trentaine, et en a profité pour perfectionner ces petites choses si importantes qui font un tout. Vivre les livres, dessiner et créer des trucs, pour relier le dehors au dedans. Aime la nature, les histoires qui donnent espoir, celles aux allures de vieux grimoires, les BD hypersensibles et les images colorées.
Se retrouve dans le travail de Tarmasz, de Tayou Matsumoto, de Bretch Evens.