Chaque mois, nous mettons un coup de projecteur sur un·e auteur·rice, un·e illustrateur·rice ou une maison d’édition. Ce mois-ci, c’est à Clément Lefèvre que nous consacrons cette rubrique.
« Je n’ai pas l’impression que mon travail soit éloigné de « comme tout le monde » et j’ai même le sentiment qu’il ne serait rien sans celui des autres. J’adore passer des heures à regarder des images, c’est très nourrissant. »
Interview de Clément Lefèvre sur La mare aux mots (2016)
Également connu sous le pseudo de Nénent, Clément Lefèvre est un illustrateur-rêveur qui manie aussi bien les crayons et la peinture que le digital (et le tout en autodidacte, s’il vous plaît). Son univers est pile comme je les aime : c’est-à-dire plein de couleurs lumineuses, de petits monstres craquants, d’animaux anthropomorphiques et d’ambiances chimériques et souvent un peu curieuses. À travers ses livres et ses dessins, on pousse la porte de mondes merveilleux qu’il est dur de quitter par la suite !
Caroline
Monsieur le président. Je vous fais une lettre. Que vous lirez peut-être. Si vous avez le temps…
Ces mots ne vous sont sûrement pas inconnus. En effet, ils constituent l’introduction de la chanson de Boris Vian, intitulée Le déserteur. Cette chanson contestataire, clairement antimilitariste, sortie en 1954, dans un contexte à mi-chemin entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, n’a laissé personne indifférent. D’abord censurée, elle a ensuite connu un succès international, et a, malgré tout, fait encore parler d’elle ces dernières décennies. Néanmoins, elle est aujourd’hui étudiée en collège et en lycée, comme un texte ayant marqué l’Histoire. Cette version illustrée est intéressante, dans le sens, où elle permet, au public adolescent, un autre accès à ces mots. Le texte de l’album reste fidèle à l’écrit de Boris Vian. Notons toutefois que la fin est celle composée par Marcel Mouloudji, moins subversive, plus pacifiste que l’originale. La tonalité que va donner l’illustrateur Clément Lefèvre est perceptible dès la page de titre avec un jeu pictural sur celui-ci : une colombe, signe de paix, fait basculer la lettre t du mot déserteur, qui avait pris la forme d’une croix, signe de mort. Les colombes sont présentes plusieurs fois parmi les illustrations, montrant la volonté de souligner le côté pacifiste du texte, plus que son insolence. Les dessins sont réalisés dans les tons de marron, et se détachent d’un fond blanc, les mettant en valeur. Le président a l’allure d’un individu empâté. Les soldats sont tous identiques, tous des pions, tous chair à canon. Quant au déserteur, c’est souvent un homme nu, sans vêtements ; libre, en somme. Même si le texte ne reprend pas la fin originale de la chanson, l’appel à l’insoumission générale voulu par Boris Vian est perceptible dans les dessins, comme lorsqu’on y voit le déserteur déplaçant les foules avec un spectacle de marionnettes, dont le pantin est un soldat. Une belle mise en images, fidèle à l’essence même de la chanson de Boris Vian.
Cet album, le premier de Clément Lefèvre, n’est plus disponible en librairie, mais vous pouvez, bien entendu, le trouver en bibliothèque ou d’occasion.
Carole
Alors que la nuit est tombée, sous la pleine lune s’avance un chariot tiré par des chevaux… c’est celle du voleur d’enfant. Quand on le voit avec ses longues dents pointues on se doute qu’il prépare un coup. D’où vient-il et surtout… où va-t-il ? Nul ne le sait ! Soudain le voici qui s’aventure dans une maison, on sait d’avance qu’il ressortira avec un enfant…
Michaël Escoffier et Clément Lefèvre nous racontent une histoire qui peut sembler terrifiante… mais ils nous amènent là où on ne s’y attendait pas ! (non je ne raconterai pas la chute, qui vaut d’être découverte dans l’album). C’est typiquement le genre d’album qu’on se régale à lire aux enfants à voix haute, déjà parce qu’il est magnifiquement écrit, ensuite parce qu’on peut jouer à se faire peur. Clément Lefèvre joue avec le cadre, le point de vue (on voit d’en haut, d’en bas, parfois en très gros plan) pour mieux nous rappeler que seul une vue d’ensemble nous montre ce que sont vraiment les choses.
Gabriel
Susine ne va pas tous les jours à l’école. Elle passe la plupart de ses après-midi avec sa grand-mère. Elles s’amusent comme des folles ensemble ! La grand-mère de Susine aime lui raconter mille et une histoires fantastiques, peuplées de monstres et de créatures magiques. D’après ses dires, ils et elles vivent tous et toutes dans le monde du dorméveil. Suspendu entre la lumière et la pénombre, ce monde est difficile à trouver afin d’y voyager.
Susine nous ouvre les portes d’un magnifique univers peuplé d’étrangetés et de mystères ! Illustré par le talentueux Clément Lefèvre, on s’émerveille à chaque page de l’imaginaire de l’artiste, de ses couleurs et des créatures qu’il nous présente. La poésie de Bruno Enna, l’auteur, nous captive et nous touche. Susine devient notre confidente, on s’attache très vite à cette jeune héroïne solitaire et au cœur pur. Un premier tome que je vous recommande de découvrir !
Mathilde
Susine a trouvé l’entrée du dorméveil mais lors de son dernier voyage, elle n’a pas scrupuleusement respecté le laps de temps qui se situe entre la lumière et la pénombre pour s’y introduire. Là voilà perdue dans des paysages qu’elle ne reconnaît pas…
Bruno Enna et Clément Lefèvre nous proposent un second voyage au cœur de leur univers merveilleux. Susine a perdu tous ses repères depuis que sa grand-mère est partie et que ses parents se disputent constamment. Elle n’a pour seul refuge que le dorméveil. Mais même celui-ci lui réserve des surprises qui la mettent à l’épreuve. La jeune fille va devoir faire preuve de beaucoup de courage pour survivre à cette nouvelle aventure. On y admire de sublimes paysages et créatures, tous et toutes plus impressionnant∙es les un∙es que les autres. La fin de cette duologie m’a tout particulièrement touchée, les auteurs clôturent cette histoire avec douceur et poésie. Il s’agit d’une magnifique épopée que je vous recommande de découvrir sans plus attendre !
Mathilde
Quand Victor promène son loup tout le monde le félicite… pour son chien ! Les gens sont-ils aveugles à ce point ? Ne voient-ils pas que l’animal qu’il a au bout de sa laisse n’est pas le petit chien qu’il a l’air d’être ? Heureusement que Victor, lui, sait et préviens les imprudent·es qui s’approchent…
Beaucoup d’humour dans cet autre album signé Michaël Escoffier et Clément Lefèvre, tant dans les illustrations que dans le texte. Comme souvent chez Michaël Escoffier la chute est surprenante (mais l’album ne tient pas uniquement sur la chute) et ici encore Clément Lefèvre nous régale avec de très belles illustrations.
Gabriel
C’est la rentrée des classes et sur le chemin de l’école, une bande d’enfants se retrouve. Très vite, le sujet des grandes vacances laisse place à une sacrée rumeur sur la nouvelle maîtresse … D’après certains racontars, il s’agirait d’une sorcière ! Enfin d’autres ont plutôt entendu dire qu’elle serait la fille d’un ogre ou encore carrément… une martienne ! Et vous, à votre avis, elle va ressembler à quoi la maîtresse ?
La maîtresse vient de Mars est un délicieux livre plein de malice, où l’on suit les digressions d’une bande de petit·es camarades débordant d’imagination. Les illustrations sont réalisées comme dans un plan séquence filmé, un peu comme une seule et unique frise qui se déroule au fil du texte et des élucubrations (de plus en plus abracadabrantes) des enfants. Dans les paysages très détaillés (d’ailleurs dignes de décors de cinéma) on peut déniche
r des références aussi bien à la littérature jeunesse (avec des clins d’œil à Pierre Gripari ou Daniel Pennac), mais aussi des contes classiques (comme la longue tresse d’une certaine Raiponce) ou encore filmographiques. Différentes ambiances se déploient au cours de la lecture, influencées par les idées qui fusent. Ainsi, la ruelle tranquille prend des airs de terrifiante forêt ou d’aride planète extraterrestre… sans que la petite troupe ne s’en aperçoive, bien trop inquiétée par cette mystérieuse maitresse dont on dit tant de choses toutes plus bizarres les unes que les autres !
Car au final, tout part d’un « on dit », d’une simple rumeur lancée par le cousin du neveu du voisin de la directrice, qui gonfle jusqu’à devenir tout une aventure !
Clément Lefèvre s’amuse à glisser des petits éléments de-ci de-là, jusqu’à créer plein d’histoires dans l’histoire. Les enfants ne s’ennuieront pas une minute pendant cette lecture, qui en plus d’être un vrai régal pour les yeux, possède à la fois du suspens et de l’humour !
Caroline
La pluie est tombée à torrents toute la nuit. Au petit matin, du haut de son toit , un renard nommé Monsieur Walter découvre un nouveau paysage. Autour de lui, il n’y a qu’une immense plaine d’eau, à perte de vue. Et sa maison est presque totalement immergée, il ne reste qu’un petit bout de toiture au sec ! L’étendue aquatique et le ciel se confondent, et comme il n’a plus rien à faire, plus de loisirs à sa disposition, Monsieur Walter s’ennuie très vite. Et finis par déprimer. Jusqu’au beau jour où une silhouette perce l’horizon, et avec elle un renouveau plein de promesses.
Monsieur Walter est un album qui aborde avec peu de mots des thématiques importantes, comme la solitude, l’accablement, mais aussi l’entraide. En se retrouvant ainsi coupé du reste du monde, le héros se retrouve face à face avec lui-même, sans aucun stimulus extérieur pour l’occuper. Et il se rend vite compte que bien plus que les livres ou la télé, c’est la compagnie d’autrui qui lui manque. En s’inspirant du mythe du déluge, l’auteur projette le petit renard dans un nouvel environnement inconnu, où tout est à reconstruire et met en exergue l’importance des gens qui nous entourent, la notion d’entraide et d’avancement en communauté.
J’ai été émerveillée par les illustrations, de leur jeu de couleurs complémentaires entre les étendues aux nuances bleutées et les petites touches de teintes chaudes. Quant à Monsieur Walter, il est tellement mignon que c’est impossible de ne pas être touché·es par ses expressions. On ressent vraiment l’isolement et la détresse de ce minuscule personnage bloqué sur son radeau immobile, et l’on est tout aussi soulagé·es que lui quand on aperçoit enfin de la compagnie arriver !
Un très beau livre, véhiculant un message de solidarité au travers d’images magiques.
Caroline
Il était une fois une petite fille qui, parce qu’elle était vêtue d’un chaperon rouge (offert par sa grand-mère), était surnommée Le petit chaperon rouge…
J’avoue que chaque fois que je vois sortir une nouvelle version du Petit chaperon rouge (tout comme d’autres contes, mais celui-ci en tête) je me demande si c’est encore utile… Combien de versions sont déjà sorties ? L’un des intérêts (si on ne parle pas des versions revisitées), c’est le travail graphique, la beauté des illustrations… et c’est le cas ici ! Déjà, les planches de Clément Lefevre sont magnifiques, ensuite, ses illustrations sont bourrées de trouvailles (le regard inquiet que posent les animaux sur l’enfant, les compagnons d’infortune du petit chaperon rouge dans le ventre du loup…). Alors à la question est-il encore utile de sortir de nouvelles versions du Petit chaperon rouge… je répondrai oui, si elles sont aussi belles que celle-ci !
Gabriel
Le déserteur Texte de Boris Vian, illustré par Clément Lefèvre Éditions Petit à petit 15,20 €, 280x220mm, 32 pages, imprimé en Italie, 2009. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Le voleur d’enfant Texte de Michaël Escoffier, illustré par Clément Lefèvre Éditions Chocolat ! 13 €, 190×182 mm, 34 pages, imprimé en Espagne chez un imprimeur éco-responsable, 2010. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Susine et le Dorméveil – Dans le monde d’avant Texte de Bruno Enna, illustré par Clément Lefèvre Soleil dans la collection Métamorphose 16,95 €, 225x295mm, 82 pages, imprimé où, 2012. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Susine et le Dorméveil – Dans le monde d’après Texte de Bruno Enna, illustré par Clément Lefèvre Soleil dans la collection Métamorphose 18,95 €, 220x295mm, 112 pages, imprimé où, 2014. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Victor et son loup Texte de Michaël Escoffier, illustré par Clément Lefèvre Éditions Chocolat ! 10 €, 220×180 mm, 32 pages, imprimé en Pologne chez un imprimeur éco-responsable, 2013. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
La maîtresse vient de Mars Texte de Michaël Escoffier, illustré par Clément Lefèvre Frimousse 14,90 €, 225x290mm, 25 pages, imprimé en Slovénie, 2014. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Monsieur Walter de Clément Lefèvre Éditions Chocolat, collection jeunesse 9 €, 230x330mm, 28 pages, imprimé en Union européenne, 2015. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Le Petit Chaperon Rouge Texte de Raffaella Bertagnolio, illustré par Clément Lefèvre Fleurus 15,90 €, 241×326 mm, 32 pages, imprimé en Serbie chez un imprimeur éco-responsable, 2018. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Approche de la trentaine, et en a profité pour perfectionner ces petites choses si importantes qui font un tout. Vivre les livres, dessiner et créer des trucs, pour relier le dehors au dedans. Aime la nature, les histoires qui donnent espoir, celles aux allures de vieux grimoires, les BD hypersensibles et les images colorées.
Se retrouve dans le travail de Tarmasz, de Tayou Matsumoto, de Bretch Evens.